Une histoire politique de l’environnement ? II : Anthropocène et histoire

Par Jérôme Lamy
Publication en ligne le 08 mars 2022

Résumé

L’Anthropocène a été proposée comme époque caractérisant l’empreinte des activités humaines sur la géologie. L’historien Dipesh Chakrabarty a proposé de nouer histoire humaine et histoire naturelle pour fonder une nouvelle manière pratique historienne : il conviendrait de saisir l’espèce humaine dans sa dimension intrinsèquement destructrice. Relayée par le philosophe Clive Hamilton, cette perspective a suscité des réponses critiques. La première, notamment portée par l’écologue Andreas Malm, vise à singulariser l’action prédatrice des capitalistes anglais du 19e siècle qui ont fait de la machine à vapeur un point de fixation de la classe ouvrière, au détriment de la force hydraulique. Le Capitalocène permet de restituer la dimension politique des transformations techniques et environnementales imposées par l’industrie du coton. Alf Hornborg prolonge cette voie critique en singularisant un Technoscène qui réintroduit les asymétries dans la circulation des flux de matières et d’argent. Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher ont ouvert une seconde voie de contestation des thèses de Chakrabarty en pointant notamment l’ancienneté des anxiétés environnementales. Dès le début de l’époque moderne, l’idée d’un agir humain sur l’environnement (chez Buffon notamment), nourrit une préoccupation politique du climat. La Révolution française puis la Restauration montrent comment les ressources forestières sont un enjeu puissant de débat pour caractériser les effets des activités humaines sur la nature. Le retour à une histoire politique de la nature, soucieuse de restituer les formes complexes d’appréhension du rôle des êtres humains dans leur environnement disqualifie les subsumptions hâtives entre histoire naturelle et histoire humaine

Mots-Clés

Texte intégral

1En 2000, le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer publient, un article pour caractériser une nouvelle époque géologique marquée l’empreinte humaine. L’holocène serait achevée et désormais, les activités des êtres humains sur Terre contribuent à changer l’environnement terrestre de façon radicale : « exploitation des ressources de la Terre », usage des énergies fossiles, transformation du sol (par l’agriculture notamment), rejets des gaz et des « substances toxiques » dans l’atmosphère :

« Compte tenu de ces impacts et de nombreux autres impacts majeurs et toujours croissants des activités humaines sur la terre et l’atmosphère, et à toutes les échelles, y compris mondiale, il nous semble plus qu’approprié de souligner le rôle central de l’humanité dans la géologie et l’écologie en proposant le terme “anthropocène” pour l’époque géologique actuelle. Les impacts des activités humaines actuelles vont se poursuivre sur de longues périodes »1.

2Le terme « anthropocène » n’est pas récent. Dominique Raynaud a ainsi montré que le terme russe « антропоцен (Anthropogène, avec un g) a été utilisé en URSS à partir des années 1920 pour désigner ce que les Occidentaux nomment l’ère Quaternaire »2. C’est ensuite par traduction que la littérature scientifique anglophone a employé « le mot Anthropocene » à partir des années 19603. Toutefois, c’est à partir du début des années 2000 que les réflexions, à propos de l’influence humaine sur la géologie terrestre – et plus globalement sur l’environnement – ont nourri un nombre considérable d’enquêtes et de réflexions historiques4. L’idée qu’il puisse exister une rupture dans l’ordre physique du monde qui soit imputables aux actions humaines invite à documenter l’historicité de ce processus, ses inflexions, ses causses et ses spécificités. Un grand nombre de discussions ont porté sur la date à laquelle pourrait débuter l’Anthropocène : du début de l’époque moderne (avec les échanges transatlantiques) jusqu’aux premières bombes nucléaires, l’empan chronologique est large. Ce dernier ne nous intéressera ici que dans la mesure où il permet de discuter l’histoire politique visée.

3En 20135 Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz publient, sous le titre L’événement Anthropocène, une première synthèse qui entend éclairer (et déconstruire) la façon dont les grands récits historique concernant l’intrication des activités humaines et de l’environnement naturel ont été forgés. Ils notent, dans l’introduction, que « l’Anthropocène est un événement, un point de bifurcation dans l’histoire de la Terre, de la vie et des humains. Il bouleverse nos représentations du monde »6. L’ouvrage interroge l’idée même de récit – et ce qu’elle charrie de fausses évidences :

« De l’Anthropocène, il existe un récit officiel : “nous”, l’espèce humaine, aurions par le passé, inconsciemment, détruit la nature jusqu’à altérer le système Terre. Vers la fin du XXe siècle, une poignée de “scientifiques du système Terre”, climatologues, écologues, nous a enfin ouvert les yeux : maintenant nous savons, maintenant nous avons conscience des conséquences globales de l’agir humain. Ce récit d’éveil est une fable. L’opposition entre un passé aveugle et un présent clairvoyant, outre qu’elle est historiquement fausse, dépolitise l’histoire longue de l’Anthropocène »7.

4C’est précisément cette question d’une politisation de la question anthropocénique qui est au centre de notre note historiographique8. Comment l’irruption d’une réflexion autour de l’agir humain et de ses conséquences sur l’environnement ont, dans la décennie qui vient de s’écouler, transformer les façons d’envisager la pratique historienne ? Quels sont les conséquences des options épistémologiques envisagées pour intégrer, dans cette recomposition des problématiques, les enjeux politiques des articulations entre pratiques humaines et forces naturelles ? En somme, comment peut-on construire une histoire politique l’environnement qui informe les manières de considérer l’agir humain sur le climat et l’environnement ?

5Nous prenons pour point d’appui, dans une première partie, une série de propositions contestées de l’historien du colonialisme et du capitalisme Dipesh Chakrabarty qui ont été relayées, notamment par le philosophe Clive Hamilton. Pour eux, l’enjeu d’une « anthropocénisation » de l’histoire, résiderait dans une radicale réévaluation des rapports (épistémiques) entre histoire naturelle et histoire humaine. Dans une deuxième partie, nous examinerons les conséquences d’une voie critique ouverte par Andreas Malm et Alf Hornberg. Pour eux, l’Anthropocène est un récit global qui ne tient pas compte de la structuration fine des sociétés humaines. Inspiré des thèses marxistes, les propositions de Malm, en particulier, visent à caractériser un Capitalocène qui pointe la responsabilité des dérèglements en cours en direction des forces dominantes de l’économie marchande dépendante d’une consommation toujours plus grande d’énergies fossiles. Enfin, la troisième partie de cette note historiographique explorera la voie critique ouverte par Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher. L’idée que nous vivrions, depuis une vingtaine d’années, une rupture en considérant l’impact destructeur de nos activités sur l’environnement, est historiquement fausse. De nombreux exemples historiques témoignent d’une inquiétude climatique ancienne et documentée.

6En interrogeant les fondements d’une histoire politique de l’Anthropocène, nous envisagerons les enjeux d’une tentation toujours renouvelée de produire un grand récit, capable de ramasser en quelques traits marquants des évolutions temporelles complexes. La critique du récit anthropocénique est l’occasion de rappeler à la fois l’intérêt des ressources anciennes de l’histoire des dominations et l’importance de considérer la question climatique dans ses formulations les plus diverses.

1- L’anthropocène comme convergence de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle ?

7Dipesh Chakrabarty, historien des classes ouvrières et spécialistes des subaltern studies, publie en 2009, un article programmatique, dans la revue Critical Inquiry, sur les conséquences de l’émergence de l’Anthropocène dans la pratique historienne9.

8Dipesh Chakrabarty considère les inquiétudes contemporaines sur l’environnement comme une rupture ontologique et épistémique et tente donc d’en repérer les contours. Il organise son argumentaire en quatre thèses.

9Le point de départ du raisonnement de l’historien est « l’hypothèse selon laquelle les explications anthropogéniques du changement climatique signent la ruine de la distinction humaniste entre histoire naturelle et humaine »10 - il s’agit de la première de ses quatre thèses. Chakrabarty repère une « montée en puissance de l’histoire environnementale à la fin du XXe siècle [qui] a considérablement élargi [la] brèche » ouverte par Fernand Braudel « dans la dualité histoire naturelle/histoire humaine (…) »11. Cependant si les historien·ne·s de l’environnement ont pensé « les êtres humains comme des agents biologiques », « les spécialistes du climat postulent [, eux,] que l’être humain est devenu quelque chose de bien plus vaste que le simple agent biologique qu’il a toujours été »12. La chronologie qui s’esquisse alors est assez resserrée puisque, selon Chakrabarty, « ce n’est que depuis la Révolution industrielle que les êtres humains ont commencé à acquérir cette puissance [agency], mais le processus ne s’est vraiment accéléré que dans la seconde moitié du XXe siècle. Les êtres humains ne sont devenus des agents géologiques que très récemment dans l’histoire humain »13. La conséquence de cette nouvelle perspective (i.e. « les êtres humains sont une force de la nature au sens géologique du terme »14) est radicale, puisque ce serait « l’un des présupposés fondamentaux de la pensée politique occidentale (devenue aujourd’hui universelle) [qui] se trouve dissout par cette crise »15. Chakrabarty cite, à l’appui de sa démonstration, les travaux de Bruno Latour sur « le politique » pensé comme «séparation du problème de la nature »16. Le sociologue soutient, depuis son ouvrage Nous n’avons jamais été modernes, paru en 1991, que la disjonction analytique entre les pratiques humaines et les phénomènes naturels fonde la modernité ; parallèlement cet écart n’est jamais concrètement mis en œuvre, puisque les entités humaines et non-humaines (i.e. les actants) seraient en permanence associés et liés les uns aux autres dans le cours même des actions17. L’historien des sciences Simon Schaffer a, très tôt, pointé les apories d’une telle position en signalant une forme de retour à un hylozoïsme qui confère aux choses des intentionnalités18.

10La deuxième thèse défendue par Dipesh Chakrabarty repose sur le fait que l’ « entrée  dans l’anthropocène (…) contraint à réformer profondément les histoires humanistes de la modernité/mondialisation »19. L’historien repart des débats sur la notion de la « liberté humaine » au 18e siècle et assure que « jamais dans [c]es débats (…) ne se manifesta la moindre conscience de la puissance d’agir écologique que les êtres humains étaient en train d’acquérir à travers des processus étroitement liés à leur affranchissement »20. Chakrabarty fait un lien entre le déploiement de nouvelles libertés et le fait qu’elles aient été « hautement consommatrices en énergie »21. L’historien soutient donc la proposition de Crutzen et Stoermer de singulariser le « nouvel âge géologique » qu’est « l’anthropocène »22. Le changement d’époque ainsi proposé n’a pas que des répercussions sur la façon de faire de l’histoire et de fixer des seuils chronologiques ; il est aussi une certaine façon de concevoir l’ordre politique dans lequel nous nous inscrivions :

« Doit-on dire que la période qui va de 1750 à aujourd’hui a été une période de liberté, ou doit-on la caractériser plutôt comme l’anthropocène ? L’anthropocène constitue-t-elle une critique des récits de la liberté ? L’impact géologique [agency] des êtres humains est-elle le prix que nous payons notre poursuite de la liberté ? D’une certaine façon, il faut dire que oui »23.

