Récits, images et mémoires d’une violence coloniale. Le siège de Zaatcha (1849)

Par Nicolas Schaub
Publication en ligne le 27 avril 2021

Texte intégral

1Le siège de Zaatcha fut un épisode cruel et féroce, entre octobre et novembre 1849. L’oasis de Zaatcha était située à 400 kilomètres au sud-est d’Alger, dans les environs de Biskra. Sous la Deuxième République, puis le Second Empire, le siège de Zaatcha est devenu le symbole d’une insurrection anéantie par le pouvoir militaire français. Pas un révolté n’a survécu à l’assaut final. De multiples images et textes ont construit et recomposé la victoire de l’armée d’Afrique, de nombreuses critiques ont mis en cause ses violences dans la conquête du Sud algérien et de la Kabylie. Cet ensemble de représentations artistiques et narratives ont fait circuler des affects, resurgir des motifs de résistance, des explosions et des assauts, des corps décapités et mutilés, des soldats affaissés (FIG 1). C’est la face sombre de l’histoire commune de l’Algérie et de la France1. Après le siège, les propriétés où s’étaient déroulés les combats furent mises sous séquestre2. Si le nom de Zaatcha figurait encore sur certaines cartes de la fin du xixe siècle, la zone a été progressivement abandonnée. Alors qu’à quelques kilomètres au nord-est, Biskra était une cité en plein développement touristique et artistique3, on ne voyait plus à Zaatcha vers 1920 que « quelques palmiers stériles seuls survivants de la forêt de 70.000 dattiers détruits, des bosses de terre à la place où l'on fit sauter le village fortifié, un petit monument funéraire à la mémoire des soldats tombés pendant le siège de 52 jours et l'assaut final, une colonne brisée sous une treille et un abricotier sauvage4. » Pendant des décennies, le pouvoir colonial avait procédé comme s’il avait voulu effacer les traces de l’insurrection. Celles-ci se sont cependant inscrites dans les strates mouvantes de la mémoire collective coloniale et postcoloniale5. (FIG 2)

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Fig. 1

Jean Adolphe Beaucé (1818-1875), Épisode de la conquête de l'Algérie en 1849, 1855, huile sur toile, H. : 2.37 m ; L. : 3.88 m, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon

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Fig. 2

Félix-Jacques-Antoine Moulin (1802-1879), Ruines du village de Zaatcha. Cercle de Biskra, dans L'Algérie photographiée : Province de Constantine, 1856-1857, photogr. pos. sur papier albuminé : d'après négatif sur plaque de verre au collodion, 36 x 55 cm (album), BNF, EST

2À partir de quels matériaux et objets peut-on construire aujourd'hui un récit de ce siège militaire et lui donner un sens ? Comment les représentations collectives de cet événement se sont-elles constituées à travers différentes strates de récits ? Comment les images contribuent-elle à la construction mémorielle de cet événement ? Pour répondre à ces questions, il faut dégager les temporalités et les récits entremêlés. L’événement et ses séquences ont été relatés à travers les correspondances et les mémoires militaires, les rapports et les bulletins officiels, les comptes rendus et les journaux de marche, la presse et des ouvrages d'histoire contemporaine (comme matière servant à débattre, contester, critiquer, justifier, célébrer, commémorer), puis diffusés dans les livrets du Salon, les chansons et les poésies populaires.

Matrices de la révolte dans les Ziban

3D’emblée, des observateurs ont saisi l’importance et la nouveauté de ce siège militaire. Sa configuration géographique (en pleine oasis) et sa durée (deux mois) faisaient que les grands stratèges militaires, théoriciens de la géométrie et des fortifications, n’avaient pu le concevoir :

« C'est un cas tout à fait nouveau dans la science obsidionale que celui d'une place forte perdue dans un épais massif, protégée par un labyrinthe qu'il s'est agi de canonner et d'emporter au fond d'un bois. Il n'est donc pas extraordinaire que nous ayons été surpris et arrêtés dans une opération pour laquelle Carnot ni Vauban n'ont à coup sûr tracé de règles6. »

4Les militaires furent surpris également par l’ampleur du djihad de 1849. Leur intervention massive a détruit Zaatcha. Force perturbatrice, elle a engendré un traumatisme auprès des populations, des communautés, que ce soit du côté des tribus nomades, des sédentaires des oasis de la région des Ziban, ou encore des Biskris d’Alger, travailleurs originaires de la région des Zibans. L’événement, par son intensité et sa durée exceptionnelle, a provoqué une sidération dans toute la province de Constantine. Des centaines de corps avaient été ensevelis sous les décombres de la cité. Le châtiment fut à la mesure de la résistance acharnée des insurgés. Les populations du bled restèrent terrifiées par l’implacable répression. Un silence de mort régna dans la région, le choléra infligeant d’autres hécatombes. Beaucoup y virent une épreuve divine et espérèrent la venue du Mahdi, le Messie musulman. Depuis quelque temps, des prophéties et des miracles étaient rapportés. Des fidèles avaient cru en 1845 aux prédictions de Bou Maza (« l’homme à la chèvre »), meneur de l’insurrection du Dahra. On retrouva cette ferveur collective à Zaatcha, avec les visions divines de Bou Zian. La révolte avait certes éclaté pour un motif d'ordre fiscal, le pouvoir colonial ayant subitement décidé d’imposer différemment les parcelles de palmiers dattiers, lésant ainsi certains propriétaires. La répression n’effaça cependant qu’en surface les croyances au Mahdi, seul capable de chasser les Français : (FIG 3)

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Fig. 3

L. d’Autecourt lieutenant au 4e de ligne, Prise de Zaatcha (26 novembre 1849). La tête du Caïd Bou-zian et celle de son fils, dessin à la plume et encre de chine sur un papier préparé teinté gris, SHD/GR, 7 M C 797

