« Tout cela font des labyrinthes bien ennuyeux pour moi ». Les lettres de la veuve Georgeon à Laurent Sazerac de Forge : une correspondance transatlantique au temps des Révolutions (1796-1797)

Par Jean-Christophe Temdaoui
Publication en ligne le 20 mars 2023

Résumé

Correspondences of women and widows who found refuge in the United States durant Saint-Domingue révolution are very rare. Letters from 1796-1797 sent et received by Marie-Elisabeth Georgeon, widow of a Saintonge merchant vessel captain, and Laurent Sazerac de Forge, a Angoulême’ merchant, make possible understanding the exile experience and refuge in the United States of women and widows which family was scattered between the Atlantic and colonial business collapsed by the revolution of Saint-Domingue. Letters deals with different key concerns on which the widow pay attention to save the family establishment and the wealth linked to Magnac Frère trade house.

Les correspondances des femmes et des veuves qui ont quitté Saint-Domingue en révolution sont rares. Les lettres échangées en 1796-1797 par Marie-Elisabeth Georgeon, veuve d’un capitaine de navire de Saintonge, et son gendre d’Angoumois, Laurent Sazerac de Forge sont l’occasion d’approcher l’expérience de l’exil et du refuge aux États-Unis des femmes et veuves de planteurs dont la cellule familiale est éclatée de part et d’autre de l’Atlantique et les affaires économiques liées aux plantations de café bouleversées par les tumultes révolutionnaires qui ont provoqué des banqueroutes familiales et des itinéraires retour en France. Ces lettres évoquent ainsi un horizon d’attente tendu, entre difficile liaison avec une maison de commerce bordelaise et volonté de préserver un établissement familial fondé sur la prospérité liée au café dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Texte intégral

Je ne vois pas encore le moment que je pourrai m’en sortir [ :] tout cela sont des labyrinthes bien ennuyeux pour moi, heureusement que ma santé se soutient ainsi que celle de ma fille qui vous assure de son amitié. Nous embrassons toute notre chère famille, petits et grands, et vous désirons une continuation de bonne santé, vous prions de me croire pour toujours une de vos amies. Georgeon.

120 novembre 1796. New-York. Ces mots, écrits par Marie-Élisabeth Meaux, veuve d’un capitaine de navire saintongeais, propriétaire caféïer à Saint-Domingue, confirment le ton d’une correspondance transatlantique familiale axée sur un triptyque affaires-réseau familial-santé au temps de la révolution domingoise. Celle-ci a en effet produit un décentrement et des bifurcations de vie fortes dans des trajectoires d’enracinement dans la société d’habitation antillaise depuis l’après-guerre de Sept-Ans. Ces correspondances transatlantiques appartiennent à ces écrits du for privé qui rendent possible une meilleure compréhension de l’expérience révolutionnaire domingoise1. La correspondance héritée de Marie-Élisabeth Meaux rassemble 14 lettres écrites entre le 28 août 1796 et le 19 juin 1798 : 6 écrites depuis New-York et 8 rédigées depuis la petite ville saintongeaise de Cozes, dont elle est native, et où elle rentre au cours de l’année 1797. Toutes sont adressées chez le négociant d’Angoulême Laurent Sazerac de Forge, époux de l’une de ses filles. Issues d’un petit fond privé en déshérence abrité dans un logis au sud d’Angoulême, ces lettres s’inscrivent dans un ensemble documentaire comportant principalement des pièces de comptabilité et des papiers relatifs à l’indemnité de Saint-Domingue entre 1825 et 1832 (déclarations de propriété, correspondance…), permettant ainsi de reconstituer un portrait et une trajectoire familiale entre les deux rives de l’Atlantique entre les années 1770 et 1830 à partir de sources privées plus à même de décrire finement les parcours de vie que les traces normatives délivrées par les sources administratives de la Couronne au XVIIIe siècle. Ces lettres présentent un triple intérêt dans le cadre d’une réflexion sur les correspondances des Antilles entre affaires économiques et affaires familiales. Elles traduisent les préoccupations d’une femme devenue veuve à distance, réfugiée aux États-Unis durant la révolution domingoise (1791-1804). Marie-Élisabeth Meaux est en effet soucieuse de préserver les intérêts de sa propriété, du débouché de ses productions en café et des bénéfices attendus de sa plantation. Transparaissent enfin dans ses lettres les préoccupations d’une mère au cœur d’une famille transatlantique dispersée entre les deux rives de l’océan, ayant à cœur de retrouver sa terre natale. À ce titre, les quelques lettres de la veuve Georgeon constituent un exemple de matériaux pour une histoire connectée des arrière-pays du royaume de France au XVIIIsiècle et manifestent les ressorts dynamiques et évolutifs de la liaison des espaces métropolitains locaux périphériques avec des points d’ancrage ultra-marins américains par l’intermédiaire de la place portuaire bordelaise. Elles alimentent surtout une réflexion qui reste à densifier sur les veuves aux Antilles, qu’elles soient métropolitaines ou créoles et sur l’expérience de l’exil2. En quoi la correspondance entre affaires familiales et affaires économiques de la veuve Georgeon constitue-t-elle un observatoire des préoccupations de l’exil américain durant la révolution domingoise ?

De l'épouse à la veuve de Saint-Domingue, une correspondance de l’exil

Avant Saint-Domingue : une Saintongeaise d’origine acadienne (1742-1770)

2Marie-Élisabeth Meaux est originaire de Cozes, un petit bourg de Saintonge dépendant du quartier maritime de Royan, situé dans l’arrière-pays immédiat de Talmont et Royan, ports des rives de l’estuaire de la Gironde, sur la route de Pons à Royan. Ici, dominent les cultures du blé et du vin d’un bourg entre terre et mer. Née le 26 mars 1742, elle est la fille d’Antoine Meaux, natif de Cozes, et de Marie Ladoube, native d’Acadie. Sa cellule familiale est d’ores et déjà imprégnée par la grande mer océane et les horizons continentaux lointains. En effet, la Saintonge et l’Aunis font partie de ces cœurs provinciaux de l’Ouest du royaume de France qui ont envoyé de grands contingents de pionniers vers la Nouvelle-France après les expéditions de Pierre Dugua de Mons et de Samuel de Champlain3. Quelques générations de Ladoube ont ainsi vécu outre-mer. Après la perte de l’Acadie par le traité d’Utrecht de 1713, des flux familiaux retour convergent vers les régions d’origine à l’instar du voyage de sa mère, Marie, qui s’établit à Cozes. L’Acadie devient alors la Nouvelle-Écosse. Et Marie-Élisabeth Meaux a donc dû entendre parler de ces rivages et de ces terres continentales perdus à la fin du règne de Louis XIV. On sait très peu de choses sur la vie de cette femme jusqu’à son mariage avec un capitaine de navire originaire de Cozes, Jean-Baptiste Georgeon4.

3Les destinées de Marie-Élisabeth et de Jean-Baptiste se lient après la guerre de Sept-Ans : Jean-Baptiste pose pied à terre pour un an5. En 1764, à Talmont, le couple s’établit par le mariage le 30 octobre. Jean-Baptiste Georgeon a alors déjà réalisé plusieurs navigations pour le service du roi en tant que marinier classé. Âgé de 16 ans, il navigue pour la première fois en 1749-1750 sur la Judith durant 11 mois et 3 jours. S’ensuivent quatre navigations avant ses noces6. Au moment de son mariage, il rentre d’une longue campagne de 14 mois sur le Bon Aventure, une longue absence qui a pu faire craindre le péril de mer à la promise.

4Dès le printemps 1765, Jean-Baptiste et Marie-Élisabeth deviennent père et mère avec la naissance prématurée de Louis-Joseph le 26 avril7. Le père aspire au capitanat, réalise une septième navigation sur le Solide pendant 9 mois et 21 jours de l’automne 1765 à l’été 1766 avant d’être reçu par l’Amirauté de Marennes capitaine, maître et patron de navire pour les voyages de long cours et hauturiers le 25 septembre 1766, pouvant alors justifier de deux campagnes au service du roi.

5Les premières années de la cellule familiale placent la jeune épouse et mère face à l’absence répétée de son époux8. Il fait la navette entre le royaume et Saint-Domingue comme en témoignent les feuilles de presse de Saint-Domingue. En 1768, l’Avis du Cap du lundi 28 novembre, évoque dans sa rubrique avis divers un « capitaine de bateau » nommé Georgeon :

étant sur son départ pour France, [qui] prie ceux à qui il peut devoir de se présenter pour recevoir leur paiement, de même que ceux qui lui doivent de le solder incessamment. Le dit Sieur a à vendre trois nègres bons marins, un autre cuisinier et une négresse blanchisseuse. On s’adressera au dit S[ieur]r Georgeon, rue du Vieux Gouvernement9.

6Cette mention, si elle traduit l’engagement du nouveau capitaine dans un commerce en droiture avec les Antilles, manifeste aussi un ancrage professionnel et résidentiel dans le nord de la colonie, au Cap, ce que confirme deux ans plus tard cette autre mention dans la même rubrique. En janvier 1770, monsieur Prieur, curateur aux successions vacantes du ressort du Cap, « prévient le Sieur Georgeon, navigateur, dont il ignore la demeure actuellement, que dans les papiers de la succession Figon10, il s’est trouvé un testament dont le dépôt est fait au greffe, par lequel le dit sieur Georgeon, est nommé exécuteur testamentaire11 ». Le curateur « est prêt à lui remettre les objets que comprend cette succession, aussi-tôt qu’il en sera valablement requis12 ». En 1770, le capitaine Georgeon s’apprête à s’installer durablement à Saint-Domingue, dans l’arrondissement Ouest, autour de Saint-Marc. Depuis Cozes, Marie-Élisabeth Meaux, dame Georgeon, se prépare alors à l’horizon ultra-marin.

Saint-Domingue : l’épouse du planteur et la transatlanticité familiale (1771-1792)

7En 1770, Jean-Baptiste Georgeon quitte la Saintonge et traverse l’Atlantique avec ses deux fils aînés, Louis-Joseph et Paul-Julien, âgés respectivement de 3 et 5 ans, laissant son épouse avec la cadette en Saintonge. À bord d’un navire marchand13, ils se destinent pour la côte Ouest de Saint-Domingue14. En avril 1771, le capitaine acquiert l’habitation dite du Bois de l’Anse, établie en café, à Saint-Marc pour 32 000 livres d’Élisabeth Ortolant, veuve de Jean-Baptiste Emery15. Il devient alors un Habitant16 des mornes, dans le canton des Hauts de Saint-Marc, cultivés en café17.