11Autrement dit, l’Anthropocène est la résultante d’un projet politique (celui des libertés) organisé depuis les Lumières. La délimitation d’un nouveau seuil dans l’histoire – matérialisant l’empreinte humaine sur le climat – serait en elle-même porteuse d’une charge politique manifeste.

12La troisième thèse de Dipesh Chabrabarty est davantage historiographique ; elle invite « à faire dialoguer les histoires mondiales du capital avec l’histoire des êtres humains comme espèce »24. Ici, l’historien soutient que

« la problématique de la mondialisation ne nous permet d’interpréter le changement climatique que comme une crise de la gestion capitaliste. Il ne s’agit certes pas de nier que le changement climatique a profondément à voir avec l’histoire du capital, mais la critique du capital ne suffit pas pour aborder les questions concernant l’histoire humaine dès lors que l’on a reconnu l’existence d’une crise du changement climatique et que s’est fait sentir la présence menaçante de l’anthropocène »25.

13L’intérêt d’un retour à une histoire biologique de l’humanité résiderait donc dans les conséquences organiques du réchauffement climatique. Nous sommes là très en deçà des structures sociales, culturels, politiques et économiques des sociétés humaines – dans une explication qui se situerait au niveau anthropologique. Chakrabarty revendique de s’intéresser en historien à l’histoire de l’espèce humaine. Il reconnait « que les différentes disciplines universitaires (…) envisagent différemment l’être humain »26. Il conviendrait donc « d’observer le rôle que la catégorie d’espèce a commencé à jouer parmi les chercheurs, et notamment chez les économistes, qui sont allés plus loin que les historiens dans l’étude de la nature de cette crise et son explication »27.

14Chakrabarty ne peut se résoudre à considérer l’histoire du capitalisme ou de la révolution industrielle comme le point de départ de l’Anthropocène. Il ne conteste pas que toutes les nations n’ont pas la même responsabilité dans le rejet massif du dioxyde de carbone. Mais il « enjoint (…) de mêler les chronologies irréductibles de l’histoire du capital et de l’espèce »28.

15La quatrième thèse de Chakrabarty est, en quelque sorte, la conséquence épistémologique de cette fixation sur l’espèce humaine dans son ensemble. Il s’agit désormais de considérer l’intersection entre « l’histoire de l’espèce et l’histoire du capital » comme « un processus par lequel sont explorées les limites de la compréhension historique »29.

16L’historien pointe en particulier la grande difficulté qu’il y a se concevoir comme espèce :

« La seule chose que nous puissions faire, c’est de comprendre intellectuellement ou de déduire l’existence de l’espèce humaine, mais jamais nous ne pouvons faire l’expérience de l’espèce en tant que telle. Il ne saurait y avoir de phénoménologie de ce “nous” en tant qu’espèce. Même si nous parvenions à nous identifier émotionnellement à un mot comme celui d’humanité, nous ne saurions pas plus ce que signifie être une espèce, car, dans l’histoire des espèces, les êtres humains ne sont qu’un exemple du concept d’espèce, au même titre que n’importe quelle autre forme de vie. Mais le fait d’être un concept ne peut faire l’objet d’une expérience »30.

17En recentrant les interrogations sur l’espèce, il s’agit de donner corps au « sens partagé d’une catastrophe »31. L’espèce serait donc un objet aux propriétés doubles (à la fois produit de l’évolution biologique et agent de la mondialisation) ; toutefois, sa circonscription analytique reste à définir plus précisément.

18Les quatre thèses de Dipesh Chakrabarty pointent toutes vers une révision épistémologique et politique à l’aune de la crise environnementale contemporaine. Elles déplacent l’objet d’enquête vers l’espèce et invitent à renouveler les dialogues entre sciences historiques et sciences naturelles. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens. Si le rôle de la révolution industrielle et du capitalisme n’est pas totalement oublié dans la démonstration, leurs ressorts principiels ne sont guère évoqués. De même, la superposition et l’amalgame des agents humains et naturels constituent – depuis longtemps – une impasse méthodologique32 et politique – incitant notamment à une forme de déresponsabilisation.

19Le philosophe Clive Hamilton a prolongé la perspective très homogénéisante du récit anthropocénique de Chakrabarty. Il entend congédier l’idée de la « catégorie de l’espèce, inéluctablement biologique »33. Comme telle, la notion « ne permet pas de sortir du cadre de l’histoire biologique »34. Hamilton plaide pour penser « l’unicité des humains – notre conscience, notre libre arbitre et, par-dessus tout, notre capacité de façonner le monde »35. Singulariser homo sapiens sapiens permettrait de restituer « les conditions historiques concrètes (structures sociales, inventions politiques) qui ont été la cause immédiate de l’Anthropocène »36. Hamilton ajoute qu’il est nécessaire de ne considérer qu’ « une seule et même vision » pour comprendre la rupture introduite par l’espèce humaine dans son rapport à l’environnement. Le philosophe propose de séparer « la cause proximale de l’Anthropocène et sa cause sous-jacente » et de se concentrer sur la première qui « ne se situe pas la nature de notre espèce mais dans la constellation des forces sociales et technologiques qui ont généré la révolution industrielle en Europe et ses développements sous des formes diverses (…) »37.La seconde cause indiquerait « la place et l’importance de la nouvelle époque dans la destinée et dans l’éclosion de la Terre »38. L’histoire extra-humaine, un temps remisé, se trouve ici réintroduite sous l’empire d’une superposition de l’histoire de la Terre et de l’histoire des êtres humains. La position d’Hamilton oscille entre spécificité des temporalités humaines et assimilation aux forces du monde naturel. Un terme pivot explique cette valse-hésitation dans la démonstration : « l’élément de la volonté (…) distingue les êtres humains en tant qu’espèce »39. C’est bien « une force capable de prendre des décisions [qui] a été injectée dans le système terrestre »40. Ici le philosophe veut compléter la thèse de Chakrabarty sur la confluence entre « histoire humaine et histoire géologique » ; il s’agit désormais ‘d’expliquer (…), l’injection du naturel dans l’humain »41. Toutefois, le prix (épistémologique) à payer pour cette incertitude autour des catégories (qui semblent, au moins en partie, interchangeables) est la recherche d’une sorte de fatalité historique : si on considère « l’Anthropocène » comme « un événement situé dans un déploiement plus vaste », alors « sa cause proximale » paraît « générée à l’intérieur de ce déploiement »42. L’évènement anthropocènique s’impose à la fois comme « un début (le début d’une nouvelle étape de l’histoire, des hommes et de la Terre), mais aussi un achèvement, un aboutissement, la réalisation d’un potentiel qui a toujours été présent depuis l’apparition des êtres capables de façonner la planète (…) »43. D’une certaine façon l’empreinte de l’humanité sur l’environnement aurait été inévitable – en raison des caractéristiques intrinsèques de l’espèce humaine. Et Hamilton de renouer avec une sorte de positivisme intégrale : « Je soutiens par conséquent que nous avons besoin d’une philosophie de l’histoire, c’est-à-dire d’une explication narrative du progrès de l’histoire humaine globale »44. Assumant, d’une certaine façon le retour d’un grand récit, le philosophe ressuscite une sorte d’hégélianisme anthropocénique, qui fait de la crise environnementale une fatalité de l’espèce humaine. Ce cadrage est tellement général qu’il annihile toute historicisation : rien n’échappe à la logique destructive de l’humanité. Pour Hamilton la cause (immanente) de la dégradation dramatique de la nature tient aux spécificités des êtres humains. Mais alors, que faire des catégories d’intellection sociologique comme les classes sociales ou les rapports de force économiques ? Sur ce point, le philosophe s’en tient à un diagnostic post-crise :

«  Même si l’expérience de l’Anthropocène variera considérablement, les pauvres et les vulnérables de la planète en étant les victimes les plus innocentes, les plus riches ne pourront y échapper vu leur dépendance accrue aux infrastructures centralisées, y compris pour l’approvisionnement en énergie, en eau et en nourriture, et compte tenu également du fait parfaitement établi que quand les individus deviennent plus riches, ils deviennent aussi plus réfractaires à l’idée de perdre leurs biens »45.

20Une nouvelle fois, Hamilton fait primer l’homogénéité de l’espèce humaine sur les différenciations sociales très profondes qui l’affectent. Toutes les forces en jeu sont globales et travaillent de façon relativement uniforme. Lorsqu’il parle de la mondialisation, le philosophe décrit une « homogénéisation matérielle » du monde impulsée par « la puissance stupéfiante du consumérisme et des marques (…) »46. L’Anthropocène n’est finalement que le dernier avatar d’un vaste processus d’ « élimination progressive de la différence dans un monde “globalisé” »47.

21Hamilton comme Chakrabarty défend une histoire « d’en haut », privilégiant les manifestations d’ampleur, les phénomènes immédiatement globaux et les logiques d’ensemble. Il en résulte une philosophie de l’histoire qui fait fi des modalités de différenciations des groupes sociaux et de résistances aux choix politiques imposés ou subis. Chez Hamilton, la philosophie de l’histoire anthropocénique est celle d’une fatalité de l’espèce humaine, intrinsèquement vouée à la destruction de son environnement.

22Dans ce type de convergence entre l’histoire géologique et l’histoire de l’humanité, la question politique disparaît, écrasée par les processus globaux et inéluctables. Il devient impossible de situer des rapports de force (même au cœur de la catastrophe, Hamilton ne fait aucune différence entre les pauvres et les riches), de penser des logiques de domination et, donc, de réactiver une histoire critique de la destruction environnementale.

23Précisément, deux voies ont été ouvertes pour penser une histoire politique de l’Anthropocène qui ne font pas l’impasse ni sur les structurations fines des sociétés humaines, ni sur les pièges d’un récit naturalisant la négligence climatique.