« Jamais spectacle plus propre à terrifier les imaginations ne s’était offert à leurs yeux. La ville détruite de fond en comble, les mosquées renversées, les habitans massacrés, les têtes de Bou-Zian, de son jeune fils et de Si-Moussa plantées au milieu du camp, les tribus nomades dispersées et dépouillées, les frais de la guerre imposés aux vaincus, tout leur disait assez à quels maîtres auraient affaire désormais les révoltés7. »

5Le choc fut grand devant l’abattage systématique de plusieurs dizaines de milliers de palmiers-dattiers et d’arbres fruitiers, source essentielle de richesse8. Les images ne révèlent pas l’ampleur des effets de cette décision dont les séquelles écologiques se firent sentir pendant plusieurs générations9. C’était une mesure radicale. La puissante armée d'Afrique craignait une insurrection générale des Ziban et des Aurès. Beaucoup d’officiers s’effrayaient d’une poussée religieuse et messianique. Dans leurs écrits, ils tentaient d’analyser la matrice de cette révolte et la guerre sainte10. Désigné collectivement pour être le moul es-saa (« maître de l’Heure »), Bou Zian aurait voulu faire de Zaatcha un foyer imprenable de l’Islam : « [Il] ne doutait pas, et disait hautement aux Arabes que Zaatcha, pas plus que la Mecque, ne tomberait au pouvoir des chrétiens. Aussi la regardait-on comme le rempart de la religion dans la province de Constantine11. » Les conteurs et poètes ont chanté l’épopée, les vertus et les premières victoires de Bou Zian. Ils ont composé les premiers récits de cette tragédie historique12. Laurent-Charles Féraud, interprète de l'Armée auprès du gouverneur général de l'Algérie, a recueilli, retranscrit et traduit la geste relatée par les poètes ambulants. La guerre aux envahisseurs en est le motif principal, la masse des adversaires est ressentie comme un fléau13 :

« Au nom de Dieu, puis au nom du Prophète
Qu'y a-t-il donc entre le seigneur de nos gens et les mécréants ?
Il leur vient des soldats en aussi grand nombre que des sauterelles volant.
Ces soldats arrivent comme autant de torrents
De détruire Zaâtcha, par leurs idoles ils font serment. »

6Dans ces chants, Bou Zian apparaît à l’image du Prophète, et soutient l’élan de la résistance. Ses visions et son rapport à Dieu lui donnent un pouvoir extraordinaire :

« Chrétiens et Juifs accourent, mais seront terrassés.
Par Dieu, rebut du genre humain, leur disons-nous, ici engloutis vous serez.
Comme des mouches vous tomberez, en déroute et conspués. »

7Un appel au sacrifice et à la révolte est lancé aux combattants des régions insoumises. Le djihad doit se poursuivre :

« Ô Dieu irrésistible, dispensateur des destinées !
Ô Dieu qui connais de l'avenir les secrets
Sacrifie cette armée d'infidèles à la colère de tes enfants.
Car ceux qui se sont voués à défendre Bou-Zeïan
Aux compagnons du Prophète je les ai comparés.
Je chante les exploits, ô vous qui comprenez
De mon héros, l'homme au glaive Bou-Zeïan. »

Observer et s’orienter dans la conquête

8Des temporalités multiples s’entrelacent et se recomposent au cours de l’événement. Dans la bataille, selon la place de chacun, l’expérience des combats devient une matière vive à partir de laquelle la mémoire collective retrace l’épisode. Résistants musulmans, populations civiles, militaires de la conquête, médecins, blessés et amputés, cholériques et agonisants, tous subissent dans leurs corps les conditions du siège. Ce spectacle n’attire aucun artiste officiel, la situation étant trop dangereuse. Pourtant, certains voyageurs observent au loin le pilonnement de la cité et les courses des cavaliers indigènes. Leur appréhension des paysages oasiens résulte d’un savoir-faire, d’une technique et d’une formation spécifique du regard, mais aussi d’un inconscient. Ils ont assimilé les codes de la peinture de batailles et les mises en scène orientalistes (FIG 4). Leur perception de l’épisode combine des récits et des plans topographiques que leur transmettent des compagnons d’armes. Ils sont ensemble sur ce terrain des opérations. Leurs catégories visuelles collent au réel et s’adaptent aux formes du chaos. En même temps, ils révèlent au public la part d’exotisme, d’héroïsme et de violence inouïe qui caractérise ce siège. Leur position est ambivalente. Ils sont en décalage avec ceux qui ne connaissent pas le terrain. Ils parcourent le territoire et récusent les illusions et fantasmes que d’autres voyageurs associent à l’Algérie. Capables de lire l'ordre de la bataille, du siège ou de la razzia, ils rendent compte de leur expérience d’une façon synthétique et précise. Parmi ces personnalités nomades, en dissonance avec le pouvoir militaire, Oscar Mac Carthy (1815-1894) a pu observer d’assez près les séquences du siège. C’est le type même du voyageur savant et indépendant qui fait l’expérience du réel. Il sillonne l’immensité de l’Algérie, seul, de 1849 à 1863, étudiant la langue arabe et le Coran, les sciences (géographie, géologie, biologie, histoire) et les pratiques des populations autochtones. Il a servi de modèle pour Vandell, figure discrète et solitaire du récit d’Eugène Fromentin, Une année dans le Sahel14 :

« Vandell est allé partout où peut aller un voyageur intrépide et inoffensif : il a vu tout ce qui mérite d’être vu ; il sait sur les trois provinces tout ce qu’une mémoire encyclopédique est capable de retenir. Grâce à la variété de ses connaissances, à l’étendue des services qu’il est en mesure de rendre, mais d’abord grâce à la bizarrerie de ses allures et à l’étrangeté de sa vie, il est aussi bien accueilli des Arabes que doit l’être un derviche doublé d’un tbeb (médecin). Aussi se montre-t-il impunément là où ne passerait pas un bataillon, n’ayant rien à craindre ni jour ni nuit, si ce n’est la distraction d’un coupeur de route. Son dénûment fait sa sauvegarde. — Le plus sûr, me disait-il à ce propos, est de ne tenter personne. “Mille cavaliers ne sauraient dépouiller un homme nu.” »