8Marie-Élisabeth Meaux et sa fille rejoignent alors Jean-Baptiste à la fin de l’année 1771. Jusqu’en 1787, le foyer Georgeon vit autour de la plantation du Bois de l’Anse sans que l’on puisse dresser un portrait précis de leur expérience de vie domingoise : le capitaine Georgeon se convertit à la culture du café et transforme les terres presque incultes du Bois de l’Anse en une prospère cafèterie, dont les productions sont expédiées par le port de Saint-Marc. Le succès de son établissement et les revenus que le foyer tire de la culture du café lui permettent d’acquérir une seconde habitation 16 ans plus tard, dite de Champs Fleury à la Montagne de Saint-Marc pour une valeur de 85 000 livres18. Celle-ci, d’une surface de 92 carreaux, est issue de la division en trois parties d’une plantation. Georgeon fait alors publier dans les Affiches américaines une annonce pour constituer une société afin de valoriser cette habitation :

Une habitation établie en café, située dans la montagne des Hauts de Saint-Marc, distante de 5 lieues de la ville, dont 4 chemin de chaise, de la contenance de 50 carreaux de très bonne terre, 20 à 25 plantés en café, tous rapportants, sur laquelle il y a tous les établissements nécessaires pour l’exploitation, tels que gran’case, magasin, moulin à piler, glacis, cases à nègres, etc., une très belle et bonne citerne au pignon de la gran’case, tenant très bien l’eau. S’adresser à Mrs Magnac Frères, négociants à Saint-Marc, ou à M. Georgeon, propriétaire de la dite habitation, qui désirerait faire une société avec une personne qui aurait de 20 à 30 nègres faits au pays19.

9Entre 1776 et 1790, 69 esclaves sont acquis par la famille Georgeon à 16 trafiquants en faisant le commerce sur les places portuaires de Saint-Domingue20. Ils sont affectés aux travaux des deux propriétés.

10Il est difficile d’identifier clairement la place et le rôle de l’épouse Georgeon au sein de la plantation. Les sources donnent à lire le projet familial ultra-marin comme une initiative de l’époux. Il est caractéristique de cette dynamique d’investissement des planteurs dans le front pionnier caféier de Saint-Domingue de l’arrondissement Ouest de la colonie, notamment dans les mornes et revers de la vallée de l’Artibonite. Comment Marie-Élisabeth Georgeon perçoit-elle ce projet et la vie au sein de la plantation ? Quel rôle a-t-elle dans les travaux domestiques et agricoles ? Exerce-t-elle une fonction d’intendance ou un quelconque rôle commercial dans l’exportation du café ? Les registres paroissiaux de Saint-Domingue décrivent en revanche l’évolution d’un foyer qui se créolise avec la naissance de 4 enfants qui portent le nom Georgeon de l’Anse : Jean-Baptiste Joseph, en décembre 1772, Marie-Louise Claire en septembre 1774, Marie Agathe Radegonde en juin 1775 et Marie Thérèse Luce en mars 177821.

11L’établissement à Saint-Domingue de la famille Georgeon s’appuie sur un réseau relationnel constitué par le capitaine de navire. Tout d’abord, c’est par une liaison d’habitation22 avec la maison de négoce bordelaise et protestante Magnac Frères23 que les productions de café de leurs plantations s’assurent un débouché sur la place bordelaise. De plus, parmi les parrains des Georgeon de l’Anse, celui de Marie Louise Claire, Jacques Neau attire l’attention par son origine géographique saintongeaise et sa profession qui en font un modèle de trajectoire suivi par Jean-Baptiste Georgeon : natif de Talmont, il exerce la profession de capitaine de navires et détient une habitation gérée avec plusieurs associés au moment de son décès en 178024. La famille Georgeon dispose de liens avec une famille de Guyenne de la vallée de la Garonne, les Bacqué, qui nouent une relation avec Saint-Domingue à partir de la fin des années 1760. Le père Jean-Bertrand Bacqué devient maître chirurgien à Saint-Marc où il a migré25. Les parrains de Jean-Baptiste et Marie Thérèse Luce, respectivement Jean-Baptiste Bacqué et Antoine Laffite, sont marchands, tandis que celui de Marie Agathe, Jean Pierre Bacqué est praticien. Les minces indices livrés par les registres paroissiaux confrontés aux données d’embarquement esquissent un réseau relationnel centré sur le capitanat et la marchandise.

12L’année 1788 marque la séparation atlantique définitive entre Marie-Élisabeth et Jean-Baptiste Georgeon. En 1788, le planteur rentre en France avec ses trois filles créoles. Il a pris soin de rédiger un testament déposé chez un notaire de Saint-Marc. Il s’acquitte de 3 300 livres pour les 4 passages à bord du navire marchand le Bon Frère, propriété de Magnac Frères, accoutumé à la droiture entre Bordeaux et les Antilles26. Ils parviennent à Bordeaux au début juillet 1788. En 1784, le cadet de la fratrie créole, Jean-Baptiste Joseph, avait déjà été envoyé en Saintonge chez son grand-père maternel, Antoine Meaux. Recherchant où placer ses trois filles, Georgeon demande aux Frères Magnac d’identifier quelques relations. Ces derniers ont des liens d’affaires avec de nombreux interlocuteurs de Saintonge et d’Angoumois : ainsi de la famille Josias, possédant des plantations au Montrouis à Saint-Domingue et rentrée en France au début des années 1780 et pour laquelle Magnac Frères transmet des courriers. D’ailleurs, Magnac Frères annonce à la famille Josias l’arrivée de Jean-Baptiste Georgeon et de ses trois filles, signe d’une proximité sociale et géographique tant à Saint-Domingue qu’en métropole entre familles de planteurs d’origine saintongeaise qui reportent de l’une à l’autre rives leurs relations d’interconnaissance. Par un courrier de fin juillet 1789, ils font donc appel à la famille Sazerac de Forge, implantée en Angoumois, et intéressée dans la fourniture de canons durant la guerre d’Indépendance américaine27, le commerce d’eaux de vie et de papiers d’Angoumois par la place de Bordeaux. Sous Louis XIV, cette famille est implantée à Saintes où elle est renommée pour deux activités : la fonte de cloche et la faïencerie. Louis I Sazerac exerce par ailleurs la fonction de juge consul de la ville de Saintes. Le fils, Louis II Sazerac migre à Angoulême où il devient également juge-consul. Il convole en noces avec la fille d’un marchand et juge-consul de la cité des Valois, Marguerite Clavaud. De leur union sont issus 4 enfants, dont Bernard Sazerac, sieur de Forge. Ce dernier épouse Thérèse Marguerite Louise de Bresme, la fille d’un père avocat au Parlement et d’une mère dont la famille est liée au monde de la banque, de la marchandise et de l’échevinat d’Angoulême. Le commerce de Bernard Sazerac de Forge le met en contact avec les marchands et les négociants des places portuaires, particulièrement le port de Bordeaux, pour l’exportation d’eaux-de-vie ou de papiers d’Angoumois vers l’Amérique du Nord à partir de la fin du XVIIIe siècle. La famille Sazerac de Forge est donc une famille de réputation. Laurent Sazerac de Forge, l’un des fils de Bernard, reçoit ainsi une lettre des Frères Magnac, interlocuteurs privilégiés, afin d’obtenir un courrier de recommandation pour placer les trois filles Georgeon :

Angoulême, M. Sazerac L’Aîné & Fils

Bordeaux, le 22 juillet 1789. 

Il y a bien longtemps que nous n’avons pas eu l’avantage de vos lettres & que nous ne vous avons pas écrit sans doute faute d’occasion, en voici une qui se présente, mais plus embarrassante pour vous que lucrative, elle est très agréable pour nous en ce qu’elle renouvellera notre liaison. Voici de quoi il est question : Monsieur Georgeon, Américain, & notre amy, conduit trois de ses demoiselles à un monastère de votre ville. Il ne connaît personne à Angoulême & nous a témoigné qu’il serait bien aise d’avoir une lettre de recommandation pour quelqu’un, ce qui nous fait prendre la liberté de vous le recommander, & de vous prier de vouloir bien lui rendre les petits services qu’il pourra avoir besoin, nous vous en serons très reconnaissant, c’est un fort aimable homme, vous ne serez pas fâché de faire sa connaissance.

Il ignore, & nous aussi, les arrangements qu’il prendra avec Madame la Supérieure pour le paiement des pensions de ses filles ; si cette dame exige de prendre son paiement à l’avance, nous vous prions Messieurs, de permettre à notre ami de l’indiquer chez nous. Nous aurons soin de vous le faire passer assez tôt afin que vous n’en fassiez point l’avance. Si quelques circonstances nous empêchaient de suivre notre désir, ce ne sera pas pour longtemps […]. Nous vous prions encore de recommander ces demoiselles à Madame la Supérieure, nous serons bien reconnaissants à toutes vos bontés. Si en revanche nous pouvons vous être utiles, vous nous ferez un vrai plaisir de disposer de nous sans ménagement28.

13Par la maison Magnac Frères, les familles Georgeon et Sazerac de Forge initient une liaison amenée à se consolider comme en atteste le mariage de Laurent Sazerac de Forge, à 19 ans, avec Marie-Louise Claire Georgeon, âgée de 17 ans, le 22 décembre 1791 à Bordeaux, en l’église paroissiale Saint-Louis des Chartrons, où se trouve la maison Magnac Frères29. Dans ce contexte, Marie-Élisabeth Meaux demeure à Saint-Domingue avec les 4 aînés tandis que le fils cadet, Jean-Baptiste Joseph, revient à Saint-Marc en 1790. Elle supervise alors l’activité des deux plantations avec Louis-Joseph et Paul Julien, sans que l’on puisse savoir s’ils sont assistés d’un procureur ou d’un économe d’habitation. 1788 marque ainsi l’éclatement de la cellule familiale entre les deux rives : la famille Georgeon devient transatlantique par la dispersion de ses membres et de ses intérêts familiaux et commerciaux.