2- Le Capitalocène : environnement et accumulation

24Plutôt que de considérer l’Anthropocène comme un phénomène uniforme et global, Andreas Malm et Alf Hornborg, tous les deux écologues, ont proposé d’engager une réflexion sur les causes concrètes de l’usage des énergies fossiles responsables du réchauffement climatique. Dans un article paru en 2014, les deux chercheurs de l’Université de Lund explique que s’il est important de reconnaître l’intrication matérielle « de la nature et de la société », il est tout aussi crucial de conserver « leur distinction analytique » : « c’est précisément cette reconnaissance croissante de la capacité des relations sociales de pouvoir à transformer les conditions mêmes de l’existence humaine qui devrait justifier un engagement plus profond avec la théorie sociale et culturelle »48. Malm et Hornborg conteste également la vision totalisante de Chakrabarty, et insistent sur le fait que l’argumentaire de ce dernier « néglige de manières flagrante les réalités d’une vulnérabilité différenciée à toutes les échelles de la société humaine. (…) Si le changement climatique représente une forme d’apocalypse, elle n’est pas universelle mais inégale et combinée : l’espèce est tout autant une abstraction en bout de chaîne qu’à la source »49.

25Contre un récit abusivement uniforme et homogène, Malm et Hamilton ont proposé des lignes d’enquêtes complémentaires pour caractériser, avec l’émergence des forces capitalistes et industrielles, les causes fondamentales des transformations anthropiques du climat et de l’environnement. Malm a ainsi détaillé la nécessité de penser le Capitalocène comme la désignation adéquate d’une histoire sociale et politique de l’Anthropocène – nous verrons également qu’Armel Campagne a proposé un prolongement prometteur des thèses de Malm. Enfin, Hornborg s’est interrogé sur la pertinence d’une désignation d’un Technocène capable d’intégrer les rapports de force capitalistes et leurs implications techniques.

26Andreas Malm a réalisé une enquête historique sur la concentration des ouvriers, au 19e siècle, en Angleterre, autour des instruments de production de la machine à vapeur50. Des éléments substantiels de cette thèse importante ont été publiés en français sous le titre L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital51. L’ambition de Malm est de contester le bien-fondé épistémologique de la notion d’Anthropocène. Il s’agit donc de produire « une critique du récit de l’Anthropocène à partir de récits variés et d’esquisse[r] d’autres manières de voir ce monde qui se réchauffe rapidement : comme un monde de fractures profondes entre les humains »52. L’écologue conteste les propositions de Chakrabarty de considérer l’histoire de l’être humain en tant qu’espèce, articulée à l’histoire géologique. Selon lui « l’argument ne tient pas » puisqu’ « il néglige ouvertement les réalités d’une vulnérabilité différenciée à toutes les échelles de la sociabilité humaine (…) »53. De plus, le fait même de considérer l’espèce humaine comme un ensemble indistinct est un non-sens qui « conduit à la mystification et à la paralysie politique »54. Deux des chapitres de l’ouvrage concentrent les arguments historiques de Malm contre ce récit anthropocénique fondée sur le lissage des effets de domination entre les groupes humains.

27Malm entend d’abord préciser les contours « d’une histoire de l’économie fossile »55. Il s’agit en effet de préciser que « le climat sur la planète Terre est un produit du passé (…), le produit accidentel des deux derniers siècles »56. Car c’est en utilisant « des combustibles fossiles [que] certains humains ont, dans cette brève période, rempli l’atmosphère d’un excès de dioxyde de carbone sans précédent ces derniers millions d’années et c’est cet héritage moderne qui altère à présent nos conditions atmosphériques de façon spectaculaire »57. En pointant à la fois le rôle de certains humains (et non de l’espèce humaine dans son ensemble) et en ciblant les causes concrètes du réchauffement climatique (l’usage des énergies fossiles), Malm réintroduit une problématique historienne (i.e. la recherche de causalités complexes dans l’enchevêtrement des événements) et un questionnement politique (i.e. la critique de certains choix socio-économiques).

28Prenant le contre-pied de Dipesh Chakrabarty (qui plaidait pour une intégration de l’histoire humaine à l’histoire naturelle et géologique), Andreas Malm soutient qu’il est important « d’étudier l’histoire dans le climat »58. En se fixant sur les conditions sociales, politiques, économiques et même culturelles, il est possible non seulement de rendre raison du phénomène anthropocénique, mais en plus de dissoudre le mythe d’une causalité fatale reposant sur les spécificités de l’espèce humaine. L’écologue pointe quatre problématiques historiennes pour soutenir son projet d’enquête. D’abord, il remarque que « ce feu n’a jamais rien eu d’inévitable – il a été créé, non délibérément, mais activement, par des êtres humains au cours des deux derniers siècles (…) »59. Ce n’est donc pas une détermination humaine intangible que de détruire son environnement. Ensuite (et parallèlement), si la trajectoire énergétique prise a été celle de l’usage des combustibles fossiles, c’est au détriment d’ « alternatives » dont il faut recomposer la logique, car elles « pourraient contribuer à la recherche de stratégies de sortie »60. La « responsabilité historique »61 constitue un autre aspect à documenter, car dans l’histoire de l’épuisement des ressources et de la pollution, « certains en ont visiblement usé bien plus que d’autres »62. Et il est indispensable de restituer « la dynamique de l’histoire »63 indiquant « pour quelles raisons et au service de qui » ont été engagés les choix des énergies fossiles. Enfin, Malm, étend ses interrogations aux fondements anthropologiques d’une pratique conduit « l’humanité » à « vivre sur une planète invivable »64.

29Contre le récit abstrait et hors-sol d’une histoire de l’espèce humaine dont le comportement dévastateur est une fatalité, Malm soutient que « le fait historique fondamental du réchauffement climatique est le début de la consommation à grande échelle de ces combustibles (…) »65. C’est à partir de lui qu’il faut repenser toute l’histoire des deux derniers siècles (au moins) pour comprendre comme l’ « économie fossile »66 a produit des effets concrets sur l’environnement, en enchaînant extraction, consommation et pollution.

30Puisqu’il faut restituer les nervures complexes d’une chronologie des rapports de domination sous-tendant l’usage très dissymétrique des ressources fossiles, les études de cas sont indispensables pour comprendre comment se sont construits les flux d’échanges et les circuits d’extraction et de consommation. Malm évoque ainsi le cas de l’Inde au 19e siècle marqué par une circulation accrue de bateaux à vapeur sur « les fleuves indiens »67. L’exploitation du charbon (notamment à Raniganj) s’est intensifiée : c’est bien « l’introduction des bateaux à vapeur [qui] a fait naître l’industrie houillère » dans la première moitié du 19e siècle en Inde. Mais le processus est devenu plus important encore avec le déploiement du chemin de fer (à la fois moyen de communication et instrument de contrôle des populations)68. Le mouvement de captation des ressources fossiles est engagé par « des capitalistes britanniques, à partir du milieu du siècle »69 ; celui-ci se double d’un asservissement de la main d’œuvre paysanne présente alentours. Peu à peu c’est « la découverte du charbon [qui] a précipité l’occupation coloniale elle-même »70, comme sur l’île de Labuan, située « au large de l’extrémité septentrionale de Bornéo »71, préemptée par l’Angleterre sous la pression des groupes capitalistes : « l’Empire britannique a ainsi établi sa première tête de pont au nord de Bornéo »72. La population locale ne voulait pas servir de main d’œuvre pour l’extraction, « la seule solution, là encore, était le travail contrait ou quasi gratuit : des coolies de Chine ou de Bombay »73.

31La domination coloniale britannique a fait du charbon l’ « emblème de [sa] puissance »74 ; car c’est bien à l’échelle du monde que la quête de l’énergie fossile est devenue une modalité concrète de conquête et d’asservissement des populations. Le récit anthropocénique classique ne peut saisir les subtilités de cette montée en puissance d’un empire fondée sur l’extraction du charbon. Car ce ne sont pas tous les êtres humains de l’histoire de Bornéo ou de l’Inde qui désiraient exploiter le feu : sur ces territoires, « tous les humains qui savaient allumer et éteindre le un feu n’ont pas développé une économie fossile, loin de là, même s’ils avaient un accès direct au charbon et s’ils connaissaient son usage comme combustible »75. De plus « l’économie fossile a dû leur être imposée »76.

32Malm remarque très justement que cette histoire de l’extraction des combustibles fossiles n’est en rien l’histoire de l’espèce humaine dans son ensemble – en l’occurrence, ici, c’est bien « la classe dirigeante britannique (bientôt suivie par les classes dirigeantes françaises et américaine et celles de certains autres pays occidentaux) »77 qui est à la manœuvre. L’écologue ajoute que « les combustibles fossiles sont par définition un condensé de rapports sociaux inégalitaires, puisque aucun humain ne s’est jamais lancé dans leur extraction systématique pour satisfaire ses besoins vitaux »78.

33La recherche d’une date marquant le début de l’Anthropocène constitue – du point de vue de l’histoire de l’économie fossile de Malm sinon une aberration d’un moins une perspective un peu vaine. Dans toutes les datations proposées (1610 marquant les conséquences dramatiques de la domination post-Colomb en Amérique, 1945 instaurant la bombe atomique comme marqueur de l’emprise géologique humaine), aucune ne satisfait à une historicisation rigoureuse de l’avènement d’un mode de production et de consommation fondée sur l’exploitation des ressources fossiles. C’est à une révision complète de l’Anthropocène qu’il faut procéder :

« Il semble donc que “l’Anthropocène” puisse être utile à l’étude de l’histoire de l’économie fossile dans la mesure où elle se détache de ses liens avec 1) l’anthropos, l’espèce, et 2) le kainos, la délimitation nette. Les chercheurs seraient alors libres d’étudier la dynamique concrète de cette histoire humaine, bien trop humaine. Mais on peut alors se demander, bien sûr, ce qu’il reste de l’Anthropocène »79.

34Si le capitalisme est le moteur principal de l’économie fossile, en Angleterre d’abord, il reste à éclaircir le cas de l’Union soviétique, dont la consommation de ressources naturelles et l’exploitation environnementale n’ont rien eu à envier aux pays occidentaux. Malm parle d’un « stalinisme fossile » qui correspond à « la maximisation du pouvoir de la bureaucratie au moyen des combustibles fossiles »80. Et ceci n’enlève rien à la pertinence analytique du « capitalisme fossile »81, comme moyen de description d’une préemption violente sur les ressources naturelles et les forces de travail.