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Fig. 4

Griffon, d’après Gaspard Gobaut, L'Assaut de Zaatcha, 26 novembre 1849, vers 1898, aquarelle rehaussée de gouache, SHD/GR, 7 M B 337bis

9Témoin des événements les plus importants de la conquête, Vandell enregistre les données topographiques et visuelles, décompose les différentes phases de la prise de possession du pays, se place au plus près pour analyser des affrontements militaires exceptionnels, fasciné par l’activité et les moyens de cette armée moderne, symbole du progrès européen : « Il campait à peu de lieues de Taguin quand la colonne du duc d’Aumale y surprit la smala. Il a suivi, sans y prendre part autrement qu’en spectateur, le long siège de Zaatcha15. » Fromentin fait aussi de Vandell le spectateur du siège d’une autre oasis, Laghouat, en 185216. L’approche panoramique et synthétique qu’il prête à son personnage le conduit à recréer visuellement les différentes séquences du siège de Laghouat. Il met au point un langage capable de rendre compte des rapports de force. Ce procédé est semblable aux techniques de renseignements et de reconnaissances militaires. Vandell enregistre ainsi les composantes d’une situation complexe et changeante17 :

« Il apprit, un jour qu’il cheminait chez les Ouled-Nayl, entre Djelfa et Chareff, qu’une armée se rassemblait devant El-Aghouat. Aussitôt il doubla les étapes, de peur d’arriver trop tard, et il atteignait le sommet des collines au moment où partaient les premiers coups de canon du siège. Alors, c’est lui qui me l’a raconté, il mit pied à terre, et du haut de son observatoire il assista aussi commodément que possible à la bataille. J’ai vu dans son portefeuille les croquis faits pendant cette journée. Il a commencé par établir le plan de la ville et le cadre panoramique de l’action ; puis, au fur et à mesure des manœuvres, qu’il discernait très bien, il indiquait, au moyen de lignes pleines ou d’un pointillé de crayon noir, le mouvement des corps en marche ou la position momentanée des bataillons d’attaque. À l’instant même où chaque coup de canon tiré, soit de la ville, soit des batteries françaises, produisait au-dessus du champ de bataille un flot de fumée distinct et plus large, le dessinateur en exprimait le jet rapide et la forme exacte à l’aide d’un léger frottis de crayon blanc. La ville prise, il plia bagage. Il y pénétra aussitôt qu’il le put faire, armé cette fois d’un fusil qu’on lui prêta ; puis, quand il eut vu ce qu’il voulait voir et noté ce qui lui parut instructif, il partit, se remit en course vers le nord. »

10Vandell utilise la cartographie et les conventions de la peinture de bataille pour décrire la succession des mouvements, les angles d’attaque et la logique en œuvre pendant le siège, cumulant un ensemble de connaissances géographiques, ethnographiques et militaires18. Dans la réalité, Oscar Mac Carthy adoptait lui aussi un point de vue encyclopédique et scientifique, selon un projet beaucoup plus vaste d’histoire universelle19. En 1848, le général Lamoricière lui commande un Almanach de l'Algérie pour 1849 destiné aux nouveaux colons européens des régions côtières du Nord de l’Algérie, où l’on pouvait trouver le récit des principales victoires militaires, avec un portrait de Jules Gérard, le tueur de lions, qui participera au siège de Zaatcha20.

Violences d’Etat en Algérie et en France

11Dans l’édition de 1849 (1265 de l’hégire) de son Almanach, Mac Carthy ne pouvait prévoir le long siège à Zaatcha qui, durant plusieurs semaines, inquiéta toute la colonie, alors que l’insurrection de juin 1848 en France marquait la mémoire collective. Les informations sur les Journées de Juin furent largement diffusées dans la colonie, jusque dans les territoires militaires du sud, par le biais notamment des travailleurs originaires de Biskra, sans susciter immédiatement de troubles dans cette région particulièrement instable. Plusieurs généraux de l’armée d’Afrique avaient participé à la répression des émeutes ouvrières à Paris et au maintien de l’ordre en France. Le général Cavaignac, républicain, dirigeait le gouvernement provisoire en juin 1848. Le général Lamoricière était alors ministre de la Guerre. Les généraux Duvivier et Négrier combattirent les insurgés parisiens au prix de leur vie21. On considère d’ailleurs parfois que la répression des ouvriers parisiens est une résultante des méthodes expérimentées pendant la conquête de l’Algérie22. Le Maréchal Bugeaud, duc d'Isly, a été un symbole de cette guerre en Afrique. En juin 1849, la nouvelle de sa mort (il fait partie des nombreuses victimes du choléra qui touche villes et campagnes) eut un retentissement considérable des deux côtés de la Méditerranée. Adolphe Yvon le saisit dans un ultime portrait au style incisif, laissant voir une figure complexe et massive.