La révolution, l’exil, le retour : la veuve et sa correspondance (1792-1797)

14Marie-Élisabeth Georgeon devient veuve en pleine révolution domingoise. Le 21 octobre 1792, à 59 ans, Jean-Baptiste Georgeon succombe en effet au logis de La Mouillère, une borderie des Frères Magnac située à Jonzac, en Saintonge, au nord de Bordeaux. L’époux travaillait en collaboration avec la maison de commerce, notamment pour assurer l’écoulement des productions cafetières des plantations Georgeon sur la place portuaire bordelaise. La nouvelle du décès de l’époux traverse l’océan par une lettre des Frères Magnac de Bordeaux. Marie-Élisabeth devient ainsi veuve par correspondance. Elle demeure sur l’île avec une partie de ses enfants. Saint-Domingue est alors en proie à une révolution, débutée par l’insurrection servile d’août 1791, qui atteint l’arrondissement Sud en 1792. Malgré le climat révolutionnaire, les volumes de cafés livrés à Magnac Frères, connus par l’établissement de comptes avec la maison de commerce bordelaise augmentent : 21 844 livres en 1789, 37 086 en 1790, 38 988 en 1791 et 64 776 livres en 1792. À partir de 1793, ces volumes sont divisés par plus de deux avec 27 003 livres convoyées vers les entrepôts de Magnac Frères à Saint-Marc30. En ce sens, la présence de la veuve à Saint-Domingue se justifie pleinement par la nécessité et la volonté de garantir le maintien de la production caféière des deux plantations. Ce n’est que l’enlisement révolutionnaire, le conflit avec la partie espagnole, l’invasion britannique et la saisie des plantations Georgeon qui conduisent la veuve et ses enfants sur le chemin de l’exil vers les États-Unis entre avril et mai 1794. En août 1795, elle adresse une lettre écrite depuis New-York à Magnac Frères à Bordeaux. Parmi les rares lettres conservées de cette période, 5 sont destinées à Laurent Sazerac de Forge, son noble gendre d’Angoumois, qui apparaît comme son interlocuteur privilégié. Ces lettres, peu nombreuses, ont dû se fondre dans un volume de courrier probablement plus important et aujourd’hui disparu ou dispersé. En ce sens, le courrier adressé à Sazerac de Forge reste l’unique moyen d’envisager le vécu et l’expérience de l’exil de Marie-Élisabeth Meaux. Son refuge new-yorkais dure un peu moins de deux ans : en septembre 1797, elle retrouve Cozes, son bourg natal de Saintonge, où elle meurt durant l’été 1798 à l’âge de 56 ans. La restitution synthétique de la trajectoire biographique de Marie-Élisabeth Meaux et de sa famille à travers l’Atlantique apparaît essentielle pour interroger désormais la raison d’être de son courrier : à partir des rares lettres conservées, on peut affirmer que la veuve Georgeon prend la plume avec l’exil, l’expérience épistolaire s’apparentant à une modalité pour mieux vivre le refuge américain qui décentre cette veuve dans un parcours qu’elle qualifie de labyrinthique.

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Fig. 1. Le réseau de la famille Georgeon entre la Saintonge, Bordeaux et Saint-Domingue. Voir l’image au format original

Illustration Temdaoui, Gephi, 2022.

Écrire pour diligenter les affaires économiques et familiales dans le refuge new-yorkais

15Quoique le corpus hérité de la correspondance de la veuve Georgeon soit fort restreint, la densité de l’écriture épistolaire rend possible la restitution d’une chronologie de l’importance des échanges avec ses destinataires pour les années 1795 et 1796. Le contenu de la correspondance décline ainsi une hiérarchie de préoccupations : la circulation des nouvelles, la gestion des affaires économiques avec la maison de négoce Magnac Frères et les préoccupations familiales, finalement au second plan de cette correspondance transatlantique de l’exil.

« Si mes lettres se sont rendues… » : une connexion épistolaire désaccordée entre les deux rives de l’Atlantique

16Depuis New-York, Marie-Élisabeth Meaux déplore constamment dans son courrier la difficulté à recevoir des lettres de son gendre d’Angoulême. Le topos de la correspondance occupe une part conséquente parmi les thèmes abordés dans ses lettres, le champ lexical de la correspondance rassemblant 104 mots : lettre (46 occurrences), reçu (18), envoyé (11), envoi (10), écrire (8), paquet (5), poster (2), réception (2), adressé (2). Le 9 août 1796, elle réceptionne par messieurs Lamothe et Chabaud deux paquets de lettres écrites au mois d’avril en précisant que ses porteurs ont fait « une longue traversée31 ». Le lendemain, elle reçoit « par un habitant de Cayenne » un paquet de lettres qu’il a expédiées de France bien antérieurement, le 15 décembre 1795. Trois mois plus tard, en novembre 1796, elle regrette de ne pas avoir « eu le plaisir de recevoir de [ses] lettres depuis celles du 20 avril », estimant que « c’est bien long pour la belle saison » d’autant qu’« il est arrivé beaucoup de bâtiments de Bordeaux32 ». Le 5 décembre 1796, elle écrit ne pas avoir reçu celle qu’il a expédié le 1er juin 1796 en complétant : « elle est peut-être perdue ce qui arrive souvent et plus aujourd’hui que jamais. Vous devez en connaître les raisons. Je me dispense de vous les expliquer par des précisions que j’exposais dans toutes mes lettres33 ». Le même mois, elle se mécontente de ne pas avoir reçu celles expédiées de France le 1er juin 1796. La circulation des lettres entre la veuve Georgeon et son gendre, de New-York vers Angoulême pâtit donc en effet de nombreuses difficultés relevant des aléas de la poste maritime34, de la qualité des bâtiments transportant le courrier et du contexte révolutionnaire métropolitain et ultra-marin qui impacte les circulations maritimes35. La conséquence en est un allongement de la durée de transmission du courrier avec des délais d’acheminement de 4 à 8 mois en 1796 et 1797.

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Fig. 2. Une lettre de Marie-Élisabeth Meaux, veuve Georgeon, de New-York, 5 décembre 1796. Voir l’image au format original

Cliché J.-C. Temdaoui.

17À l’inquiétude de la réception s’ajoute celle de l’expédition du courrier de la veuve. Marie-Élisabeth Meaux surveille les occasions pour expédier son courrier. En décembre 1796, croyant que les lettres qu’elle expédie de New-York parviennent plus facilement en France, elle invite son gendre à lui écrire aussi souvent que possible pour lui « apprendre la réception de [ses] lettres et les effets qu’elles produiront36 ». Le 17 février 1797, elle apprend « un peu tard qu’il y a [le lendemain] une occasion pour Le Havre » et entend en « profiter pour [lui] donner de [leurs] nouvelles à tous craignant avec raison que beaucoup de lettres […] ne [lui soient] pas parvenues37 ». À la différence du service terrestre du courrier continental, le service de la poste maritime porte des incertitudes. Et la veuve Georgeon cherche à s’enquérir de la bonne arrivée de son courrier. Ainsi, par une lettre du 5 novembre 1796, elle transmettait en réponse à un courrier de son gendre du 26 juillet, des procurations pour gérer ses affaires auprès de Magnac Frères et d’un procureur en Saintonge. Elle apprend que le bâtiment marchand sur lequel son courrier partit était « de relâche à Saint-Barthélemy où il a été condamné » soulignant combien cette « route bien opposée à celle qu’il devait faire sans doute par le mauvais état du bâtiment38 » provoquait la perte de ses documents.

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Fig. 3. Le courrier d'une veuve transatlantique, Marie-Élisabeth Georgeon, née Meaux (1796-1797). Voir l’image au format original

Illustration J.-C. Temdaoui.

18Par conséquent, la veuve Georgeon insiste sur la qualité de certains canaux de confiance qui assurent un acheminement en bon état des courriers. Le premier canal repose sur les connaissances privées de l’expéditeur. Le début de la lettre d’août 1796 en témoigne avec la réception de trois paquets de lettres les 9 et 10 août. La réception des paquets par Lamothe et Chabaud le 9 août s’est faite en mains propres, accompagnés d’un échange oral de nouvelles très satisfaisantes : « Ils se sont bien acquittés de vos commissions, en nous remettant les lettres eux-mêmes et nous donnant amplement de vos nouvelles à tous des plus satisfaisantes. Je ne vous entretiendrai pas du plaisir qu’elles nous ont fait. Je pense que vous en êtes bien persuadés39 ». Le 10 août, l’évocation de la remise par un habitant de Cayenne du troisième paquet de lettres de décembre 1795 est assortie de la garantie qu’elles ont été bien conservées par son porteur. Le second canal à privilégier est celui de la maison de négoce bordelaise Magnac Frères malgré les désaccords financiers : « Je vous ai aussi parlé de la difficulté de vous faire passer mes lettres. Il n’y a pas que messieurs qui me procurent les occasions des leurs […] les plus sûrs sont par leurs maisons40 ».

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Fig. 4. La densité d'écriture (en nombre de lignes) des lettres de la veuve Georgeon (août 1796-février 1797). Voir l’image au format original

Tableau J.-C. Temdaoui.

19La discordance des chronologies entre l’envoi et la réception du courrier, renforcée par les incertitudes de son acheminement, a un impact sur la densité des lettres de la veuve et écrire devient donc plus souvent synonyme de réécrire. L’absence et le retard des nouvelles produisent des répétitions et des justifications longues liées aux interrogations et à l’attente constante d’une réponse du destinataire. La veuve Georgeon doit développer de nouveaux ses réflexions, notamment celles relatives à la question de la tenue de ses comptes avec la maison de négoce Magnac Frères. Les quelques lettres conservées donnent un bel aperçu de la capacité à écrire de cette dame en exil. La correspondance héritée totalise 19 pages et près de 609 lignes de texte rédigés. Le papier est pleinement exploité : les pages sont couvertes d’encre, d’une écriture serrée avec près de 30 à 39 lignes écrites par page selon les lettres et en moyenne 11 à 13 mots par ligne. Dans sa lettre du 27 décembre 1796, évoquant la perte hypothétique de son courrier par la déviation de la route d’un bâtiment marchand condamné, la veuve Georgeon témoigne d’un agacement qu’elle assortit d’une mesure de prudence : « Je me dispense de vous les expliquer par des précisions que j’exposais dans toutes mes lettres. Cela nous apprendra que toute lettre conséquente exige un duplicata41 ». Dans la dernière lettre conservée, non datée, mais vraisemblablement écrite au début de l’année 1797, elle précise à Sazerac de Forge :

Je vous ai donné par plusieurs lettres un aperçu de mes affaires avec MM. Magnac Frères que vous puissiez régler avec eux sans difficulté si mes lettres se sont rendues, mais si au contraire il convient encore que je vous rappelle ici les choses les plus conséquentes concernant le compte que ces MM m’ont envoyé, je vous ai déjà mandé et vous répète encore que vous n’avez rien à rappeler sur les paiements qu’ils ont fait pour moi42.