35Andreas Malm défend donc un « programme de recherche » qui délimite les contours d’un « capital fossile » et suit la trajectoire des « agents » qui ont conduit ses transformations politiques et économiques82. L’étude du « Capitalocène »83 vise donc « la dynamique concrète, contingente, combinée et très inégale qui jaillit des pages des archives de l’économie fossile »84. Le chantier ainsi ouvert tient de l’ « enquête critique » qui chercherait à comprendre « comment la structure de l’économie fossile s’est développée à partir de sa terre natale britannique jusqu’à englober la plus grande partie du monde, s’enracinant dans les formations sociales les plus variées, en lien étroit avec le processus d’accumulation du capital et les rapports qu’il suppose (…) »85. L’écologue, en réintroduisant une histoire des asymétries constitutives du capitalisme, rompt avec l’essentialisation de l’Anthropocène qui se concentrerait sur une espèce homogène, composée d’individus impliqués tous de la même manière dans les processus de pollution et de dégradation de l’environnement.

36Puisque le cas anglais semble être matriciel, Malm se propose de revenir aux conditions concrètes de formation de l’économie fossile de la Grande-Bretagne. Elle condense les traits saillants d’un Capitalocène attaché à l’extraction sans limite des ressources et à l’asservissement des forces de travail. En effet, « le passage de l’eau à la vapeur dans l’industrie du coton britannique »86, permet de mieux saisir les ressorts de la dynamique préemptrice du Capital sur l’environnement. C’est un usage bien précis du charbon qui inaugure l’époque du Capitalocène : il est en effet nécessaire que cette matière soit comprise comme « une source d’énergie mécanique – et plus précisément, de mouvement rotatif »87. Car, « ce n’est qu’en associant la combustion du charbon à la rotation de la roue que les combustibles fossiles ont pu enflammer le processus général de croissante : l’accroissement de la production – et du transport – de tous types de marchandises »88. Cependant, l’innovation technique de James Watt ne peut être considérée comme le point de départ du Capitalocène. Ce serait un terrible réductionnisme historique – heureusement dépassé aujourd’hui – que de considérer l’artefact comme le point de focalisation d’un mouvement aussi massif que la généralisation de l’économie fossile. Et Malm souligne à bon droit que « la simple existence d’une machine à vapeur attestée par les droits de l’inventeur ne nous dit rien des proportions dans lesquelles ces machines ont été réellement installées, de leur fonction dans l’économie ou de leur propension à émettre du dioxyde de carbone »89. L’industrie du coton constitue « le débouché naturel » du « produit » de Watt ; il y a, en ce domaine, « un vaste marché »90 potentiel. Mais le passage à la machine à vapeur dans l’industrie n’ « eu (…) rien d’automatique ni de prédestiné »91.

37En effet, l’industrie du coton commence son développement grâce à la force hydraulique. La disponibilité de l’eau comme source d’énergie constitue même « une barrière qu’il fallait renverser pour que l’économie fossile émerge »92 – car c’est une fois le secteur du coton conquis que la machine de Watt et le charbon s’imposeront dans les activités industrielles.

38Malm propose une critique très élaborée d’« un grand récit de la révolution industrielle »93, porté notamment par E.A. Wrigley94 selon lequel « la dépendance à l’égard de la terre fixe un plafond bas à la production industrielle. Les combustibles fossiles font voler en éclats ce plafond »95. Suivant les thèses de Ricardo et de Malthus (Malm parle d’un « paradigme ricardiano-malthusien »96), Wrigley considère le passage à la vapeur comme une réaction à une situation bloquée. Cependant, note Malm, cette explication historique «  a un certain nombre de défauts flagrants ».97 D’abord, ce ne sont pas « les forces motrices dérivées de la photosynthèse » qui ont été privilégiées dès le début du mouvement industriel britannique, « mais l’eau »98. Ensuite, l’idée qu’ « il existe une soif inhérente à toutes les sociétés, qui veulent toujours plus d’énergie » que « la Grande-Bretagne a fini par pouvoir satisfaire »99 suppose de recourir à « un facteur transhistorique, un désir partagé par toutes les sociétés qui trouve à s’assouvir dans les mines de Grande-Bretagne »100. Cette forme de « destinée historique »101 ne peut constituer un argument historique recevable : l’immanence d’une pulsion universelle constitue, au mieux, un pis-aller épistémologique, au pire, un refus de considérer les spécificités des structures sociales et économiques dans lesquelles s’est organisé le Capitalocène.

39Malm rappelle donc que « le choix de la force motrice était la prérogative des capitalistes »102. Il s’agissait bel et bien de fixer « les ouvriers (…) sous l’œil d’un manufacturier, qui les payait pour qu’ils travaillent sur ses machines (…) »103. Dès la fin du 18e siècle, un certain nombre de filatures urbaines utilisent le dispositif de Watt. C’est donc « quelque part entre le milieu des années 1820 et la fin des années 18030 (…) [que] la vapeur a commencé à faire jeu égal avec l’eau dans l’industrie du coton puis, rapidement, elle l’a détrônée »104. Parallèlement, « une série de décisions (…) ont mis fin à l’expansion de l’énergie hydraulique dans l’industrie du coton (…) »105. Ce n’est donc par la machine en vapeur en elle-même qui s’est imposée comme le moyen de développer l’économie du coton. D’une certaine façon, de nouveaux dispositifs politiques et marchands ont fait une place à l’énergie fossile – et rendus le recours à l’hydraulique plus complexe.

40Malm conteste une série d’arguments sensés expliquer la montée en puissance de la machine à vapeur au détriment de l’eau : il n’est pas vrai que la Grande-Bretagne ait connu une crise des ressources hydrauliques au début du 19e siècle ; de même, les engins de Watt n’ont pas été immédiatement plus performants que « les routes hydrauliques »106 ; enfin l’énergie hydraulique était nécessairement moins coûteuse que le charbon (puisqu’elle était gratuite)

41Le seul élément réellement déterminant dans la progressive domination de la machine à vapeur sur l’énergie hydraulique réside dans la fixation progressive de la force de travail humaine. En ce domaine, les sources ne manquent pas pour attester une intention capitaliste nettement discernable.

« Dans les manuels sur les machines à vapeur, les essais sur le système des usines, les témoignages des manufacturiers et d’autres sources contemporaines, c’est la raison qui ressort à chaque fois : la vapeur permettait d’accéder à la ville, où d’abondantes réserves de main d’œuvre attendaient. Non que la machine à vapeur ait ouvert de nouvelles réserves d’une énergie qui faisait cruellement défaut, mais elle a donné accès à une main d’œuvre exploitable. Alimenté au charbon et non par les cours d’eau, elle délivrait le capital de ses chaînes spatiales, un avantage suffisamment grand pour l’emporter sur l’abondance, le bas coût et la supériorité technologique constants de l’eau »107.

42Malm réinterroge donc les déterminants sociaux, techniques et politiques qui ont joué dans ce rattachement urbain de la main d’œuvre à la machine à vapeur. Pour cela, il pointe trois inflexions majeures. D’abord, l’énergie hydraulique « devait être utilisée immédiatement et sur place »108. Il fallait, aux capitalistes, organiser a minima l’accueil de cette force de travail. Une « colonie » comme celle de Cromford supposait des infrastructures de logement mais aussi « une église ou une chapelle, une École du dimanche, une boutique, sans doute des routes et des ponts, peut-être aussi une auberge, et bien sûr un manoir pour le directeur »109. L’intensité des mouvements sociaux dans le secteur du textile met en lumière l’importance de la force de travail ouvrière : « par sa logique même, la colonie-usine rendait les licenciements, le recrutement de briseurs de grève, les émeutes et leur répression risqués et potentiellement ruineux (…) »110. Dans les campagnes, à proximité des cours d’eau (là, donc où se trouve la force motrice de l’industrie), la mobilisation des ouvriers est plus difficile qu’en ville. Si bien que « les années 1830 » correspondent au stade du « développement capitaliste (…) parvenu à un point où le principal avantage de la vapeur – sa mobilité spatiale – l’emportait sur tous les autres facteurs »111. De plus, les rivières et les fleuves, qui distribuaient l’énergie hydraulique, étaient soumis « aux fluctuations météorologiques »112. La disponibilité de la main d’œuvre paysanne permettait un arrangement entre des périodes de production à l’usine et du travail dans les champs. Mais « les filatures de coton du début du XIXe siècle fonctionnaient selon d’autres principes. Elles étaient tournées vers des marchés mondiaux, conçues pour maximiser le rendement, construites avec le profit comme seule raison d’être – et les journées de travail devaient donc être longues »113. En face, « les machines à vapeur (…) étaient indépendantes des conditions météorologiques »114. De fait, l’instrument de Watt permet de concilier deux contraintes propres à la fixation du capital : d’une part une maîtrise de la main d’œuvre, d’autre part une source continue d’énergie. C’est là que « le capital britannique a trouvé la source idéale de son pouvoir de classe » ; et « la base ultime de tout ce pouvoir était dans ce petit détail : la machine devait être alimentée au charbon »115.

43Le travail empirique d’Andreas Malm vient nourrir une « théorie du capital fossile » qui s’oppose non seulement au « paradigme ricardiano-malthusien »116, mais également aux propositions de Dipesh Chakrabarty. Suivant, « la conception marxienne canonique de la spécificité de la croissance capitaliste », l’écologue soutient en effet que « la compulsion d’accroître l’échelle de la production humaine n’est pas un attribut de l’espèce humaine présent (…) depuis le commencement de l’histoire », mais bien « une propriété émergente des rapports de propriété capitalistes »117. Il a été nécessaire de joindre « la force de travail et les moyens de production »118 pour enclencher le processus d’accumulation.

44Les propriétés sociales de la ville – par la main d’œuvre disponible et fixe qu’elle apportait – rendaient possible l’usage de la machine à vapeur (au détriment de la force hydraulique). C’est ainsi que « les rapports de propriété capitalistes ont engendré une concentration spatiale (…) »119. Malm montre parfaitement que « le capital ne circule pas dans l’espace et dans le temps (…) ; il produit en réalité son propre espace-temps abstrait »120. Et « le substrat matériel nécessaire de cette spatio-temporalité (…) est le combustible fossile », puisqu’ « il représente la compression du temps et de l’espace requis pour la photosynthèse il y a des centaines de millions d’années (…) »121.

45Andreas Malm remet donc en cause l’intérêt épistémique de l’Anthropocène en tant qu’il constitue un instrument analytique uniquement centré sur l’espèce humaine. Le développement du Capitalocène qu’ il lui oppose a le mérite de se fonder sur l’explication d’un processus historique repérable : celui du passage à la machine à vapeur dans l’industrie britannique du coton. Et aucunes des explications données pour dégager les ressorts de cette évolution (notamment le « paradigme ricardiano-malthusien ») ne sont satisfaisantes – car elles omettent de restituer le contexte précis de l’usage des forces hydrauliques dans la première moitié du 19e siècle. C’est bien la nécessité capitalistique d’une fixation de la main d’œuvre en ville qui motive le passage à l’économie fossile.