12Après la reddition d'Abdelkader en 1847, l’armée d’Afrique a poursuivi et sans doute accentué l’exercice de la violence en Algérie et en France. De ce point de vue, on peut considérer que le siège de Zaatcha se situe dans la continuité d’un processus de violence institué au nom d’un avenir radieux23. Pendant les campagnes de Kabylie, les destructions de villages sont systématiques24. Les bâtisses et les arbres sont rasés, les récoltes razziées. Les bataillons de zouaves à l'uniforme ample et pittoresque, composés de révolutionnaires, de paysans et autres « mauvais sujets » de la métropole, sont utilisés comme troupes de choc que les officiers ne parviennent pas toujours à maîtriser. L’absurdité de la guerre ressort de certaines correspondances de soldats. En août 1854, Flavien Parisot fait ainsi à ses parents le récit d'une expédition punitive en Kabylie25. Depuis Médéah, il confie à ses proches son dégoût et ses tourments : « Je maudissais le fléau destructeur de la guerre, en voyant ces pauvres Kabyles, libres il y a deux heures, et maintenant rendus, soumis, venir baiser la main du Gouverneur, le même qui venait de les fouetter26. » Son origine paysanne l’a poussé à désobéir à son supérieur, qui lui ordonnait de détruire instruments et outils agricoles d’un village indigène.

13Il y a donc répétition et renouvellement des mêmes actes de répression et de résistance sur l’ensemble du territoire algérien. Pourtant l’épisode de Zaatcha reste l’un des plus terribles, comme le souligne le général Du Barail au seuil du xxe siècle : « De toutes ces révoltes, l'insurrection des Ziban fut la plus grave. Elle est la seule dont on se souvienne encore27. » Sans doute est-ce parce que les insurgés de Zaatcha ont montré leur puissance et leur foi inébranlable. Cette force du djihad a certainement hanté et fasciné les militaires qui ont gouverné ce pays. Sans doute aussi est-ce parce que le siège – et plus généralement l’année 1849 en Algérie – a occasionné des pertes jamais égalées28. L’enlisement de l’armée à Zaatcha suscita une mise en cause du commandement du général d'Herbillon parmi les officiers29. Les contemporains lui reprochent une mauvaise appréciation des difficultés (géographique, religieuse) ayant conduit à un siège interminable, à l’échec de plusieurs assauts, au nombre des blessés et des morts, rendant impossible de limiter à terme les exactions des soldats. Il tentera de se défendre maladroitement en publiant une relation du siège30. Herbillon dut composer avec des officiers qui voulaient étouffer sans tarder le foyer d’insurrection, à l’image du colonel Carbuccia qui, dès juillet 1849, s’était s’engagé avec un nombre insuffisant d’hommes, pensant vaincre aisément et frapper les esprits, affirmant au général Herbillon « que toutes les précautions étaient prises pour éviter des pertes douloureuses, qu'il n'y avait à traiter avec le Zab-Dahari qu'à merci et sans condition (...), que force nous resterait et qu'on se souviendrait, dans deux cents ans, des terribles effets de notre vengeance31. » Cette première tentative échoua, comme plusieurs autres après l’été. À mesure que l’armée d’Afrique s’engageait, elle se laissait emporter dans une spirale destructive. Le déferlement de violence lors de l’assaut final, fut l’expression d’une folle vengeance, d’un défoulement inconscient, d’une volonté de se distinguer et de briller. Pour mettre fin à une guerre sainte menée par des combattants venus parfois de très loin, Herbillon a dû contenir l’embrasement de la province entière de Constantine, pourtant réputée comme la plus calme des régions d’Algérie. Il donna l’ordre d’abattre les femmes et les hommes révoltés. Il a maintenu la discipline et le moral des troupes malgré les mutilations, les décollations, la puanteur des corps morts, les attaques dont les militaires faisaient l’objet. Il a signifié symboliquement l'anéantissement de l'ennemi, en coupant les têtes et en les exposant.

Combattre et soigner en milieu hostile

14Dans les années 1840, pour accéder jusqu’à Zaatcha, il faut traverser la province de Constantine vers le sud, atteindre Batna et le massif de l'Aurès, sentir le changement physique et climatique entre le Tell et le Sahara. Les voyageurs orientalistes ont admiré l’entrée vers le désert par les gorges d'El Kantara32. Puis la découverte des oasis du nord des Ziban, avec Biskra, Tolga, Bouchagroun, Farfar, Lichana, Zaatcha33. Un médecin de l’expédition, le docteur Quesnoy, a représenté « la monotonie de cet océan terrestre », ce désert inquiétant qui environne les cités oasiennes34. Zaatcha est organisée comme la plupart des ksour sahariens. Une combinaison d’éléments végétaux et architecturaux rend la position presque imprenable. Une forêt immense de palmiers l'entoure. Sous cette nappe forestière, de multiples sentiers se croisent en tous sens et sont bordés de murs élevés qui délimitent des jardins clos. Des canaux d’irrigation sillonnent le sol de cet espace labyrinthique. Le sous-sol de l'oasis est constamment trempé. En creusant à un ou deux mètres, on trouve partout de l'eau. La nuit, le sol est humide et froid : les militaires en ont beaucoup souffert. Des plantes grimpantes s’entrelacent partout aux figuiers et aux abricotiers, et font obstacle aux marches. Entre le début de la révolte (juillet) et la mise en place du siège (octobre), les ksouriens ont laissé proliférer cette végétation très dense et épineuse. La masse végétale constitue un dédale inextricable, où la direction d'une troupe et les liaisons entre ses éléments sont très difficiles. La ville est par ailleurs entourée de tours carrées réunies entre elles par des maisons crénelées, d’où les insurgés tirent continuellement. Ces maisons bâties en briques crues ressemblent à de gigantesques fourmilières (FIG 5).

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Fig. 5

Épisode de la prise de Zaatcha, dans L'Illustration : journal universel, 355, 15 décembre 1849, p. 241.