20La correspondance transatlantique de la veuve Georgeon signifie donc plus souvent réécrire qu’écrire. Cette perceptible nécessité de réécrire pour argumenter et justifier renforce la prédominance des affaires économiques sur les affaires familiales qui apparaissent au second plan dans la correspondance, le plus souvent au terme des lettres. En août 1796, Marie-Élisabeth Meaux rappelle à son gendre la pesanteur de cette chronologie sur l’efficacité de son échange épistolaire à permettre de diligenter promptement ses affaires :

Je vois par toutes vos lettres mon bon ami combien vous avez pris de peine pour me détailler ce que vous pouvez savoir de mes affaires. Si on avait eu connaissance dans le temps j’aurais pu y porter de grands remèdes mais il ne nous a pas été possible et il est actuellement trop tard mes pertes sont certaines.

21De l’autre côté de l’Atlantique, d’Angoulême ou de Bordeaux, Laurent Sazerac de Forge est son principal – et unique ? – appui relationnel pour faire face à la gestion des affaires dans son refuge new-yorkais.

Le gendre négociant d’Angoumois : Laurent Sazerac de Forge et les affaires de la veuve

22Laurent Sazerac de Forge est donc l’interlocuteur privilégié de la veuve Georgeon, en charge de diligenter ses affaires depuis la France. Cette tâche lui incombe pour trois principales raisons que laissent transparaître ces quelques lettres. Tout d’abord, la perte de son époux en 1792 la place en situation de gestionnaire des affaires familiales en liaison étroite avec le bureau domingois de la maison Magnac Frères. Avant les troubles de Saint-Domingue à partir de l’été, Laurent Sazerac de Forge est le seul gendre de Jean-Baptiste et Marie-Élisabeth. En effet, il s’établit par le mariage à Bordeaux en 1791 avec Clarisse Georgeon43. Elle est la première des filles à être mariée. Le père de Clarisse assiste aux noces et signe l’acte. Marie Agathe Radegonde épouse le négociant d’Angoulême Jean-Nicolas Clavaud en 1797 et Marie-Josèphe Thérèse le négociant bordelais Jean-Benjamin Magnac en 1799 tandis que Marie-Thérèse Luce convole en noce avec le Saintongeais Jean-Benjamin Bargignac en 1802. Par ailleurs, à plusieurs reprises, Marie-Élisabeth Meaux déplore l’absence de nouvelles de son troisième fils, le créole Jean-Baptiste Georgeon Delance, en qui elle plaçait tous ses espoirs, en vain, pour reprendre possession des cafèteries familiales à Saint-Marc : le 20 novembre 1796, elle écrit ainsi : « J’attends de ces lettres avec impatience44 » ; et le 17 février 1797 : « Je suis bien privée de ne pas en avoir reçue une seule [lettre] de mon fils. Il augmente souvent mes inquiétudes45 ». Enfin, l’exil de la veuve Georgeon à New-York l’installe dans le monde des villes littorales portuaires américaines, bien connues de la famille Sazerac de Forge qui y exporte par le port de Bordeaux notamment des vins et des eaux-de-vie. En ce sens, Laurent Sazerac de Forge dispose d’un capital de légitimité construit par le mariage et l’expérience du commerce transatlantique entre le Sud-Ouest et les États-Unis46 qui le place en situation de personne de confiance. Cette liaison entre la veuve et son gendre par les affaires familiales et les affaires économiques est ainsi constitutive d’un capital de confiance qui justifie l’affection dont lui témoigne la veuve Georgeon dans ces lettres lorsqu’elle s’adresse à lui comme étant son « bon ami » ou son « cher fils ».

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Fig. 5. Portrait de Laurent Sazerac de Forge, négociant d’Angoulême. Collection privée De Montleau. Voir l’image au format original

23Ainsi, en l’absence de lettres de Laurent Sazerac47, celles de la veuve Georgeon décrivent une relation marquée par une tension épistolaire entre l’estime et l’ordre, entre la reconnaissance de la compétence négociante et l’impératif de l’urgence. Ce ton impératif que manifeste une plume à l’écriture dense, serrée, angoissée et foncièrement justifiante, est liée à une impatience intrinsèquement produite par le contexte : l’exil new-yorkais depuis 1795, la mise en péril et l’absence de nouvelles sur l’état des propriétés de Saint-Domingue, la peur constante à laquelle succède la réalité avérée, source de désillusion, d’une perte des revenus qu’assurait pourtant jusque-là une rente de situation établie au fil d’une vie par l’acquisition de domaines coloniaux et la construction d’une liaison d’habitation avec la maison Magnac Frères pour écouler sur le marché métropolitain les cafés. Ces lettres sont alors le miroir d’une encre de l’inquiétude liée à une perte de repères forte. Laurent Sazerac de Forge constitue alors peut-être le référent garant d’un équilibre dans l’exil de la veuve. Il est loué pour la qualité de ses investigations sur les affaires de la veuve Georgeon auprès de la maison bordelaise des Frères Magnac : « Je vois par toutes vos lettres mon bon ami combien vous avez pris de peine pour me détailler ce que vous pouvez savoir de mes affaires48 ». Sa modération est valorisée, gage d’une confiance renforcée : « je ne peux mon bon ami que vous approuver d’avoir toujours pris le parti de la modération en toute chose et de ne vous être pas écarter des bornes des devoirs49 ». Marie-Élisabeth Meaux attend également de son gendre des qualités d’expertise en matière de comptabilité et d’attention aux cours du café afin de préserver ses intérêts : « Continuez de me donner de vos nouvelles et de nos intérêts, si vous prévoyez quelques moyens qui puisse y être favorable faite moi part50 », « N’oubliez pas de faire attention pour le peu de café qui me reste51 ». Laurent Sazerac a en effet pour principale tâche la vérification des comptes d’envois et de ventes des cafés des plantations Georgeon :

Vous aurez sans doute vérifié les factures et vous aurez vu qu’il manque le troisième envoi de café de 6 266 livres payant pour cet envoi. Je ne peux m’imaginer comme ils [Magnac Frères] l’ont quitté. Ce n’est pas possible que ce soit oublié mais plus tard en quel temps l’ont-ils vendu ? Mr Magnac Aîné m’écrivit à la fin de 1792 nous avons encore plusieurs envois de votre café invendu. A-t-il donc été vendu pour des assignats, c’est ce que vous verrez pour les deux premiers partis qu’ils ont vendus, il y a de la perte52.

24Enfin, dans sa mission d’expertise et de clarification des comptes, la veuve Georgeon avise son gendre de ménager ses intérêts et de promouvoir des règlements à l’amiable en lui adressant sa procuration pour réaliser des liquidations avec sa lettre du 5 décembre 1796 :

Cependant, je désire que ce soit le plus à l’amiable possible par des obligations que j’ai envers ces MM que vous connaissez en partie et par les recommandations qui m’ont été faites à ce sujet par une personne que la mémoire me sera toujours précieuse. Toutes ces raisons ne m’empêchent pas de ressentir beaucoup de peine de quelques moments de désagréments que vous avez éprouvé au sujet de mes affaires53.

25La promotion d’un règlement à l’amiable par l’intermédiaire du gendre apparaît dans la correspondance à partir de la fin de l’année 1796 et succède ainsi à la perte de confiance de la veuve Georgeon envers la maison de commerce Magnac Frères qu’elle accuse de l’avoir lésée par la remise d’assignats sur une vente jugée beaucoup trop tardive et préjudiciable de ses cafés : la lettre du 21 août 1796 confirme l’absence de confiance envers Magnac Frères par un agacement certain : « Il m’avait comme vous dites rendu leur débitrice » ; « en attendant, ils me font beaucoup de tort et encore de n’avoir pas tiré parti du peu de café inférieur qui me reste » ; « Il en avait l’occasion, je vois bien que ces MM négligent entièrement mes intérêts et ils ont le plus grand tort possible, la confiance de toute la famille leur était accordée54 ». La perte de revenus attribuée aux Frères Magnac a ainsi conduit Laurent Sazerac de Forge à faire l’avance du montant de quelques quartiers de pensions des filles Georgeon. Ces lettres décrivent ainsi les modalités et les circuits de la préservation et de la survie des intérêts économiques des familles transatlantiques dans le contexte révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle.