46Dans un ouvrage précisément intitulé Le Capitalocène, Armel Campagne revient notamment sur le travail d’Andreas Malm. J’exposerai plus précisément ici les pistes de prolongement des analyses de Malm qu’Armel Campagne développe. Il s’agit notamment de ne pas « en rester à une histoire de l’essor du capitalisme fossile en Angleterre, dans son Empire colonial et dans ses ex-colonies, puisque cela rendrait inintelligible une partie de l’histoire du dérèglement climatique et du Capitalocène »122. L’enjeu est bien de viser « une histoire globale de l’expansion du capitalisme fossile du XIXème au XXIème siècle, et notamment comprendre à partir de quelles racine l’essor du capitalisme fossile a eu lieu hors du système-monde britannique »123.

47Le cas français permet d’affiner encore la définition du Capitalocène. Armel Campagne prend comme point de départ la situation économique difficile de la France après la guerre de Sept ans et l’arrivée au pouvoir « des proches des physiocrates »124. Leur objectif est « d’opérer une transformation sociale répliquant l’accumulation primitive du capitalisme anglais : enclosure des communaux et des droits d’usage, etc. »125. Les « tentatives de libéralisation du commerce des grains »126 ont entraîné de nombreuses révoltes – scellant l’échec des reformes. La « libéralisation externe » visant à instaurer « une pression concurrentielle » via « un traité de commerce libéral avec l’Angleterre »127 n’eut pas plus de succès. Et, pour une part, « la Révolution procède (…) d’une incapacité de l’Ancien Régime français tardif à se réformer pour faire face au péril militaro-commercial de l’Angleterre, et un raidissement consécutif des ordres privilégiés – menacés dans leurs privilèges – et des ordres non privilégiés – écrasés d’impôts »128. Même « le réformisme libéral » qu’inaugurent « les trois premières années de la Révolution française » 129, ne parvient pas à mettre en œuvre l’ « essor du capitalisme agraire »130. Il en va de même pour la période napoléonienne marquée par « un développement limité de certaines industries (textiles, armement, etc.) sans compulsion de croissance (…) »131. Finalement, note Armel Campagne, « c’est d’une Angleterre en pleine industrialisation fossile et au réseau de chemin de fer en expansion qu’une fois de plus provient l’idée d’une nécessaire modernisation de rattrapage (…) »132. Le réseau ferré devient, en France, avant le milieu du 19e siècle, un moyen d’homogénéiser l’espace économique et de connecter les sites de production. Napoléon III, « idéologue saint-simonien participe à la mise en forme d’un « capitalisme français »133 qu’il met immédiatement en concurrence avec celui de l’Angleterre. Armel Campagne pointe donc ici la possibilité « d’écrire une histoire de l’essor du capitalisme fossile en France comme une modernisation de rattrapage tardive, impulsée étatiquement (…) »134. Mais l’historien apporte un élément supplémentaire à l’analyse : il pointe l’importance « de l’impérialisme fossile »135, en prenant l’exemple de l’Indochine et de ses ressources en charbon. Surtout, « l’impérialisme fossile en Indochine est, en fait, d’abord un sous-produit de l’impérialisme naval »136 qui exige une grande quantité d’énergie. Les navires à vapeur doivent être réapprovisionnés régulièrement et les possessions coloniales sont autant de points de ravitaillement pour maintenir la pression impérialiste. Dès la fin du 19e siècle, les traits principaux « du capitalisme houiller au Tonkin » émergent : « il s’agit d’une production tournée en priorité vers l’exportation, indifférente aux besoins des colonisé·e·s (…) »137. La grève des ouvriers du charbon en 1936 met au jour la politique capitaliste des industriels : « retard du paiement des salaires, (…) brutalité très marquées des surveillants, (…) système d’amendes aboutissant à une véritable extorsion, (…) “taudis” anciens, sombres, mal aérés, payants, chers et surtout minuscules (…) »138. La production est orientée vers l’Asie – et tout particulièrement le Japon. La défaite française de 1954 n’arrête pas l’impérialisme de la Société Française des Charbonnages du Tonkin qui « tente d’enrayer une inévitable décolonisation de ses installation houillères, avant de parvenir à obtenir, grâce à un fort soutien de l’État français, une confortable indemnité d’un million de tonnes de charbon »139.

48Les analyses d’Armel Campagne permettent de consolider et d’étendre la thèse d’Andreas Malm en proposant un décentrement du cas britannique. Le Capitalocène apparaît comme une théorisation prometteuse, puisqu’elle permet de penser plusieurs cas nationaux aux chronologies différentes. Il reste à envisager une synthèse générale qui permettrait de concevoir une histoire globale du Capitalocène – celle de la configuration progressive d’une économie fossile produisant ses propres cadres spatiaux et temporels d’appréhension des ressources et de déploiement des rapports de force.

49Alf Hornborg a également interrogé la question de l’irruption historique du capitalisme pour caractériser les forces destructrices de l’environnement. Cependant, son approche, si elle est proche de celle de Malm, emprunte à l’histoire du capitalisme ses spécificités technologiques. Hornborg soutient en effet, que « l’essence du pouvoir capitaliste » se situe « dans une relation de récurrence entre un certain type d’infrastructure matérielle, d’une part, et la capacité de s’approprier la force de travail et les ressources de personnes tierces »140. Et c’est « cette définition du capital, fondée sur l’appropriation » qui doit permettre de « repenser notre conception de la technologie. En l’espèce, explique Hornborg, la technologie ne désigne ni les plans détaillés, ni les connaissances en ingénierie indispensables pour construire une machine ou une infrastructure particulière, mais bien cette machine ou cette infrastructure en tant qu’entité matérielle dont le fonctionnement dans le temps nécessite des apports en combustibles et un travail d’entretien »141. Ce qui est nécessaire au Capital, c’est que « la technologie moderne est inextricablement dépendante de débits de ressources organisés par l’économie »142. Hornborg soutient que cette perspective est cruciale pour répondre aux attentes d’une histoire de l’Anthropocène qui intègre les sciences de la nature, tout en spécifiant les forces sociales à l’œuvre.

50Prenant appui sur le cas de la Grande Bretagne et « l’apparition de la production thermique », à la fin du 18e siècle, Hornborg caractérise « le progrès technologique » comme une « économie ou (…) une libération de temps humain et d’espace naturel dans les régions situées au cœur du système mondial, au détriment d’une perte de temps et d’espace à la périphérie »143. L’écologue nomme « ce phénomène l’appropriation de l’espace-temps ; il implique des « flux asymétriques de temps de travail incorporés dans les économies modernes » et des « flux asymétriques de terres incorporées (…) » (i.e. « l’échange écologiquement inégal »144). Ancrant sa réflexion dans les travaux de Braudel et de Marx et considérant le temps comme un facteur stratégique pour toute économie qui cherche inévitablement « à déplacer les charges de travail vers les autres », Hornborg soutient « que le phénomène du “développement technologique” n’est en fait qu’une enième stratégie de ce type »145. La destruction environnementale apparaît alors comme le résultat d’un processus capitaliste qui, par délégations successives des moyens techniques, capte de façon asymétrique des ressources naturelles. L’écologue interroge la portée morale de ce phénomène. Il assure donc

« pour [s]a part que les flux asymétriques des ressources dans le système mondial moderne sont effectivement répréhensibles sur le plan moral parce qu’ils impliquent que la croissance économique et le progrès technologique dans les régions du cœur se sont pour l’essentiel aux dépens de leurs partenaires commerciaux dans d’autres parties du monde. Les gains nets induits par le travail et les terres incorporés qui sont une condition préalable de l’expansion du noyau depuis deux siècles se sont traduits par une perte nette de ces ressources pour les autres parties du système mondial »146.

51Cette posture morale implique un questionnement politique sur l’histoire des échanges – et plus particulièrement de l’argent. L’émergence d’une « adoration croissante du commerce et de l’accumulation (…) aux débuts des temps moderne renvoie à l’importance croissante de l’argent dans les nations marchandes de l’époque »147. L’écart entre les « sociétés agraires » (fixées sur « l’exploitation de l’énergie solaire ») et « les sociétés mercantiles » (vouées « à la gestion de l’argent »148) se matérialise précisément à travers une asymétrie puissante entre des régions détentrices de capitaux financiers et des régions sur lesquels les empires occidentaux prélèvent des flux de matières. La technologie doit être replacée dans ce schéma pour que soient saisies ses spécificités anthropocénique. Or, note Hornborg, « la technologie des combustibles fossiles, pas moins que les galères ou les chaînes d’esclaves, étaient un moyen d’exploiter la force de travail, que ce soit dans les colonies ou dans le centre névralgique de l’empire (…). La percée technologique de la machine à vapeur de James Watt ne serait pas produite, pas plus qu’elle n’aurait été considérée comme utile, s’il n’y avait pas eu une demande importante de tissu de coton bon marché de la part des trafiquants d’esclaves de l’Afrique de l’Ouest et des propriétaires d’esclaves américains »149. La technologie se trouve prise dans le processus d’accumulation monétaire des empires européens et s’impose comme un mode (parmi d’autres) de captation des forces énergétiques. Hornborg invite à « repenser la machinerie et l’infrastructure industrielles pour les voir comme des cristallisations des relations d’échange social (…) ».150 Cette façon de concevoir la technologie – un instrument de mobilisation des flux de matériaux, d’énergie et de travail – invite à considérer la problématique de l’Anthropocène comme une approche trop simpliste, ignorant le concret des échanges marchands et leur violence intrinsèque. Si Hornborg centre son propos principalement sur « la Grande Bretagne du XIXe siècle », c’est notamment parce qu’elle inaugure le « basculement [qui] a provoqué le relâchement d’une très ancienne contrainte, celle constituée par l’extraction de l’énergie, bois de chauffe ou fourrage pour les bêtes de sommes, à partir de la surface des terres, qui étaient alors un facteur de production »151. En tenant compte du flux d’énergie et de ressources naturelles prélevé sur les colonies, « la Grande-Bretagne représentait un espace géographique de plusieurs fois la taille du pays »152.

52Hornborg spécifie encore l’idée d’un Capitalocène qui se trouve également être, sous certains aspects, un Technocène – c’est-à-dire la capacité instrumentée d’extraire des quantités d’énergie et de matière notamment des territoires colonisés. Mais il y a plus. Car dans sa démonstration l’écologue insiste sur la « conception moderne de l’argent (…) qui a rendu possible l’échange de marché inégal, l’appauvrissement et le sous-développement technologique »153.