15En 1849, certains officiers du génie reviennent du siège de Rome, et soulignent les spécificités du théâtre oasien35. Les armes du génie et de l'artillerie sont en effet essentielles pour les travaux de sape et de mine qui débutent en septembre 1849. Dès les premiers temps du siège, les sapeurs détruisent certaines parties de l’oasis pour avoir à portée de vue les principales cibles cachées par de multiples couches végétales. L’armée a besoin d’aplanir les obstacles, de préciser les données topographiques et de mener des reconnaissances. Au cours de l’une d’elles, le colonel du génie Petit est grièvement touché au bras. Pendant plusieurs jours, sur son lit de torture, il insiste pour demeurer sur place. Il donne des instructions et commande ses hommes ; peu avant l’assaut final, il est rapatrié à Biskra et meurt de ses blessures36. Les batteries d’artillerie sont installées et leur emplacement protégé. Des tranchées sont creusées pour approcher au maximum les remparts de la cité. Les têtes de pont sont attaquées inlassablement pendant la nuit. Le pilonnage intensif du ksar vise à détruire les épais remparts et les murs crénelés ; près de 3500 projectiles d’artillerie ont été lancés contre Zaatcha37. Les artilleurs tentent de former ainsi des brèches à différents endroits stratégiques des remparts. Deux brèches sont d’abord ouvertes. Mais les décombres bloquent ces trouées. Et il faut traverser un large et profond fossé rempli d'eau. Plusieurs systèmes sont envisagés pour le passage du fossé. Le 20 octobre, une première tentative d’assaut par deux colonnes échoue lamentablement (FIG 6). Il est alors impossible de monter sur les brèches et d’envahir Zaatcha. Les militaires décident d’ouvrir une troisième brèche et de maintenir ouvertes les deux déjà percées. C’est par là que trois colonnes s’engouffrent avant de faire exploser chaque maison, détruisant terrasses, caves et recoins.

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Fig. 6

Dominique Félix, Épisode du siège de Zaatcha, Assaut tenté par le 43e de ligne dans la matinée du 20 octobre, 1853, huile sur toile, H. 1.21 m ; L. 2.4 m. Salon de 1853, Marseille, musée des beaux-arts

16Pendant la durée du siège, les militaires font face à des attaques subites et à des assauts désespérés. La détermination et l’héroïsme des combattants adverses les impressionnent, tout comme l’envahissement des cris, des hurlements, des gémissements et des agonies, tous ces bruits de chiens errants. Durant plusieurs semaines, nuit et jour, les hommes entendent de façon obsédante les détonations, les explosions, les palmiers qui s'effondrent et les troncs sciés. Parmi les défenseurs, beaucoup ont été portefaix à Alger et visent spécifiquement les officiers. Leurs tirs précis et imparables causent de nombreuses morts, ou des blessures à la tête et aux articulations. Dans les cas de blessures aux jambes et aux bras, les membres sont presque systématiquement sectionnés. Des chants et des prières sont entendus depuis Zaatcha pendant les nuits. Les femmes poussent des youyous chaque fois que de nouveaux combattants arrivent dans la cité. Les tribus nomades assurent les ravitaillements et les renouvellements de guerriers étrangers. Les soldats français répandent une rumeur selon laquelle un dromadaire en feu, comme une figure inversée du cheval de Troie, pourrait surgir et s’abattre de manière frénétique sur les rangs des militaires. Les insurgés auraient proposé « d'enflammer l'animal depuis les pieds jusqu'à la tête, et de le lancer ensuite, comme un brûlot vivant, au milieu de la tranchée38 » de façon à jeter l’effroi le plus terrible parmi les soldats français. Plusieurs auteurs mettent en avant la participation des femmes au combat39. Selon Charles Bocher : « Les femmes, plus féroces que les hommes, conduisaient elles-mêmes au feu tout ce qu'il y avait de plus fanatique et de plus résolu dans Zaatcha40. » Le général Herbillon est frappé par la dimension religieuse de ce combat qui mobilise les femmes : « Le fanatisme était porté chez eux à un tel degré que leurs femmes, au lieu de pousser des cris de douleur, de se déchirer la figure et de se couvrir de cendre en signe de deuil, suivant la coutume des Arabes, se revêtirent de leurs plus beaux vêtements, pour assister à l'inhumation des martyrs de la guerre sainte : démonstration qui était bien l'indice du caractère religieux qu'avait déjà pris cette guerre des oasis41. »

17Les militaires supportent mal de voir un millier d’habitants, tout au plus, mettre à mal une armée beaucoup plus nombreuse42. Ils subissent la brutalité des combats au corps à corps, ainsi que les chocs multiples et les tirs à bout portant. C’est l’angoisse des balles perdues, des blessures graves à la tête, aux membres. Tous redoutent les amputations. Beaucoup sombrent dans la détresse psychique, l’abattement ou la folie. Le désarroi est d’autant plus grand qu’on ignore où se trouve l'ennemi (derrière des remparts, dans la forêt dense) et que les balles fusent de l’inconnu. C’est aussi la menace permanente d'être pris vivant, puis égorgé ou torturé. On imagine le contraste entre la nature splendide et luxuriante et la guerre de destruction qui s’y déroule.

18Les personnels médicaux s’adaptent aux spécificités du siège et aux violences infligées aux corps43. Ils soignent de nombreux cas difficiles, des fractures, des articulations explosées, toutes sortes de blessures de guerre par impacts et balles, ou brûlures. Ils soulagent par les opiacés et le chloroforme les douleurs atroces et les agonies. Ils coupent les membres pour sauver la vie des blessés, mais réfléchissent aussi aux possibilités d’éviter dans certains cas ces opérations. Des ambulances sont disposées sur place dans le périmètre des combats ; l’hôpital est installé à Biskra, à peu de distance. À partir de nouvelles techniques et approches mises au point sur le terrain, certains docteurs modifient leur pratique de médecine d'urgence. Dans leurs ouvrages, ils décrivent en détails les cas singuliers et enregistrent des données. Ils montrent les soldats traumatisés et blessés, leurs affections psychiques et leur alcoolisme44, leurs cauchemars et la répétition des images terribles de tranchées, de corps ensanglantés ou morts. Ils mesurent le temps d’action des opiacés, la prégnance des traumatismes, le désordre des pulsions sexuelles. Le siège de Zaatcha est pour eux un laboratoire d’expériences qu’ils relient avec d’autres observations faites pendant la conquête de l’Algérie. Le docteur Quesnoy se montre catégorique sur l’importance des fluctuations du psychisme dans cette guerre45 :