26Cette tension qui imprègne la correspondance avec Laurent Sazerac interroge alors la capacité de la veuve Georgeon à gérer les affaires économiques. En affirmant dans sa lettre d’après février 1797, « Je ne suis point flatteuse sur aucun point qu’on me trouvera toujours de bonne foi et beaucoup trop crédule, je m’en suis aperçu maintes fois, mais je suis forcé […] et vous laisse le soin de terminer toutes mes petites affaires de votre mieux », il est aisé de penser que Marie-Élisabeth Meaux ne connaît pas tous les arcanes du monde du négoce maritime entre la métropole et ses colonies et se reposerait exclusivement sur son gendre d’Angoumois, un expert idéal. Migrant pour rejoindre son époux, elle s’insère dans la société coloniale après l’achat de la première plantation en 1771 et demeure avec lui sur les propriétés jusqu’au départ de celui-ci au printemps 1788. En l’espace de 17 ans, la prospérité des affaires économiques de la plantation ne dépend-t-elle que du savoir-faire de son époux Jean-Baptiste Joseph ? Marie-Élisabeth Meaux baigne dans cette ambiance négociante de la plantation. Les comptes conservés entre la famille Georgeon et Magnac Frères distinguent ceux établis avec Monsieur Georgeon entre novembre 1785 et mai 1788 de ceux établis avec Madame Georgeon à partir du 12 mai 1788. Évoquer une dépendance financière à l’égard de la Maison Magnac Frères apparaît comme une possibilité que peut nuancer cependant un effet de sources. Il est donc tentant de penser qu’au départ de son époux, Marie-Élisabeth Meaux est au fait des modalités de la liaison d’habitation nouée avec Magnac Frères, d’une part parce que cette relation fonctionne depuis trois ans, et d’autre part parce que la maison de commerce finance sur les envois de café les achats nécessaires à la famille à Saint-Domingue. Jusqu’à la perte de son époux en 1792, quatre années durant, Marie-Élisabeth Meaux est à tête des plantations, le couple pouvant avoir préparé une répartition des rôles entre la colonie et la métropole. Si l’épouse supervise la marche des plantations, certainement avec l’appui d’un économe ou d’un procureur dont on n’a trace, Jean-Baptiste Joseph Georgeon rentre en France pour se charger de l’écoulement des cafés sur le marché métropolitain par la place de Bordeaux avec Magnac Frères, dont la famille se lie par la suite par le mariage avec les Georgeon. Les travaux de Vanessa Olry sur la place des femmes dans le commerce à Nantes conjurent l’idée d’une invisibilité des femmes dans les pratiques du négoce transatlantique à Nantes55 : l’apprentissage des savoirs et des savoir-faire marchands relève tout particulièrement de la famille. Marie-Élisabeth Meaux devait être au fait des modalités et des pratiques du commerce des produits ultra-marins et du fonctionnement de la liaison d’habitation. Si Laurent Sazerac de Forge devient le référent du savoir commercial pour les affaires économiques de la veuve Georgeon à partir de son exil new-yorkais, c’est parce qu’il a une double fonction d’interface. D’une part, la famille en entretenant des liens marchands avec les États-Unis, connaît tout particulièrement les milieux portuaires nord-américains. En témoignent les personnes de confiance qu’il peut mobiliser pour acheminer le courrier à la veuve. D’autre part, sa localisation métropolitaine le met au contact des évolutions de la législation et des pratiques commerciales. Il dispose donc de connaissances sur le monde négociant plus actualisées dans le double contexte révolutionnaire métropolitain et colonial. En négociant observateur, ce capital commercial garantit une légitimité dans les argumentaires qu’il peut produire parce qu’il est au fait de ce savoir en tant qu’acteur du négoce. En effet, il circule entre Angoulême et Bordeaux, fréquente les frères Magnac de Bordeaux, est au fait des évolutions de la législation économique durant la décennie révolutionnaire. Il est donc détenteur d’un savoir économique théorique et empirique, recomposé par le contexte révolutionnaire, qui lui donne des clefs de compréhension sur ce que peuvent devenir les affaires Georgeon, tandis que Marie-Élisabeth Meaux n’a connaissance que d’un état de ses affaires avant l’exil new-yorkais. Elle n’est pas une femme naïve et crédule. Mais l’expérience de l’exil, l’absence de renseignements sur le devenir de ses propriétés, la dispersion de ses intérêts économiques entre les deux rives de l’Atlantique et la discordance de la chronologie des nouvelles échangées par lettres l’exposent à la fragilisation de la maîtrise de ses connaissances en matière commerciale. Elle est moins renseignée sur les bouleversements du fonctionnement des échanges économiques et les aléas subis par les maisons de commerce qui fondaient leur activité sur le commerce en droiture avec Saint-Domingue mais également sur l’état de son propre patrimoine foncier à Saint-Domingue. Son désarroi et sa perte de confiance envers Magnac Frères confirmeraient la dépendance financière de la famille à l’égard de cette maison de commerce. En l’absence de fiabilité du renseignement familial par ce fils, Jean Baptiste Georgeon Delance, qui ne retourne pas à Saint-Domingue, le gendre Sazerac de Forge est donc le mieux placé pour être à la fois le représentant des intérêts de la veuve, le gestionnaire des comptes et l’informateur pédagogue des circuits commerciaux transformés par les révolutions française et antillaise.

Vivre l’exil à New-York, une marge de la correspondance de Marie-Elisabeth

27Le récit de l’expérience de l’exil new-yorkais est très limité dans cette correspondance centrée sur les affaires économiques, certainement en raison du statut du destinataire et des tâches qui lui sont confiées. En ce sens, son séjour new-yorkais se résume à quelques mentions, le plus souvent en fin de lettres ou en post-scriptum. La veuve Georgeon demeure ainsi avec une de ses filles, Élisabeth, au 44 Ceder Street (Cedar Street ?) à New-York où Laurent Sazerac peut « en toute sûreté [lui] adresser [ses] lettres56 ». L’hiver 1796, « terrible », lui a occasionné un rhume qui l’a empêché d’écrire57. Dans sa lettre d’après février 1797, elle indique : » nous sommes à moitié givrés, le froid n’avait pas monté aussi haut depuis 1721 à ce qu’on m’a dit58 ». Le prix des denrées est par ailleurs élevé : « tout augmente ici et est fort cher : le papier, le lait59 ». Aucun détail ne transparaît sur sa vie à New-York et sur d’éventuels liens noués avec d’autres réfugiés français aux États-Unis. Elle mentionne à plusieurs reprises se tenir informée dans la ville des nouvelles venant de France et de Saint-Domingue et guette les allers et venues des navires de France pour recevoir et expédier son courrier. L’actualité de France et de Saint-Domingue telle que la perçoit la veuve Georgeon à New-York est inquiétante, mais sa plume reste discrète et allusive comme cette remarque glissée dans sa lettre du 5 décembre 1796 :

L’on débite pour ici mille chose inquiétantes que je ne peux vous entretenir prenant toujours beaucoup de précautions dans toutes mes lettres mais je pense bien que vous les connaissez déjà et nous ne connaissons pas trop le temps que nous pouvons rester ici60.

28Indéniablement, le séjour new-yorkais est celui des incertitudes. New-York est un territoire de l’attente61 où la veuve Georgeon recherche moins à habiter, dans l’acception géographique d’appropriation et d’ancrage territorial que suppose le terme62, qu’à transiter le plus rapidement possible pour rentrer en France. L’essentiel de son échange épistolaire traduit cette projection vers des terres de vie amont, la France et Saint-Domingue, afin de reconstruire une coïncidence entre lieu de vie et choix de vie constitutif de son identité de mère de famille propriétaire d’un patrimoine et soucieuse d’établir ses descendants. En ce sens, la correspondance sur les affaires économiques de Marie-Élisabeth Meaux porte une projection vers un avenir écrit pensé et argumenté… mais suspendu au cours des évènements révolutionnaires domingois.

Les espoirs épistolaires d’une mère en exil

29Affaires économiques et affaires familiales justifient que l’espérance soit un topos de la correspondance de la veuve Georgeon. Cette espérance naît de l’exil. Elle procède des incertitudes sur le climat révolutionnaire des deux côtés de l’Atlantique et sur le devenir des propriétés familiales de Saint-Domingue. L’absence de transparence sur l’itinéraire des affaires par les aléas du courrier et la difficulté à établir les comptes pour des maisons de commerce à l’activité bouleversée contribuent à une tension constante d’attente d’information. Enfin, l’espérance est produite par un horizon d’attente, celui du retour en métropole, d’une veuve qui regarde vers sa terre natale comme unique issue de sa sécurité. Marie-Élisabeth Georgeon quitte Saint-Domingue au début de l’année 1795. Les espoirs de la veuve Georgeon sont alors mis par écrit jusqu’au début de l’année 1797. Après l’invasion anglaise, c’est le temps d’une reprise de possession de la colonie, parallèlement à l’ascension et à l’affirmation de Toussaint Louverture. La liberté générale est réaffirmée à Saint-Domingue par la Constitution de l’An III tandis que l’île est réorganisée juridiquement et politiquement par une commission civile envoyée de France qui parvient sur l’île en mai 1796 et achève ses travaux au début de l’été 1797.

L’espoir du bénéfice : négocier le café

30Depuis New-York, Marie-Élisabeth Meaux place en Laurent Sazerac de Forge ses espoirs pour récupérer le produit de la vente du café des deux plantations Georgeon. Les expéditions sont attestées d’après sa correspondance et quelques comptes avec Magnac Frère jusqu’en 1793. N’ayant aucune prise sur le devenir de ses marchandises, elle exige du négociant angoumoisin qu’il veille à leur écoulement sur la place bordelaise comme en attestent les retours de droiture des navires le Bon Frère et l’Auguste, propriétés de la Maison Magnac. En ce sens, les échanges épistolaires sont ponctués d’estimations des cafés à écouler et de comptes de vente. L’attente du gain dû se retrouve dans chacune des lettres. La lettre du 17 février 1797 est la plus éloquente en la matière :

Il me semble que le plus fort envoi des 24 boucauds vendu à 50 sous doit faire une somme au-dessus de celle qu’il me porte comme tous ces comptes n’ont point de date et que ce n’est qu’un abrégé, vous aurez sûrement eu le temps de les vérifier avec les factures qui sont très bonnes, vous aurez donc vu qu’il manque sur leur compte le troisième envoi de café de 6832 livres du 21 mai 1791 par le navire L’Auguste. Il nous reste à présent à savoir en quel temps il a été vendu attendu que M. Magnac m’a mandé à la fin de 1792. Nous avons plusieurs envois de café invendus enfin tout ça se vérifiera par leurs comptes mieux tirés que pour les deux premiers partis qu’ils ont vendu n’ont donné que de la perte. D’après mes comptes de Saint-Domingue, il leur reste donc 27 quarts de triage ou inférieure du 7 juin 1792 par L’Auguste et les 24 sacs qui accompagnent les 24 boucauds qui sont vendus et qu’ils ont reçu même année par le Bon Frère et les 5 quarts de la petite note de ma main dont j’ai ici la facture qui ont payé 202 livres. Voyez donc mon ami pour ranger définitivement ces comptes le plus à l’amiable possible et avec Mr Magnac Aîné puisque c’est lui qui rangera sûrement le tout pour le mieux63.

31En postulant de sa plume la rareté des denrées coloniales sur le marché portuaire métropolitain en pleine Révolution française, attendu la désorganisation de l’économie coloniale par la vague insurrectionnelle et par les invasions anglaise et espagnole, elle se constitue un horizon d’attente financier et estime alors que le produit des ventes de café ne peut être qu’à son bénéfice. Le 20 novembre 1796, interrogeant la possibilité de faire un compte nouveau avec Magnac Frères, elle écrit ainsi : « si au contraire nous prendrons encore chez MM Magnac à compte nouveaux et après mes cafés vendus, cette graine doit valoir beaucoup64 ». Un mois plus tard, fondant son argument sur la diminution du rythme des droitures qu’elle observe depuis New-York, elle écrit à Sazerac de Forge : « Cependant, les armements sont beaucoup ralentis, ceci à beaucoup de causes, et la rareté des denrées coloniales qui viendront à des prix exorbitants65 ». L’espoir épistolaire du bénéfice est illustré également par la volonté de se remettre en possession des plantations caféières. Cette perspective ne dépend cependant d’après la veuve que de son fils qu’elle souhaiterait voir passer sous les voiles pour récupérer les cafèteries :

Puisse-t-il ne pas faire un long séjour en France et pouvoir s’en retourner à Saint-Domingue dans le courant de l’été prochain où nos intérêts communs l’appelle. Je suis bien persuadé qu’il le désire autant que moi jusqu’à ce moment toute ces nouvelles que nous recevons de la partie sont désagréables66.