53Loin d’un Anthropocène uniformisé et global, le Technocène défini par Alf Hornborg est une sophistication théorique du Capitalocène qui prend au sérieux la nature des échanges de ressources (énergétiques et naturelles) dans l’histoire des empires coloniaux. Cette réintroduction des dissymétries structurelles dans l’histoire du capitalisme procède bien d’une interrogation proprement politique sur les causes du dérèglement climatique. Malm, Campagne et Hornborg ont en commun d’avoir pensé la rupture contemporaine à partir de phénomènes socio-économiques inscrits dans le temps et résultants de déséquilibres politiques ancrés.

3- L’histoire longue de l’inquiétude environnementale

54Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher ont proposé une autre critique des propositions de Dipesh Chakrabarty, visant cette fois l’oubli de discussions très anciennes sur les déséquilibres climatiques. En effet, considérer l’Anthropocène seulement comme une articulation réussie de l’histoire géologique et de l’histoire de l’espèce humaine mène à une forme d’impuissance historienne : le schéma retenu d’un récit anthropocénique qui prend l’inquiétude environnementale contemporaine comme point d’appui néglige toutes les formes précédentes d’angoisses climatiques. Bien sûr ce type de discours anxieux quant aux effets de l’activité humaine sur l’atmosphère ou la nature en général est dépendant des cadres politiques, scientifiques, intellectuels et culturels de l’époque dans laquelle il prend forme. Mais, précisément, prendre au sérieux ces archives de l’inquiétude climatique, permet de penser différemment la façon dont est envisager la crise environnementale contemporaine, qu’à trop vouloir subsumer sous l’Anthropocène on risque de singulariser abusivement.

55Fressoz et Locher livre d’abord en 2010, un texte intitulé « Le climat fragile de la modernité. Petite histoire climatique de la réflexivité environnementale » sur le site La vie des idées154. Les deux historiens réfutent « l’idée que la prise de conscience de l’agency géologique de l’humanité constitue un point de rupture radicale avec les schèmes culturels constitutifs de la modernité, caractérisés de longue date par une conception restrictive des effets de l’agir humain et l’incessante réaffirmation de la division entre histoire naturelle et histoire humaine »155. La faiblesse du raisonnement de Chakrabarty s’enracine dans le peu de considération pour « la réflexivité environnementale des sociétés passées », ce qui « dépolitise l’histoire longue de la dégradation environnementale ». Il importe donc, « pour comprendre la réflexivité environnementale des sociétés des XVIIIe et XIXe siècles » de « se déprendre de nos catégories dichotomiques (inné/acquis, cors/environnement, vivant/inerte, nature/société) pour penser dans lieu épistémique aujourd’hui disparu, la théorie des climats, où s’intriquaient agir technique, forme politique, environnement et corps ». Si l’Anthropocène opère comme un mode de déhistoricisation radicale de la question environnementale, Fressoz et Locher plaide pour l’exact inverse : il s’agit de rendre aux sociétés passées leur manière d’évoquer l’environnement – sous l’empire des climats. Notons que cette façon de considérer l’histoire des préoccupations sur la nature et l’action humaine est aussi un moyen de construire une histoire politique de l’environnement. En effet, en restituant les préoccupations climatiques de chaque époque, ce sont toutes les formes constituées d’action collective qui sont interrogées.

56Cet article de 2010 dans La vie des idées énumère un certain nombre d’exemples précis d’articulation de l’inquiétude environnementale et de questionnements politiques. Toutefois, c’est un dans ouvrage récemment paru – intitulé Les révoltes du ciel. Le changement climatique XVe-XXe siècle – que Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher déploient un grand nombre de situations historiques paradigmatiques156. Les historiens défendent et illustrent empiriquement une série de thèses qui convergent vers une critique du surgissement de la question anthropocénique. Ils soutiennent donc «  les sociétés européennes n’ont pas traversé des siècles de soubresauts climatiques ni vécu le petit âge glaciaire sans se préoccuper de l’évolution du climat »157. Il s’agit bien plus que d’une contemplation passive des événements climatiques, puisque « la conviction en un agir climatique humain a marqué profondément, sur le long terme, les sociétés européennes »158. Le projet d’une maitrise (même partielle) des éléments naturels n’est pas propre à la période contemporaine – il s’agit d’une attitude que l’on peut repérer dès le début de l’époque moderne. Fressoz et Locher précisent qu’il ne s’agit pas, en ancrant empiriquement cette histoire de l’emprise humaine sur le climat, de « chercher “l’origine” de notre souci climatique actuel » ; l’enjeu est bien davantage d’ « écrire l’histoire d’une “réflexivité”» – d’une façon de penser le rapport à l’environnement – qui a profondément marqué, pendant plus de quatre siècles, les sociétés européennes »159. Cette manière d’envisager l’action sur l’environnement a constitué « un cadre de pensée et d’action au service de l’expansion impériale européenne », pendant « la colonisation se pense et se donne à voir comme une entreprise de restauration de la Nature »160. Cette action sur l’environnement a pris corps grâce à la mobilisation de savoirs spécifiques : « la science s’est [ainsi] emparée, de très longue date, de la question des changements climatiques »161. Surtout, ces réflexions, ces connaissances et ces actions sur l’environnement ont été menées, très tôt, « à l’échelle de la planète et des continents »162. Fressoz et Locher contestent le bien fondé des problématiques historiennes centrées sur « l’origine de la “prise de conscience environnementale” »163. Cette façon d’envisager le rapport aux transformations de la nature sous l’empire d’une révélation soudaine « produit des récits téléologiques (…) et enferme dans une généalogie intellectuelle »164. Au contraire, il s’agit de construire une histoire qui tienne compte de l’évolution des sensibilités à la fois politique et environnementales et de la sédimentation de conceptions anciennes des climats. La Révolution française va ainsi faire advenir la crainte d’un « effondrement climatique »165 qui constituera rapidement un « outil pour gouverner les usages populaires de la nature »166. L’importance des débats parlementaires sur la question forestière montre qu’au 19e siècle, c’est bien « l’essor du capitalisme libéral en France »167 qui entretient une tension forte autour des réserves ligneuses et de leur exploitation. Fressoz et Locher assurent – dans la vaste chronologie qui est celle de leur enquête – que « la fin du XIXe siècle » correspond à une rupture nette dans la façon de concevoir l’agir climatique : « les sociétés européennes se sont [alors] rendues insensibles à la menace d’un changement climatique »168.

57L’ensemble de ces thèses s’opposent aux propositions de Dipesh Chakrabarty et, même si les auteurs ne font plus qu’incidemment référence à l’historien américain, c’est bien sa conception d’une histoire superposée de la nature et des sociétés – d’une fatalité anthropocénique – qui est contestée dans Les révoltes du ciel. En restituant l’épaisseur historique des questionnements sur la préoccupation environnementale, Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher contrecarrent non seulement la prétention à une subsumption des sciences sociales par les sciences de la nature, mais ils défont l’imaginaire contemporanéiste d’une crise climatique récente. Je donnerai ici quelques-uns des exemples développés par Fressoz et Locher pour donner à voir la construction de leur argumentaire.

58Le cas du naturaliste du 18e siècle, Georges-Louis Leclerc de Buffon permet – très précisément – de contester la thèse de Chakrabarty. Ses arguments sur « l’agir climatique » s’enracinent dans une série de « discours sur la colonisation de l’Amérique du Nord » et de « récits sur l’histoire de l’Europe » qui forment une « thèse (…) double » : « d’abord, elle célèbre la puissance de l’humanité qui façonne la nature à son image » 169ensuite, elle « fonctionne aussi en tant qu’opérateur de hiérarchisation des sociétés et des trajectoires de civilisation » – alimentant ainsi « la grande division, sans cesse renégociée, entre “eux ” et “nous” »170. Or Buffon a développé ce double argumentaire dans ses Époques de la nature qui multiplient les « références au changement anthropique des climats »171. Dans les différentes périodes de « l’histoire du globe terrestre » dont le naturaliste dresse la liste, « la dernière est celle qui a vu l’avènement de l’humanité comme force globale (…) » ; il s’agit d’ « un anthropocène, où agir humain et processus naturels s’interpénètrent pour créer une nouvelle nature à l’échelle de la planète »172. Plus spécifiquement, l’action sur l’environnement doit s’entendre comme une double acception : « la domestication, l’acclimatation, la sélection des espèces animales d’une part, et la transformation du climat par l’Homme de l’autre »173. Buffon soutient qu’il est possible de moduler le climat « en boisant et déboisant judicieusement (…) » – il s’agit, pour « l’humanité (…) de seconder, d’embellir et de fertiliser la Nature »174. La naturaliste tire des capacités relatives à façonner l’environnement « une échelle des civilisations »175.

59La théorie de Buffon s’articule à une histoire cosmologique qui considère l’évolution « de la Terre comme celle d’un refroidissement progressif, depuis un état initial qui était celui d’une boule en fusion. Ce refroidissement se serait traduit, à sa surface, par un changement climatique à l’échelle des temps géologiques, à l’origine de vagues d’apparition et de disparition des espèces »176. C’est du centre de la Terre que provient la chaleur sur le globe, ce foyer s’éteignant peu à peu. Ce que produit ainsi Buffon c’est bien « un récit unitaire embrassant dans un même mouvement, formation et évolution géologique du Globe ; histoire des espèces ; transformation des climats et solution au mystère des espèces tropicales fossiles »177. L’idée même d’une rupture contemporaine anthropocénique n’a pas de sens au regard des propositions de Buffon : le souci de produire une explication générale des modulations climatiques et de l’action humaine est donc formulé dès l’époque moderne. Surtout, le naturaliste soutient que si le feu interne de la Terre s’épuise, il importe d’agir ; ainsi « le réchauffement anthropique et la civilisation ne sont pas une option : ils sont les seules armes contre le froid qui gagne »178.