« L'état moral des esprits, dans une grande réunion d'hommes, est une des causes qui agissent le plus sur la santé. Nos soldats furent longtemps à se familiariser avec le genre de guerre que nous avions à soutenir dans l'oasis. C'était chose toute nouvelle pour eux qu'un ennemi invisible, retranché derrière des murs. C'était une guerre à coups de pioches et de pelles. Habitués à aborder franchement des hommes dont ils pouvaient étudier et déjouer les manœuvres ; habitués surtout à n'employer leur énergie que pour les renverser au premier choc, ils se trouvaient, pour ainsi dire, mal à l'aise dans ce labyrinthe de jardins fortifiés. Tout le temps employé à tracer et à établir un système d'attaque, nous coûta des pertes journalières. »

19Il faut ajouter à cela la propagation du choléra qui emporta un grand nombre de blessés. Les diarrhées et les dysenteries ont sans doute tué plus de militaires que les balles ennemies46. Médecins et officiers doivent combattre la propagation de l’épidémie dans l'armée et dans les tribus voisines. Le pic de l’épidémie est contemporain du siège de Zaatcha. Il y a concordance fatale entre les deux événements. Les combats et les assauts se déroulent sur fond de miasmes et de diarrhée cholérique.

Châtier la révolte dans un ultime assaut

20Les opérations durent jusqu’au passage à l’an 1266 de l’Hégire (fin novembre 1849). Le jour de l’assaut final, toutes les colonnes d'attaque sont en position. À huit heures précises, le signal se fait entendre. Aussitôt, un immense cri de « Vive la France ! » retentit dans les airs et les soldats, précédés de leurs officiers, s'élancent en avant. Selon le général Du Barail, ce combat fut digne d’une scène de tragédie : « L'élan des troupes fut admirable ; mais la défense de Zaatcha fut héroïque47. » Un fin connaisseur de l’Algérie, Pellissier de Reynaud, décrit l’ampleur de la résistance une fois que l’armée a franchi les remparts et pénétré dans les rues : « Les brèches furent enlevées ; mais il s'engagea ensuite un terrible combat de rues et de maisons beaucoup plus soutenu et beaucoup plus meurtrier que ne l'avait été en 1837 celui de Constantine48. » (FIG 5) Cette référence est récurrente. Les deux expéditions successives contre Constantine, en 1836 et 1837, ont suscité un grand nombre d'images glorieuses de l’armée d’Afrique. Durement ressentie par les familles de soldats disparus, la défaite de 1836 est peu représentée. L’armée d’Afrique doit rapidement sauver l’honneur national. Dès octobre 1837, la réplique survient avec de terribles pertes humaines, la ville étant saccagée maison après maison49. Artistes et imagiers n’ont pas cessé de reproduire cette victoire à la Pyrrhus. La prise de Constantine est alors baignée d’une espèce d’aura magique et inquiétante.

21Lors de l’assaut de Zaatcha, Féraud établit une autre comparaison significative avec une des batailles les plus brutales des guerres napoléoniennes : « On commence alors un combat acharné dont il n'existe peut-être pas d'exemple si ce n'est le siège de Saragosse50. » Les militaires doivent investir chaque maison et neutraliser les résistants. Des terrasses, il leur est presque impossible de descendre à l’étage. Des rafales sont immédiatement tirées depuis les ouvertures des espaces inférieurs. L’ennemi est invisible et combat jusqu’à la mort. Il se réfugie dans les parties obscures, dans les caves où les portes sont depuis longtemps bouchées et où la lumière ne passe que par de petites percées. Les militaires qui arrivent jusque-là sont aussitôt frappés, emportés et égorgés, ou touchés à bout portant. Si l’attaque se fait par l’extérieur, c’est-à-dire en pratiquant un trou dans la muraille, la brèche est à peine formée que les sapeurs tombent criblés de balles. On décide donc rapidement de faire exploser une par une les maisons de Zaatcha, avec tous ceux qui se trouvent à l’intérieur. Peu après l'événement, en écho avec les massacres ayant accompagné la prise de Laghouat en 1852, Louis de Baudicour relate sans préciser ses sources les violences commises lors de l’assaut final. Avec la volonté de critiquer le fléau de la guerre en Algérie51, il rend compte de l’intensité des luttes, de la férocité des hommes et de la puissance des pulsions de mort52 : (FIG 1)

« Les zouaves, dans l'enivrement de leur victoire, se précipitaient avec fureur sur les malheureuses créatures qui n'avaient pu fuir. Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d'une pauvre femme qui demandait comme une grâce d'être achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille; ailleurs, c'étaient d'autres scènes qu'un être dégradé peut seul comprendre et qu'une bouche honnête ne peut raconter. »

22Le sort de Bou Zian et de ses compagnons est évoqué par la plupart des journaux53. Le personnage suscite un certain respect. Ce sont les journaux publiés en Algérie, où les Européens accueillent la nouvelle de sa mort avec soulagement, qui sont les plus précis : « Pas un des fanatiques compagnons de Bouzian, n’a demandé quartier ; tous, jusqu’au dernier, se sont fait tuer les armes à la main. Plus de 800 cadavres jonchant le sol témoignaient assez de l’acharnement de la dernière lutte dont Zaatcha venait d’être le théâtre54. » Les Européens veulent se représenter les derniers moments de cette insurrection, le dénouement de cette sinistre affaire55 :