32Néanmoins, face à l’absence de nouvelles écrites du fils Georgeon Delance, difficile d’estimer la part de motivation réelle dans la volonté de reprendre possession des plantations. En effet, la veuve Georgeon fait allusion dans sa lettre du 5 décembre 1796 aux potentielles modalités d’indemnisation des colons de Saint-Domingue rentrés en métropoles et auxquels il est prévu de verser une indemnité compensatrice de la perte de leur propriété ultra-marine :

J’espère qu’il y aura un temps pour ces paiements d’après les pertes que les malheureux habitants ont éprouvées. Il est également dû deux termes pour la liquidation de notre habitation pour lesquels ils sont ? mais le paiement ne peut être exigé qu’à Saint-Domingue et j’ai appris indirectement qu’il y aurait une échelle de proportion proposé que si ce plan a lieu, il ne faudra pas négliger de faire les démarches nécessaires pour en profiter d’après cela mon ami vous ne pouvez avoir aucun doute sur mes affaires les voilà toutes sous vos yeux67.

33Cette récurrence de l’espoir écrit de vendre avec profits les cafés s’articule finalement avec plusieurs autres objets capitaux qui érigent le café en un produit d’établissement social, c’est-à-dire que la culture, l’exportation et le bénéfice du café sont les producteurs de la place sociale de la famille Georgeon, désormais orpheline de père ou d’époux68. Avec la désillusion du produit spéculatif des assignats, la veuve Georgeon, s’estimant lésée dans ses comptes avec Magnac Frères, n’attend que la vente des cafés pour régulariser sa trésorerie et la reconstituer dans la mesure du possible : elle écrit ainsi dans sa lettre d’après février 1797 : « je vous assure qu’on ne m’a pas porté cette traite que pour me placer des assignats puisque ces messieurs ont déjà payé pour moi de cette même manière » et « je serais bien aise d’être sorti de ces vieux comptes et de ne plus entendre parler d’assignats69 ». La réalisation de cet espoir financier repose cependant sur une autre variable que l’expéditrice ne maîtrise pas : le contexte géopolitique, lié au second espoir de cette correspondance, l’attente de la paix.

L’espoir de la paix : la Saintonge de l’autre côté de l’océan

34Depuis New-York, dans sa correspondance, Marie-Élisabeth Meaux nourrit un espoir de paix qui apparaît encore vain en février 1797. Cet espoir est fondé sur la collecte de nouvelles dont on ignore les canaux mais dont on peut supposer qu’elle repose sur les réseaux de connaissances, les lettres, de Laurent Sazerac de Forge, des Frères Magnac, ou de toute autre relation personnelle, la consultation des feuilles de presse à New-York, et la fréquentation des zones portuaires. Ainsi, dans sa lettre du 5 décembre 1796, elle sollicite son gendre d’Angoumois : « Il paraît que vous êtes instruit à peu près de ce qui se passe par les papiers publics. Il faut espérer qu’il y aura un nouvel ordre des choses […]70 ».

35L’évocation de la paix est étroitement liée à des signes de piété qui laissent transparaître la sensibilité protestante de la famille Georgeon par la liaison de l’entreprise avec le divin. Se réjouissant de la fondation d’une société entre les négociants angoumoisins Sazerac de Forge et Clavaud, la veuve Georgeon écrit ainsi :

Dieu vous bénira dans vos entreprises, c’est ce que je lui demande. Je suis aussi bien aise d’avoir appris que vous avez contracté votre société et avec une personne de mérite à qui vous êtes attaché, cela vous facilitera dans votre commerce, je crois que vous en tenez une bonne branche et qu’avec votre économie si dieu nous donne la paix, vous ferez une bonne maison71.

36Cette lettre, dont est tiré l’extrait ci-dessus, date du 21 août 1796. Elle constitue un plaidoyer pour la paix et ses bénéfices biographiques. Marie-Élisabeth Meaux attend une paix qu’elle qualifie de générale à son destinataire : « On nous la fait espérer ici […] Puisse-t-elle devenir générale72 ». C’est à un triple contexte de tensions ou de conflits que la veuve fait référence. D’une part, la population de Saint-Domingue, en révolution, reste divisée autour de la diversité des projets politiques et sociaux, projetant l’autonomie ou la défense de l’ordre révolutionnaire métropolitain, à construire selon le critère de couleur dans l’île. Le général Toussaint Louverture s’érige en défenseur de l’ordre révolutionnaire de la métropole parallèlement à la réorganisation de l’île par des commissaires civils après la proclamation de l’égalité générale. Les propriétés sont hypothéquées et la restitution ne repose que sur la présence attestée d’un membre de la famille sur l’île, perspective dont la veuve Georgeon souhaite investir son fils depuis son retour en France par le port du Havre en comptant sur Laurent Sazerac de Forge pour l’orienter vers ce but. Marie-Élisabeth Meaux se lamente en ces termes sur ses terres domingoises : « Les quartiers que j’ai quittés sont toujours les mêmes, j’en ai reçu des nouvelles depuis peu il n’y a absolument que la paix qui peut y faire quelque changement et un nouvel ordre des choses73 ». Dans la lettre qu’elle écrit après 1797, la complainte, éprouvée, se résume laconiquement : « Les nouvelles de Saint-Domingue sont toujours les mêmes et désagréables74 ». D’autre part, en France, les velléités révolutionnaires du Directoire décrivent la persistance d’une situation intérieure et extérieure encore fragile avec la guerre de Vendée, le début de la campagne d’Italie et l’adoption d’une législation contre les opposants au Directoire. Ces évènements donnent l’écho d’une absence de paix outre-atlantique. Enfin, entre la France et les États-Unis, les années 1796-1797, qui précèdent la Quasi-War, sont marquées par des tensions commerciales en raison des liens marchands renoués par les États-Unis avec l’Angleterre, ennemie de la France révolutionnaire, dès 1794. La réaction de la France révolutionnaire est alors d’engager la course contre les navires marchands américains. Ainsi de mars 1796 à février 1797, ce sont près de 316 navires américains qui sont arraisonnés par les corsaires de la République75. Au moment où la veuve Georgeon écrit donc cette lettre, l’ensemble des pôles géographiques associés à sa biographie et à ses prolongements familiaux et commerciaux, est soumis à une tension qui décrit auprès de son destinataire angoumoisin un horizon d’attente. Préjudiciables aux ventes de café, les tensions allongent le temps de la commercialisation et de la perception du gain marchand. En novembre 1796, la veuve Georgeon se lamente au point de perdre espoir d’une situation meilleure :

Cette graine doit valoir beaucoup, il n’en arrive plus ici ou bien peu ce qui renouvelle mon chagrin voyant par-là que nos malheurs se continuent, il est inutile d’avoir aucun espoir qu’à la paix et un nouvel ordre des choses que Dieu nous la donne bien vite cette paix si désirable76.

37L’espoir de la paix ne fait que mieux mettre en exergue l’anomalie de la présence à New-York de la veuve Georgeon, cette bifurcation imprévue et forte de son itinéraire de vie produit par la révolution de Saint-Domingue. En ce sens, l’espoir de paix mis par écrit incarne la recherche d’une reliaison, familiale avec ses filles et son fils d’une part, et commerciale, avec la maison de commerce Magnac Frères d’autre part. Dans cette même lettre du 21 août 1796 en effet, elle signale :

Je crains qu’il n’y a qu’à cette époque que je pourrais me sortir d’ici, malgré la grande envie que j’en ai, j’y vois toujours des obstacles par le désordre qui s’augmente dans le pays que j’ai quitté et qui ne peut absolument reprendre une autre marche qu’à la paix générale et suivant celle qu’on lui donnera, quel malheur pour nous mes amis, mais n’entrons point dans ces complaintes, si dieu a conservé mon fils, il vous en aura assez entretenu, je désirerais bien apprendre son arrivée, s’il a été dans le port du Havre, il n’aura pas manqué de faire son arrivée chez vous, vous aurez tous été bien surpris de le voir […] la circonstance nous a tellement embarrassé que nous avons pris le parti, je n’en suis pas encore fâché, ne le croyant d’aucune apparence de retourner à Saint-Domingue77.

38Dans sa lettre du 17 février 1797, après avoir développé la difficulté à gérer lisiblement à distance ses affaires commerciales, la veuve Georgeon illustre finalement très bien l’état d’esprit des réfugiés ayant trouvé asile aux États-Unis durant la révolution de Saint-Domingue :

Enfin, nous avons ici des nouvelles d’Europe jusqu’au 17 décembre qui nous soutienne entre la crainte et l’espérance par tant de grands évènements que les résultats ne peuvent manquer d’avoir des effets avantageux et qu’il nous tarde d’apprendre. Puissent-ils donc nous donner une paix que nous désirons avec tant de raison pour mettre un peu fin à nos calamités78.

39Enfin, l’espoir de paix relie également cette veuve à sa terre de naissance et de noces, la Saintonge, qu’elle retrouve à l’automne 1797. Le temps de son veuvage à Saint-Domingue et de son exil à New-York a été celui de l’établissement de ses filles, non dénué des espoirs d’une mère couchés sur l’intime papier de la correspondance à son gendre.

L’espoir des noces : marier Agathe et Jean-Nicolas

40La mention des noces de deux des filles de Marie-Élisabeth Georgeon, Agathe et Luce, rappelle combien les écrits épistolaires de la veuve sont l’espace d’évocation d’une autre préoccupation : l’espoir de l’établissement par le mariage. Et les lettres lient les affaires familiales avec les affaires économiques comme en témoignent les professions des époux des filles Georgeon : des négociants. Il faut rappeler que Laurent Sazerac de Forge est le garant des paiements des quartiers de pension des filles Georgeon envoyées en France. Il a épousé Marie Louise Claire Georgeon en décembre 1791 à Bordeaux. Époux de la fille aînée de la fratrie, le négociant devient alors le garant des intérêts des filles Georgeon puinées et envoyées en métropole, et ce d’autant plus après la perte de leur père en 1792. Dans la lettre du 21 août 1796, Marie-Élisabeth Meaux remercie son gendre d’avoir fait l’avance de 1 000 livres pour ces quartiers de pensions plutôt que d’accepter des assignats de « nulle valeur » qui n’auraient fait selon la veuve que renforcer son débit auprès de la Maison Magnac Frères. Comme une confession glissée par la plume, se lamentant de ses pertes et imaginant s’il en avait été autrement, avec des cafés vendus et un profit avéré, la veuve Georgeon confie à Laurent Sazerac de Forge dans sa lettre du 5 décembre 1796 : « J’aurais établi mes filles comme j’avais commencé et aurais fait beaucoup de bien à toute ma famille, c’était ma seule ambition mais puisque cela ne peut pas être, je n’ai rien à me reprocher79 ».