60Fressoz et Locher retracent minutieusement l’émergence d’une « climatologie historique »179, c’est-à-dire d’une observation protéiforme des phénomènes climatiques à partir de la fin du 18e siècle. Il s’agit « de fabriquer des séries temporelles de longues durées permettant de dégager une tendance ou de démontrer la fixité du climat »180. Les archives de cette recherche sont nombreuses pour mesurer « la hauteur des fleuves, la nature des changeante de la végétation et le mouvement des glaciers »181. Les « proxys » (i.e. tous les indices des modulations climatiques discernables dans les sources historiques et naturelles) peuvent être mobilisés à partir des « chroniques historiques » livrant des « informations météorologiques » sur la rigueur des hivers, « les sécheresses, les inondations, etc. »182. Toutefois « la fiabilité des témoignages passés » n’est pas garantie et « le physicien hollandais Van Swinden » invite à « se méfier de l’exagération des chroniqueurs ou, à l’inverse, [à] prendre en compte le changement des sensibilités (…) »183. Les végétaux constituent un autre moyen pour saisir les évolutions du climat : l’étude de la géographie passée de certaines plantes (la vigne en particulier) doit renseigner sur les modulations de température. Enfin, les glaciers, inclus dans « la théorie du refroidissement du Globe » finissent par prendre « un sens eschatologique »184. Cette collecte de savoirs variés sur le climat et l’environnement passés, leurs évolutions et les traces qu’ils laissent dans toute une série de répertoires historiques et naturelles témoigne bien, au 19e siècle notamment, d’un « moment intellectuel où s’entremêlait l’agir humain et le destin de la planète Terre »185. Cette attention aux mouvements anciens du climat est directement liée aux interrogations sur la capacité humaine à transformer les conditions environnementales. Une complexion climatique émerge donc à l’époque moderne qui se traduit, sous la Révolution, par un projet proprement politique de maîtrise du climat.

61La possibilité d’une régénération nationale, la gestion « de l’immense domaine forestier national hérité des biens du clergé » et la nécessité d’ « inculquer à un peuple de paysans devenus citoyens le respect des forêts mais aussi de la propriété et de l’ordre »186 constituent les faisceaux d’une politique environnementale.

62Avec l’avènement d’un nouveau régime, ce sont les traits du précédent qui deviennent emblématique d’une négligence climatique coupable. Ainsi « la féodalité a dégradé jusqu’au climat de la France » notamment en raison de la « multiplication des marécages et des étangs » et du « déboisement »187. Circule donc « l’idée d’une nature française au bord du gouffre » nécessitant une « œuvre réparatrice révolutionnaire »188.

63Lors des discussions sur les forêts, « l’argument du changement climatique fait son entrée à l’Assemblée nationale » puisque « la Société royale d’agriculture met en garde les députés contre les effets climatiques du déboisement (…) »189. Les zones sylvestres autrefois propriétés du clergé deviennent un point nodal des discussions sur la politique environnemental souhaitée. Jean-Baptiste Rougier, « député, membre de la Société royale d’agriculture (…) lance l’alerte [en 1792] et va jusqu’à présenter le sort des forêts nationales comme le point de bascule vers la régénération ou la décadence de la France »190.

64L’inquiétude quant aux effets potentiellement désastreux des coupes forestières ne cesse d’irriguer les débats à l’Assemblée nationale. Et rapidement – avec l’abolition des privilèges qui relance les possibilités d’exploitation des ressources ligneuses – le pouvoir politique veut « contrôler les masses rurales dans leur rapport à la nature »191. C’est dans ces circonstances que « la menace climatique » intègre le discours public.

65Avec la Restauration, « la question du changement climatique devient une affaire d’État »192. La situation financière de la France postnapoléonienne est délicate puisque « les gouvernements de la Restauration proposent (…) de vendre les forêts nationales pour relever le crédit de l’État (…) »193. Le clivage politique est le suivant : cette possible vente peut « rassurer les capitalistes et les acquéreurs des biens nationaux » ; mais les « ultraroyalistes résistent »194, soulignant notamment « le danger de brader des futaies de grande valeur »195. Malgré tout, 300 000 hectares de bois sont mis en vente en 1814. Mais l’année suivante, «la Chambre [compte] une majorité d’aristocrates (…) qui font des forêts nationales l’étendard de leur combat (…) »196. La lutte avec les libéraux ne cessent pas au cours des années 1810 et elle permet de souligner la prégnance d’un questionnement politique sur l’importance nationale des forêts. De fait, « le discours des ultras », veut contester les effets de la Révolution française : il amalgame « les grands équilibres politiques, religieux, sociaux et moraux » ainsi que « les équilibres naturels »197. Une configuration culturelle s’ébauche qui fait de la maîtrise de l’environnement le symbole des modalités politiques correspondantes. Pour les ultras la mise en vente des forêts, constitue une poursuite de l’œuvre révolutionnaire. Les libéraux répondent, quant à eux, qu’il n’est pas question de détruire la forêt : « le marché fera office de régulateur »198. Ils mettent en doute, également, « le lien entre le déboisement et le déclin de la nature (…) »199.

66On mesure donc, à l’aune de l’exemple révolutionnaire, à quel point l’articulation des positionnements politiques et des considérations environnementales constitue une modalité structurante de l’action publique au début du 19e siècle.

67Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher livrent dans leur ouvrage une analyse étendue d’un fonds d’archives peu étudié jusque-là : les réponses à une enquête commanditée en « avril 1821, par le bureau “sciences et beaux-arts” du ministère de l’Intérieur ». Cette « circulaire n° 18 » s’interrogeait sur un refroidissement possible du climat et sur son lien avec le « déboisement de la France »200. L’enjeu est d’importance puisque « pour la première fois, un État européen lance, en ce début du XIXe siècle, une enquête nationale sur le changement climatique, et sur une possible responsabilité de l’Homme dans cette dynamique en cours »201. Il émerge de cette masse profuse d’informations un « constat massif : le climat est plus variable, plus erratique. Depuis la Révolution, les saisons sont moins régulières, plus changeantes en intensité, leurs limitent fluctuent (…) »202. Un « schéma explicatif » de cette situation est calqué sur le « cycle de l’eau » ; un autre « est centré sur l’action météorologique des arbres. Les forêts, clairsemées ou détruites, ne joueraient plus leur rôle d’attracteurs de nuage et donc de “pompes” continues de l’eau atmosphérique »203. Une nouvelle fois la thèse de Chakarbarty d’une prise en compte récente de la globalité des phénomènes d’évolutions anthropique du climat est empiriquement invalidée :

« À la lecture des réponses, un constat s’impose : le climat et le changement climatique ne sont en rien, en ce début du XIXe siècle, vus comme des phénomènes qui seraient purement locaux dans leurs caractères, leurs manifestations, leurs évolutions, leurs causes. Autrement dit, ce n’est certainement pas la prise en compte des grandes échelles spatiales qui distingue les pensées du changement climatique de cette époque de celle de notre temps. Nulle place, ici, pour une opposition commode entre un changement climatique perçu et pensé comme local (celui des hommes du XIXe siècle) et un changement climatique global (le nôtre) »204.

68Finalement l’enquête ne suscitera pas de réaction politique – elle « rejoint des archives où elle est oubliée pendant deux cents ans »205. Au même moment émerge une science du chiffre et de la précision qui ne s’encombre guère des vues impressionnistes.

69Fressoz et Locher repèrent, au 19e siècle, un basculement majeur : la volonté d’aménagement de l’État associée à de « nouvelles formes de l’agir technique vont contribuer à faire reculer, décennie après décennie, le spectre de la dégradation des climats »206. Sous le second Empire, la situation des forêts informe cette mutation profonde des façons de considérer l’environnement et son administration politique. Et c’est dans le domaine montagnard que l’ingénierie d’État déploie ses nouvelles exigences. Dans « l’affrontement » entre les ingénieurs des Ponts et Chaussées et les forestiers dans les « années 1860-1880 » s’affirme une décorrélation entre « l’action des arbres sur l’atmosphère et les précipitations » et « leur effet sur l’écoulement des flux hydriques au sol »207. Or, notent Fressoz et Locher, c’est « dans cet écart [que] va se jouer une minoration progressive de l’action climatique des forêts »208. C’est paradoxalement la « politisation » de la question sylvestre qui « va peu à peu saper la crédibilité même de la menace »209. Dans le même temps, « le reflux des disettes » contribue à réduire « l’anxiété climatique »210.

70Les interrogations sur le climat et l’action humaine qui le modèle ne cessent cependant pas : les dominations impériales mettent au jour des discours récurrents accusant des « peuples colonisés d’avoir dégradé leur climat. Les colonisateurs dénoncent l’impact des pratiques agricoles et forestières autochtones sur les pluies, les vents, les températures »211.

71L’ouvrage de Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher constitue une réfutation empirique des thèses de Chakrabarty. L’environnement a non seulement été une préoccupation récurrente depuis le début de l’époque moderne, mais l’action humaine sur le climat a constitué un sujet d’interrogations renouvelées, articulant les connaissances géologiques, sylvestres, hydrologiques et météorologiques. La politisation de l’empreinte humaine sur le climat n’a rien de particulièrement contemporaine ; elle connaît des phases de plus ou moins grande intensité, mais elle reste une modalité d’appréhension générale des problématiques environnementales. Dans leur conclusion, Fressoz et Locher rappellent que « le reflux de la vision d’un climat fragile aura donc pris presque un siècle (…) », rompant avec « quatre siècles d’anthropocène confiant puis angoissé »212. Pour un temps, il a semblé que l’espèce humaine ne travaillaient pas/plus son climat et « ce dernier perd[ait] aussi de sa puissance d’agir »213.

72La progressive désensibilisation à l’anxiété environnementale tient à la fois à la politisation des vertus de la technique et à l’amortissement des problèmes d’approvisionnement et de ressources alimentaires.

73L’Anthropocène constitue une catégorie géologique ; mais il ne correspond clairement pas à une catégorie historienne valable d’un point de vue épistémique. Si Dipesh Chakrabarty a tenté de reconfiguré la discipline histoire autour de la superposition des histoires humaine et naturelle, sa démonstration a échoué sur au moins deux points. D’abord, comme l’a montré Andreas Malm, considéré l’histoire de l’humanité du point de vue de la seule notion d’espèce constitue un réductionnisme intenable en matière de promotion de l’économie fossile. Le Capitalocène – cette mise en branle des forces productives par fixation urbaine de la main d’œuvre autour des machines à vapeur – pointe, de façon beaucoup plus convaincante, vers le rôle des forces capitalistes du 19e siècle. Ensuite, l’Anthropocène n’est pas une préoccupation récente de l’impact humain sur l’environnement. Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher démontrent, archives à l’appui, que l’histoire longue de l’anxiété climatique fait droit, dès le début de l’époque moderne, à une conceptualisation de l’agir humain. Le tournant du 19e siècle – comme passage à une forme d’insouciance environnementale – constitue une rupture technique, politique, mais aussi ontologique. Cependant, ce n’est pas parce qu’un siècle de neutralisation du rapport entre l’homme et l’environnement ont dépolitisé provisoirement ces enjeux, qu’il faut prendre notre lucidité récente pour une attitude inédite dans l’histoire.