« Bouzian, ses deux fils et le chérif Si-Moussa, l’ancien agitateur du sud de Médéah, qui depuis quelques jours s’était jeté dans la place, poursuivis de maison en maison, s’étaient retirés dans celle de Bouzian lui-même, où ils opposèrent une résistance désespérée. La mine nous ouvrit enfin leur retraite, et dans ce moment suprême, ils trouvèrent la mort. Pour qu’il ne restât aucun doute aux Arabes sur le sort justement mérité des principaux fauteurs de l'insurrection, leurs têtes furent exposées dans le camp de M. le général Herbillon. »

23Une charge fait exploser le minaret de la mosquée du haut duquel Bou Zian encourageait les fidèles à la guerre sainte. Dans le même temps, les militaires poussent un long cri de joie. C’est le symbole de ce combat de bruit et de sang qu’ils ont mené pendant des semaines. Le lendemain, 27 novembre, on détruit les dernières murailles et on abat encore des palmiers. Il faut ruiner définitivement l'oasis. On dénombre les morts et les blessés56. Un prêtre de Constantine est venu apporter les secours de la religion aux victimes du siège.

24Peu après, les autorités militaires et politiques proclament la victoire. Elles cherchent sans doute les formules qui pourront justifier ce traitement de l'adversaire. Il importe alors d’établir des parallèles avec d’illustres batailles, d’inventer des filiations avec l’histoire antique, afin de mettre en valeur l'héroïsme de l'adversaire. Le docteur Guyon, dans son ouvrage sur les Ziban, n’hésite pas à rapprocher la résistance de Zaatcha de celle des Gétules à laquelle il consacre un long développement, en citant un passage du Bellum Africum ou Guerre d'Afrique, un texte longtemps attribué à Jules César : « P. Sitius et le roi Bogud, dit cet auteur, ayant appris le départ de Juba, réunirent leurs forces et entrèrent dans son pays, assiégèrent Cirta, la plus riche de ses villes, l'emportèrent au bout de quelques jours, avec deux autres villes des Gétules. Ils avaient offert, aux habitants des dernières, d'en sortir et de les leur livrer à certaines conditions, ce qu'ils refusèrent : ils furent alors pris d'assaut, et tous passés au fil de l'épée57. » Guyon associe donc ce récit à celui de la résistance de Zaatcha58 :

« Qu’il nous soit permis de le remarquer en passant, ces dernières paroles de l'historien de la campagne de César en Afrique, rappellent, en tous points, celles du général français qui rendait compte à son gouvernement de la prise de Zaatcha, de ce petit village de boue, mais qui n'en tint pas moins, si longtemps, notre armée sous ses murs :“Zaatcha, écrivait le général français ; Zaatcha a été emporté d'assaut le 26 novembre, à huit heures du matin. Bou-Zian et le chérif Zi-Moussa-bou-Amad, ainsi que les défenseurs, au nombre de sept à huit cents, se sont fait tuer jusqu'au dernier.” (Dépêche télégraphique du Gouverneur-Général de l'Algérie, lue, par le Ministre de la Guerre, à la Chambre des Représentans (sic), dans sa séance du 7 décembre 1849.) »

Recomposition par l’image et pouvoir de propagande

25Comment ces différents récits seront-ils réappropriés et mis en forme par des peintres ou des artistes ? Parmi ceux-ci, quelques-uns ont construit une série de batailles orientalistes dont la réception a évolué en fonction des changements successifs de régimes politiques. Les images ont eu des effets sur la structure de la mémoire collective. Ceci pose la question de l’héritage de ces images coloniales dans l’Algérie indépendante59.

26L’écho de l’événement est parvenu jusqu’aux journaux publiés à Paris60 et en province61 avec un certain retard : Zaatcha était relativement éloignée et les routes vers Batna, Constantine et Alger peu sûres, il fallait compter plusieurs jours pour traverser la Méditerranée et la France. Les « Nouvelles d'Afrique » parvenaient donc avec un certain décalage jusqu’aux journaux parisiens (FIG 5). À travers leur correspondance, les militaires présents sur place rapportaient renseignements et détails que certains artistes pouvaient recueillir. Les canards, ces feuilles d’information non périodiques, le plus souvent illustrées, qui traitaient de faits divers et étaient largement commentées dans les milieux populaires et paysans, répercutaient également les « Nouvelles d'Afrique ». Images et récits du siège de Zaatcha furent ainsi largement diffusés quelques mois après l’annonce de la victoire effective62.

27Plusieurs tableaux d’histoire illustrant ce siège ont été exposés aux différents Salons du Second Empire, puis conservés dans les collections nationales, notamment au musée de Versailles, dans la fameuse salle de la Prise de la Smala d’Abdelkader. Dans les années 1850, plusieurs artistes ont célébré et mis en scène le colonel Canrobert comme un héros de l’armée d’Afrique. Il avait été le premier à franchir les remparts et à s’emparer de Zaatcha, mû par des pulsions de vie et de mort. Brandissant son sabre et s’engouffrant dans la brèche, emportant avec lui toute sa colonne d’élite, on le voit surgir dans le tableau immense de Jean Adolphe Beaucé (1818-1875), Épisode de la conquête de l’Algérie en 1849 en 185563 (FIG 1). La mêlée humaine est également au centre de la composition de Jules Alfred Vincent Rigo (1810-1892), Prise de Zaatcha, 26 novembre 1849 dès 185364. Ces motifs sont comme des symptômes qui traduisent une fuite en avant, à l’image de cet amas d’hommes et de baïonnettes qui s’écrasent contre un des remparts de Zaatcha, dans une avancée folle.

28D’autres séquences ont été choisies et interprétées par les artistes. Les commanditaires ont sans doute joué un rôle dans ces reformulations iconographiques du siège de Zaatcha. Plusieurs assauts ont été des échecs pour ce corps expéditionnaire de l’armée d’Afrique, qui n’avait pas mesuré les forces de résistance des populations de l’oasis. C’est un de ces moments de repli et d’angoisse qui est figuré dans le tableau de Dominique Félix, Épisode du siège de Zaatcha. Assaut tenté par le 43e de ligne dans la matinée du 20 octobre en 185365 (FIG 6).