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Fig. 6. Extrait de l'acte de mariage d'Agathe Georgeon et Jean-Nicolas Clavaud à Angoulême, 9 ventôse an V. Voir l’image au format original

Cliché J.-C. Temdaoui.

41Affaires des plantations et succès de l’établissement par le mariage sont donc liés. Le 27 février 1797, Agathe Georgeon convole en noces à Angoulême avec Jean-Nicolas Clavaud, négociant d’Angoulême. Laurent Sazerac de Forge, beau-frère d’Agathe, témoin de la noce, est porteur de l’acte sous seing privé du 3 décembre 1796 signé de la main de Marie-Elisabeth Meaux, autorisant le mariage80. Il est à l’origine du projet de noces dont il informe sa belle-mère par une lettre qu’il lui adresse à New-York en juin 1796, mais qu’elle ne reçoit pas. Sazerac de Forge et Clavaud font société commune et ont tous deux pour épouse une fille Georgeon. Jean-Nicolas Clavaud, fils de négociant, est recommandé par voie épistolaire auprès de Marie-Elisabeth Meaux qui s’en réjouit dans une lettre de décembre 1796 :

Suivant vos désirs, je l’ai [l’aval] donné sans peine ayant entendu dire beaucoup de bien de Mr Claveaux par quelqu’un qui le connaît particulièrement et je vous prie mon cher fils d’être bien persuadé qu’il n’y a qu’à ce prix qu’on obtiendra mon approbation pour l’établissement de mes chères filles […] à des talents connus joint à ses qualités personnelles qui surpassent sa fortune de laquelle je ne me suis point informé […] qu’à celle de ma fille que vous dites être en danger81.

42La recommandation du parti de Jean-Nicolas Clavaud par Laurent Sazerac de Forge conduit à la fixation du montant de la dot par la veuve Georgeon qui le conditionne à l’argument d’une libre inclination dans son courrier du 5 décembre 1796 à Sazerac de Forge :

Leur inclination ayant été libre ce qui a toujours été ma façon de penser de ne point gêner mes enfants sur ce point si la longueur du temps qui s’est écoulé depuis cette époque n’a point apporté de changement aux inclinations de Mr Clavaux ni de ma fille comme je vous l’ai mandé par mes lettres du 3 décembre et par la confiance que je dois vous accorder à tous égards c’est en conséquence que je vous ai envoyé mes pouvoirs et autorisé à terminer l’établissement proposé par Mr Clavaux et ma fille Agathe82.

43Cette même lettre annonce à Sazerac de Forge que la dot d’Agathe est fixée par la veuve Georgeon à 6 000 livres tournois « à prendre sur ce qui [lui] reviendra à la reddition de [ses] comptes avec les Citoyens Magnac Frères de Bordeaux, lesquels seront bien déchargés de la somme de 6 mille livres par la quittance qui leur sera donné par M. Clavaux et [sa] fille après leur mariage83 ». La correspondance de la veuve Georgeon donne ainsi toutes les clefs des modalités des tractations matrimoniales transatlantiques pour établir des filles créoles de planteurs à la recherche d’un établissement garantissant aux parents un avenir financièrement certain. Cette préoccupation est fondamentale, dans le contexte d’une perte des revenus des propriétés domingoises liées à la mise sous séquestre de l’habitation. En février 1797, mois de la noce angoumoisine, craignant que son courrier avec sa procuration sous seing privé ne soit pas rendu à Angoulême, elle réitère par écrit son adhésion au mariage de sa fille, associé à la sécurité financière qu’il laisse entrevoir et dont elle est clairement consciente :

Les propositions d’un établissement par M. Clavaud avec ma fille Agathe après avoir attendu longtemps vos lettres des premiers de juin qui ne me sont point parvenues, je me décidais à vous envoyer mes pouvoirs afin de ne point mettre d’obstacle à cette union par longueur du temps qu’il faut pour faire poster les lettres et prévoient bien que les deux personnes les plus intéressées sont d’intelligence et mutuellement convenue d’abord mais ordre pour terminer une union qui nous offre à tous des présages de satisfaction84.

44Des trois espoirs émis dans sa correspondance, les noces d’Agathe avec le négociant d’Angoulême sont celui qui lui apporte, à n’en pas douter, une satisfaction réelle, une perspective sereine, un repère solide, parce qu’il se réalise. En confiant à Laurent Sazerac de Forge le soin d’adresser à sa fille « des vœux au ciel pour son bonheur et celui de toute [sa] chère famille », c’est une fonction de réassurance que joue ici le courrier de la veuve. Dans le contexte révolutionnaire domingois, le mariage avec un négociant métropolitain d’Angoumois assure tout d’abord la perspective d’une stabilité financière, et Luce, quelques années plus tard suit le même itinéraire par son mariage avec un des fils des négociants Magnac. La ressource financière de l’époux incarne alors un transfert sécurisant de la dépendance financière : de l’argent familial investi dans le café aux profits fragilisés par la crise domingoise à la source des revenus professionnels de l’époux, moins exposés au risque révolutionnaire et donc plus salutaire. De plus, le mariage atténue la crainte de la perte de l’investissement dans la cafèterie, pensé et orienté, à en croire la veuve Georgeon, vers le devoir maternel d’établissement des filles créoles. Le mariage d’Agathe produit ainsi un soulagement, un affranchissement de la pesanteur contextuelle qu’éprouve la veuve Georgeon dans son exil New-Yorkais.

Conclusion

45Les correspondances de femmes veuves entretenues durant la révolution de Saint-Domingue sont relativement rares et méritent un intérêt croissant : la faible proportion des lettres héritées de la veuve Georgeon qu’elle expédie depuis New-York vers Angoulême entre août 1796 et février 1797 au négociant Laurent Sazerac de Forge en témoigne. Cette modeste proportion, entre effet de source ou réalité d’une écriture ciblée, n’en est pas moins révélatrice de la richesse de leur contenu sur le devenir des affaires économiques domingoises à l’époque révolutionnaire et les liens familiaux transatlantiques, ces deux sphères s’entretenant fondamentalement dans le cadre d’une projection vers la société coloniale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Pour la veuve Georgeon, l’échange épistolaire l’affranchit quelque peu de son pesant statut d’exilée, la reliant, le temps de l’écriture du courrier, à son gendre par correspondance qu’elle n’a jamais connu avant son retour en France mais en qui elle a toute confiance. En ce sens, la lettre est un instant émotionnel, c’est-à-dire que l’acte d’écrire est producteur de joie ou de désillusion : l’exil et le refuge en terre américaine accroît une sensibilité émotionnelle à fleur de peau. La progressive découverte et l’appropriation d’un nouvel espace transitoire de vie, le sécurisant refuge new-yorkais après l’intensité de la violence et des bouleversements révolutionnaires domingois, n’est pas pour autant synonyme d’aisance et de confiance. Dans ce contexte, De Forge assure la gestion outre-Amérique des comptes des cafèteries familiales, suit l’écoulement des productions par la maison Magnac Frères. Il veille également, au bon devenir des enfants, orphelins de père et privés de la présence de leur mère. L’entrée en veuvage de Marie-Élisabeth Meaux a en effet renforcé la place du négociant au sein de la famille et sa belle-mère le décrit comme un gendre indispensable, qui met au service de la famille ses qualités de négociant et ses réseaux relationnels. Mais loin de postuler une quelconque fragilité de cette veuve dans la gestion des affaires économiques, il paraît plus plausible d’expliquer ce sentiment de fragilité par une exposition aux bouleversements des repères politiques, commerciaux, portuaires d’une part et des rythmes de la navigation marchande d’autre part. Ces bouleversements producteurs d’incertitudes entrent en résonance forte avec la construction d’un horizon d’attente fondé sur trois espoirs étroitement liés qui associent l’investissement dans la plantation caféière à la recherche d’un bon établissement en société des enfants. Tirer les bénéfices du café, retrouver la paix générale, marier Agathe et Jean-Nicolas Clavaud sont les trois vœux formulés par la veuve : ils illustrent la recherche d’un équilibre et d’une sécurité sociale, qui mêlent autour des affaires économiques des éléments sentimentaux et familiaux. C’est la raison pour laquelle le cœur de la correspondance est fondé sur une argumentation économique tandis qu’apparaît une sémantique satellite de la famille, conditionnée à la satisfaction ou à la désillusion des nouvelles économiques rassurantes venues de France. Les lettres de la veuve Georgeon contribuent ainsi à qualifier et à décrire l’expérience féminine de l’exil durant la révolution de Saint-Domingue. Elles mériteraient d’être confrontées à d’autres écrits féminins, produits par des épouses, des veuves, afin de préciser le portrait de ces femmes ayant vécu le refuge nord-américain à la fin du XVIIIe siècle.

Notes

1 Vincent Cousseau, Michel Kiener (éd.), La Révolution à Saint-Domingue. Récits de rescapés (1789-1804). J.‑M. Bonjour, M. E. Descourtilz, J. Decout, Bécherel, Les Perséides, 2016.

2 Tangi Villerbu (dir.), Les Français et les États-Unis, 1789-1815. Marchands, exilés, missionnaires et diplomates, Rennes, PUR, 2017.

3 Mickaël Augeron, Dominique Guillemet (dir.), Champlain ou les Portes du Nouveau Monde. Cinq siècles d’échanges entre le Centre-Ouest français et l’Amérique du Nord, La Crèche, Geste éditions, 2004 ; Leslie Choquette, De Français à paysans : modernité et tradition dans le peuplement du Canada français, traduit de l’anglais par Gervais Carpin, Sillery & Paris, Septentrion & PUPS, 2001.