74Au-delà même de la nécessité ou non de recourir à l’Anthropocène comme catégorie utile à l’histoire, l’intérêt des réfutations argumentées des thèses de Chakrabarty réside dans leurs soutènements empiriques. Il n’est pas de meilleure méthode pour comprendre les articulations complexes entre l’action humaine et le climat que de s’en remettre aux archives. C’est dans leur épaisseur que l’on peut retrouver l’effort capitaliste du coton pour se détacher de la force hydraulique ou que l’on repère la politisation révolutionnaire des forêts.

Notes

1 Paul J. Crutzen, Eugene F. Stoermer, « The “Anthropocene” », Global Change Newsletter, n° 41, mai 2000, p. 17

2 Dominique Raynaud, « Anthropocèn. Technique. Deux points de contact entre science et pensée partisane », Zilsel, n° 3, 2018, p. 269.

3 Ibidem, p. 271.

4 Pour une synthèse de l’attitude des historien·ne·s face à l’Anthropocène, voir : Grégory Quenet, « L’anthropocène et le temps des historiens », Annales. Histoires, Sciences Sociales, 72e année, n°2, 2917, p. 267-299.

5 Une seconde édition paraît en 2016, c’est celle à laquelle nous ferons référence.

6 Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Le Seuil, 2016 p. 35.

7 Ibidem, p. 12-13.

8 Comme pour la précédente note, je privilégie les ouvrages et articles en français. Je cite en appui la production anglophone qui peut aider à prolonger l’analyse.

9 Dipesh Chakrabarty, « The Climate of History : Four Theses », Critical Inquiry, vol. 35, n°2, 2009, p. 197-222. L’article a été traduit en français : Dipesh Chakrabarty, « Le climat de l’histoire : quatre thèses », Revue internationale des livres et des idées, n° 15, janvier-février 2010, p. 22-31. C’est cette traduction que nous citerons.

10 Dipesh Chakrabarty, « Le climat de l’histoire : quatre thèses », Revue internationale des livres et des idées, n° 15, janvier-février 2010, p. 23.

11 Ibidem, p. 25.

12 Ibidem.

13 Ibidem.

14 Ibidem, p. 26.

15 Ibidem.

16 Ibidem, note 21.

17 Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.

18 Simon Schaffer, « The Eighteenth Brumaire of Bruno Latour », Studies in History and Philosophy of Science, vol. 22, n°1, 1991, p. 175-192.

20 Ibidem.

21 Ibidem.

22 Ibidem.

23 Ibidem, p. 27.

24 Ibidem.

25 Ibidem, p. 27-28.

26 Ibidem, p. 29.

27 Ibidem.

28 Ibidem, p. 31.

29 Ibidem

30 Ibidem.

31 Ibidem.

32 Vincent Julien, « Le climat de l’histoire et l’histoire du climat. À propos des “quatre thèses” de Dipesh Chakrabarty », Revue des Livres, n° 3, janvier-février 2012, p. 29.

33 Clive Hamilton, « Vers une philosophie de l’histoire de l’anthropocène », in Rémi Beau, Catherine Larrère (dir.), Penser l’Anthropocène, Paris, Les presses de Science Po, 2018, p. 43.

34 Ibidem, p. 44.

35 Ibidem.

36 Ibidem.

37 Ibidem.

38 Ibidem.

39 Ibidem, p. 46.

40 Ibidem.

41 Ibidem.

42 Ibidem.

43 Ibidem.

44 Ibidem, p. 47.

45 Ibidem, p. 48.

46 Ibidem.

47 Ibidem, p. 49.

48 Andreas Malm, Alf Hornborg, « The geology of mankinf ? A critique of the Anthropocene narrative », The Anthropocene Review, vol. 1, n°1, 2014, p. 62-63 (Ma traduction).

49 Ibidem, p. 66-67.

50 Andreas Malm, Fossil Capital. The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Londres, Verso, 2016.

51 Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017. J’ai précédemment fait une recension de cet ouvrage : Jérôme Lamy, « La lutte climatique des classes », Carnet Zilsel, 24 juin, 2017, https://zilsel.hypotheses.org/2839

52 Ibidem, p. 16.

53 Ibidem, p. 15.

54 Ibidem, p. 16.

55 Ibidem, p. 19.

56 Ibidem.

57 Ibidem.

58 Ibidem, p. 24.

59 Ibidem.

60 Ibidem.

61 Ibidem.

62 Ibidem, p. 25.

63 Ibidem, p. 26.

64 Ibidem.

65 Ibidem, p. 27.

66 Ibidem, p. 28.

67 Ibidem, p. 30.

68 Ibidem, p. 33.

69 Ibidem, p. 34.

70 Ibidem, p. 35.

71 Ibidem, p. 36.

72 Ibidem, p. 37.

73 Ibidem, p. 38.

74 Ibidem, p. 39.

75 Ibidem, p. 43.

76 Ibidem.

77 Ibidem, p. 44-45.

78 Ibidem, p. 45.

79 Ibidem, p. 49.

80 Ibidem, p. 52.

81 Ibidem, p. 53.

82 Ibidem, p. 54.

83 Ibidem.

84 Ibidem, p. 55.

85 Ibidem, p. 60.

86 Ibidem, p. 65.

87 Ibidem, p. 70.

88 Ibidem.

89 Ibidem, p. 70-71.

90 Ibidem, p. 71.

91 Ibidem.

92 Ibidem, p. 72.

93 Ibidem, p. 72-73.

94 E.A. Wrigley, Energy and the Industrial Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

95 Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017, p. 73.

96 Ibidem, p. 76.

97 Ibidem, p. 78.

98 Ibidem.

99 Ibidem, p 79.

100 Ibidem.

101 Ibidem, p. 81.

102 Ibidem.

103 Ibidem.

104 Ibidem, p. 83.

105 Ibidem.

106 Ibidem, p. 86.

107 Ibidem, p. 94.

108 Ibidem, p. 95

109 Ibidem, p. 96.

110 Ibidem, p. 100.

111 Ibidem, p. 103.

112 Ibidem, p. 105.

113 Ibidem, p. 106.

114 Ibidem, p. 109.

115 Ibidem, p. 114.

116 Ibidem, p. 117

117 Ibidem, p. 119.

118 Ibidem.

119 Ibidem, p. 127.

120 Ibidem, p. 131.

121 Ibidem.

122 Armel Campagne, Le Capitalocène. Aux racines historiques du dérèglement climatique, Paris, Éditions Divergences, 2017, p. 178.

123 Ibidem.

124 Ibidem, p. 179.

125 Ibidem, p. 180.

126 Ibidem.

127 Ibidem, p. 181.

128 Ibidem, p. 181-182.

129 Ibidem, p. 182

130 Ibidem, p. 183.

131 Ibidem, p. 185.

132 Ibidem, p. 186.

133 Ibidem, p. 187.

134 Ibidem, p. 188.

135 Ibidem, p. 189.

136 Ibidem, p. 190.

137 Ibidem, p. 191.

138 Ibidem, p. 193.

139 Ibidem, p. 194.

140 Alf Hornborg, « La magie mondialisée du Technocène. Capital, échanges inégaux et moralité », in Rémi Beau, Catherine Larrère (dir.), Penser l’Anthropocène, Paris, Les presses de Science Po, 2018, p. 101.

141 Ibidem.

142 Ibidem.

143 Ibidem, p. 102.

144 Ibidem.

145 Ibidem, p. 103.

146 Ibidem, p. 104.

147 Ibidem, p. 107.

148 Ibidem.

149 Ibidem, p. 108.

150 Ibidem, p. 109.

151 Ibidem.

152 Ibidem, p. 110.

153 Ibidem.

154 Jean-Baptiste Fressoz, Fabien Locher, « Le climat fragile de la modernité. Petite histoire climatique de la réflexivité environnementale », La vie des idées, 20 avril 2010, https://laviedesidees.fr/Le-climat-fragile-de-la-modernite.html. Le texte a été traduit en anglais : Jean-Baptiste Fressoz, Fabien Locher, « Modernity’s Frail Climate : A Climate History of Environmental Reflexivity », Critical Inquiry, vol. 38, n°3, 2012, p. 579-598.

155 Les citations qui suivent sont extraites du même article.

156 Jean-Baptiste Fressoz, Fabien Locher, Les révoltes du ciel. Le changement climatique XVe-XXe siècles, Paris, Le Seuil, 2020.

157 Ibidem, p. 10.

158 Ibidem.

159 Ibidem.

160 Ibidem, p. 11.

161 Ibidem, p. 12.

162 Ibidem.

163 Ibidem, p. 13.

164 Ibidem.

165 Ibidem.

166 Ibidem, p. 14.

167 Ibidem.

168 Ibidem, p. 15.

169 Ibidem, p. 50.

170 Ibidem, p. 51.

171 Ibidem.

172 Ibidem.

173 Ibidem.

174 Ibidem, p. 52.

175 Ibidem.

176 Ibidem, p. 53.

177 Ibidem, p. 54.

178 Ibidem.

179 Ibidem, p. 55.

180 Ibidem.

181 Ibidem.

182 Ibidem, p. 60.

183 Ibidem.

184 Ibidem, p. 63.

185 Ibidem, p. 64.

186 Ibidem, p. 79.

187 Ibidem, p. 80.

188 Ibidem, p. 82.

189 Ibidem, p. 85.

190 Ibidem.

191 Ibidem, p. 86.

192 Ibidem, p. 117.

193 Ibidem.

194 Ibidem.

195 Ibidem, p. 118.

196 Ibidem, p. 120.

197 Ibidem, p. 122.

198 Ibidem, p. 123.

199 Ibidem.

200 Ibidem, p. 141.

201 Ibidem.

202 Ibidem, p. 147.

203 Ibidem, p. 149.

204 Ibidem, p. 153.

205 Ibidem, p. 157.

206 Ibidem, p. 171.

207 Ibidem, p. 176.

208 Ibidem.

209 Ibidem, p. 177.

210 Ibidem, p. 181.

211 Ibidem, p. 199.

212 Ibidem, p. 228.

213 Ibidem, p. 229.

Pour citer ce document

Par Jérôme Lamy, «Une histoire politique de l’environnement ? II : Anthropocène et histoire», Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie [En ligne], Numéros parus, 2021-5, Notes, mis à jour le : 14/04/2025, URL : https://tierce.edel.univ-poitiers.fr:443/tierce/index.php?id=618.

Quelques mots à propos de :  Jérôme Lamy

Jérôme Lamy est historien et sociologue des sciences, chargé de recherche au CNRS (CESSP - UMR 8209, EHESS). Il travaille sur l’histoire des activités spatiales, la circulation des concepts, l’anthropologie historique des matérialités savantes et les origines de l’écosocialisme. Il a publié, avec Jean-François Bert, Voir les savoirs. Lieux, objets et gestes de la sciences (Anomosa, 2021).

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