4 Archives départementales de la Charente-Maritime (désormais ADCM), Non côté, BMS Cozes [en ligne], 1733, Baptême de Jean-Baptiste Georgeon, 11 juillet 1733, vue 36/75. Jean-Baptiste Georgeon, né le 6 juillet 1733, baptisé le 11 juillet suivant, de 9 ans son aîné, est le septième né d’une grande fratrie de 10 enfants. Marie Morvandienne, sa mère, survit à son époux, Jacques Georgeon, qui succombe alors que Jean-Baptiste est âgé de 8 ans, en 1741.

5 La reconstitution de la trajectoire de Jean-Baptiste Georgeon et d’Elisabeth Meaux s’appuie ici sur un fascicule manuscrit rédigé par un descendant de la famille Georgeon.

6 En 1751-1752, il est à bord de l’Âge d’or pour une campagne de 9 mois, puis 16 mois sur le Grand Cerf en 1754-1755, 5 mois sur le vaisseau du roi le Prudent en 1757-1758 et 3 mois sur le vaisseau du roi le Zéphir.

7 Naissent successivement Paul-Julien, en juillet 1767, et Marie-Joseph Thérèse Elisabeth le 20 août 1768.

8 La formulation reprend ici le titre du colloque international « Femmes face à l’absence de l’Antiquité à l’époque contemporaine : terre, mer outre-mer (Europe, Amérique du Nord) », organisé par Thierry Sauzeau et Emmanuelle Charpentier, tenu à Rochefort du 11 au 13 mai 2017.

9 UFDC, Avis du Cap, année 1768, n° 36, Lundi 28 novembre 1768, p. 198.

10 Claude Figon, originaire de Provence.

11 UFDC, Supplément aux affiches américaines, année 1770, n° 4, 27 janvier 1770, p. 46.

12 Ibidem.

13 Le nom du navire et le port d’embarquement n’ont pu être identifiés.

14 Depuis Bordeaux ou La Rochelle.

15 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Déclaration de propriété n°1, Habitation du Bois de l’Anse, par François Claude de Jouy pour les héritiers Georgeon, 10 novembre 1826.

16 Ici au sens de propriétaire d’habitation.

17 Louis-Elie Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de Saint-Domingue […], t. II, Philadelphie, Chez l’auteur, 1798, p. 182.

18 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Déclaration préalable à fournir par les anciens colons de Saint-Domingue demandeurs en indemnités, 28 octobre 1825.

19 UFDC, Affiches Américaines, année 1787, n° 39, Jeudi 17 mai 1787, p. 262.

20 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Tableau de répartition des esclaves acquis par la famille Georgeon avec date des acquisitions et nom des vendeurs, vers 1790.

21 ANOM, 1 DPPC 2510, BMS, Saint-Domingue, Saint-Marc, 1771-1781, baptême de Jean-Baptiste Joseph Georgeon, 12 août 1773, f°40-r ; Ibid., baptême de Marie-Louise Claire Georgeon, 22 février 1777, f°3r ; Ibid., baptême de Marie-Agathe radegonde, 22 février 1777, f°3v ; Ibid., baptême de Marie-Thérèse Luce, 4 juillet 1778, f°17r.

22 Françoise Thésée, Négociants bordelais et colons de Saint-Domingue : liaisons d’habitations, la maison Henry Romberg, Bapst et Cie, 1783-1793, Paris, SFHOM, 1972.

23 Jean-Pierre Busson, « Bordeaux et Saint-Domingue à la fin du XVIIIe siècle : la correspondance inédite des Frères Magnac, négociants armateurs à Bordeaux et à Saint-Marc (1787-1791) », La Gironde de 1610 à nos jours, Actes du 104e Congrès national des sociétés savantes, Bordeaux, Paris, Bibliothèque nationale, 1981, p. 143-157.

24 ANOM, 1 DPPC 2510, BMS, Saint-Marc, 1780, Décès de Jacques Neau, 5 octobre 1780, f°13r.

25 En 1767, son épouse Marie Olivier le rejoint avec leur fille Jeanne à bord de la Pomone, commandé par Bouillac. L’année suivante, en 1768, Pierre et Jean-Baptiste, leurs deux garçons, ainsi qu’un de leur neveux, Jean-Bertrand, les rejoignent à bord de l’Aimable Rose, commandé par Gibert. Jeanne et Jean-Bertrand convolent en noces en 1783.

26 « 12 mai 1788. Pour son passage et celui de ses demoiselles… 3 300 livres », Fonds privé « Georgeon », non classé, Compte entre Madame Georgeon et Magnac Frères, 12 octobre 1790.

27 Francis Latreille, Yves Gaubert, L’Hermione. Dans le sillage de La Fayette, Paris, Gallimard, 2015.

28 Service Historique de la Défense de Vincennes, Marine, VI, Ms. 353, Registre de copies de lettres de Magnac Frères, 1787-1791, Magnac à Sazerac de Forge, de Bordeaux à Angoulême, 22 juillet 1789, p. 320.

29 Archives départementales de la Gironde (désormais ADG), 4E 704, BMS, Bordeaux, Saint-Louis des Chartrons, Mariage de Laurent Sazerac de Forge avec Marie Josèphe Louise Claire Georgeon, 22 décembre 1791, f°2v.

30 Effectifs des expéditions obtenus à partir des comptes conservés dans le fonds privé « Georgeon » entre Madame Georgeon et Magnac Frères (12 mai 1788, 12 octobre 1790, 14 octobre 1791, 18 juillet 1792).

31 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 9 août 1796.

32 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 20 novembre 1796.

33 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796.

34 Pierre Demageon, « La Poste maritime française », Les Cahiers de la FNARH, 98, 2005, p. 5-9.

35 Certaines lettres échangées par Marie-Elisbaeth Meaux et Laurent Sazerac de Forge se sont-elles trouvées parmi des papiers de prise ?

36 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

37 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 17 février 1797.

38 Ibidem.

39 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 21 août 1796.

40 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, après février 1797.

41 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

42 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, après février 1797.

43 ADG, 4E 704, BMS, Bordeaux, Mariage, Saint-Louis-des-Chartrons, n° 12, Louis Sazerac de Forge et Clarisse Georgeon, 22 décembre 1791, f°2v.

44 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 20 novembre 1796.

45 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, après février 1797.

46 Silvia Marzagalli, Bordeaux et les États-Unis, 17796-1792. Politique et stratégies négociantes dans la genèse d’un réseau commercial, Paris, Droz, 2015.

47 Nous remercions chaleureusement Madame Paméla de Montleau pour nous avoir communiqué une photographie du portrait de Laurent Sazerac de Forge.

48 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 21 août 1796.

49 Ibidem.

50 Ibidem.

51 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

52 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

53 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796. Le 27 décembre 1796, elle rappelle à Laurent Sazerac : « Je vous ai aussi autorisé par un pouvoir séparé et par la même occasion à régler mes comptes avec les citoyens Magnac Frères définitivement et le plus à l’amiable possible ». Et dans sa lettre d’après février 1797, elle confirme cette directive : « Je désire bien ardemment que vous régliez le plus à l’amiable possible ».

54 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 21 août 1796.

55 Vanessa Olry, La place des femmes dans les réseaux transatlantiques marchands nantais au XVIIIe siècle, mémoire de Master 2 sous la direction de Bernard Michon, Université de Nantes, 2019.

56 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 17 février 1797.

57 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

58 Ibidem.

59 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, après février 1797.

60 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796.

61 Alain Musset, Laurent Vidal (dir.), Les territoires de l’attente. Migrations et mobilités dans les Amériques (XIXe-XXIe siècle), Rennes, PUR, 2017.

62 Olivier Lazarotti, Habiter. La Condition géographique, Paris, Belin, 2006 ; Mathis Stock, « L’habiter comme pratique des lieux géographiques », EspaceTemps.net [en ligne], Travaux, 2004 [consulté le 5 janvier 2022]. URL : https://www.espacestemps.net/articles/habiter-comme-pratique-des-lieux-geographiques/

63 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 17 février 1797.

64 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 20 novembre 1796.

65 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

66 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 20 novembre 1796.

67 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796.

68 Jean-Christophe Temdaoui, « De la plantation vécue à l’indemnité perçue : le café du planteur de Saintonge-Angoumois, entre horizon, réseau et héritage (1771-1832) », communication prononcée lors de la journée d’étude « Produire du café dans les colonies françaises (XVIIIe-XIXe siècle) », organisée par M. Bernard Michon, Université de Nantes, 15 avril 2021 (à paraître).

69 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, après février 1797.

70 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796.

71 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 21 août 1796.

72 Ibidem.

73 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, après février 1797.

74 Ibidem.

75 Jérôme Louis, « La quasi-guerre (1798-1800), dans Isabelle Chave (dir.), Faire la guerre, faire la paix : approches sémantiques et ambiguïtés terminologiques, Actes du 136e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Paris, Éditions du CTHS, 2012, p. 35-48 ; Bernard Vincent, Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion, 2001 (1997), p. 83.

76 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 20 novembre 1796.

77 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 21 août 1796.

78 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 17 février 1797.

79 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796.

80 Archives municipales d’Angoulême, 1E 11, n°60, État-civil, Angoulême, Mariage de Jean-Nicolas Clavaud avec Agathe Georgeon, 27 février 1797 (9 ventôse an V).

81 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 5 décembre 1796.

82 Ibidem.

83 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 27 décembre 1796.

84 Fonds privé « Georgeon », Non classé, Lettre, Marie-Elisabeth Meaux à Laurent Sazerac de Forge, New-York, 17 février 1797.

Pour citer ce document

Par Jean-Christophe Temdaoui, «« Tout cela font des labyrinthes bien ennuyeux pour moi ». Les lettres de la veuve Georgeon à Laurent Sazerac de Forge : une correspondance transatlantique au temps des Révolutions (1796-1797)», Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie [En ligne], Dossier, 2022-6, Numéros parus, mis à jour le : 20/11/2023, URL : https://tierce.edel.univ-poitiers.fr:443/tierce/index.php?id=725.

Quelques mots à propos de :  Jean-Christophe Temdaoui

Jean-Christophe Temdaoui est professeur d’histoire-géographie au lycée Charles-Augustin Coulomb d’Angoulême. Docteur en histoire moderne, il est également chercheur associé au Criham - UR 15507. Ses travaux de recherche portent sur les relations entre l’arrière-pays de Saintonge-Angoumois et l’Atlantique, entendu dans ses dimensions océaniques et ultra-marines. Il interroge les expériences maritimes et coloniales des populations originaires de ce voisinage océanique dans une perspective d’histoi ...

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