29D’autres compositions donnent un aperçu global de la situation géographique et militaire de ce siège inédit. C’est le cas des représentations réalisées au sein du Dépôt de guerre par des peintres militaires comme Gaspard Gobaut (1814-1882). Ce sont des spécialistes de batailles militaires et de vues topographiques. Le Service Historique de la Défense conserve à Vincennes une version panoramique du siège : Assaut de Zaatcha, 26 novembre 184966 (FIG 4). Gobaut est aussi l’auteur de plusieurs vues pittoresques de la Bataille de Zaatcha67. Un dessin précis a été réalisé sur place par L. d’Autecourt, lieutenant au 4e de ligne, représentant la Prise de Zaatcha (26 novembre 1849). La tête du Caïd Bou-zian et celle de son fils (FIG 3). L’image froide et méthodique fixe la face éteinte des vaincus. Cette composition sera reproduite par le Dr Ferdinand Quesnoy, dans L’armée d’Afrique depuis la conquête d’Alger en 1888 (p. 289).

30Une propagande très forte est engagée pour justifier les agissements des troupes en Algérie68. Face à la violence guerrière et coloniale, le pouvoir politique doit assurer l'orchestration d'une propagande par l'image. Après la chute de la monarchie de Juillet, dans la continuité des travaux du peintre Horace Vernet, plusieurs artistes vont diffuser les types iconographiques de la conquête de l'Algérie. Cette propagande par l'image participe d'une leçon impériale instaurée en Algérie au milieu du xixe siècle par la puissance militaire française. Les différentes toiles de la prise de Zaatcha sont reproduites par la gravure et déclinées sous différentes formes dans la culture visuelle du xixe siècle. Tout, dans ce surgissement des colonnes militaires, est traité pour signifier la puissance de l'Etat français et la soumission des populations rebelles. Ces tableaux emblématiques montrent la brutalité de l’armée d’Afrique, certains motifs iconographiques informant sur l’ampleur du pillage et du chaos. D’un point de vue symbolique, la prise de Zaatcha est un événement équivalent à la prise d’Alger. Sa représentation révèle la vengeance implacable des militaires.

31Il peut paraître sans doute étrange aujourd’hui que ces images montrent l’intrusion du phénomène colonial dans ses formes les plus imposantes, et parfois les plus grotesques. C’est un moment de la période coloniale où la confrontation est représentée et glorifiée. Les uniformes de l’armée d’Afrique y sont figurés et mis en scène dans une situation pourtant parfois ambigüe, où l’on ne sait pas toujours qui assiège qui. Or ce type de représentations de combats, ces visions de la confrontation vont rapidement laisser place à l’imagerie d’un territoire idyllique comme l’oasis de Biskra, où aucune tension ne transparaît. Les artistes vont progressivement façonner l’image d’un pays éternel, où la présence coloniale est devenue invisible, infigurable, où l’uniforme n’est même plus montré.

Réappropriations postcoloniales de l’événement

32Progressivement, tout au long de l’occupation coloniale, le lieu de la révolte a été effacé des regards et des cartes. Ce qui restait de vestige a été emporté, enfoui, dispersé. La nature a également œuvré pour cet effacement. Les nombreux touristes présents à Biskra ignoraient en grande partie l’histoire tragique de ce territoire des Ziban. Pourtant, il apparaît certain que cet événement de la conquête, associé à plusieurs autres moments tragiques de cette histoire commune, est resté comme une blessure inconsciente des deux côtés de la Méditerranée. Les mémoires font ressurgir les monstres qui s’insinuent jusque dans les territoires de l’entre-deux-guerres, comme le rappelle Mouloud Feraoun à Albert Camus : « La femme du djebel ou du bled, quand elle voulait effrayer son enfant pour lui imposer le silence, elle disait : “Tais-toi, voici venir Bouchou”. C’était Bugeaud. Et Bugeaud, c’était un siècle auparavant ! Nous en étions là encore, en 1938. » On voit assez bien comment les hommes de la conquête ont continué de façonner l’imaginaire collectif des deux côtés de la Méditerranée. On aurait sans doute tort de minimiser la portée de tels événements dans les rapports qui unissent l’Algérie et la France après 1962.

33Dans les années 1980, sous la présidence de Chadli Bendjedid, les autorités algériennes favorisent l’élaboration d’une imagerie concurrente de celle de la période coloniale pour le nouveau musée central de l’Armée construit dans le complexe de Riadh el-Feth à Alger69. Une série de peintures d’histoire est ainsi commandée à des artistes algériens en vue de célébrer les principales figures de la résistance nationale. Le siège de Zaatcha devait faire partie des épisodes clés de cette réécriture par l’image de l’histoire de l’Algérie70. Mais aucun des peintres alors sollicités n’a semble-t-il représenté le siège de Zaatcha : ni Hocine Ziani71, ni Salah Hioun, ni même Moussa Bourdine.

34Plus récemment, c’est la question politique de la restitution des restes humains qui remet en lumière cet événement traumatique du moment colonial. En effet, trente-sept crânes humains rapportés d’Algérie pendant la conquête, parmi lesquels ceux de défenseurs de Zaatcha, sont aujourd’hui conservés au Muséum d’histoire naturelle à Paris72. Plusieurs de ces combattants musulmans étaient originaires du Maroc, de Tunisie ou de la péninsule arabique, ce qui complique la question actuelle de la restitution. Du point de vue de l’histoire, pour tenter de comprendre comment ces restes humains ont été transférés hors de l’Algérie, il importe peut-être de revenir sur des modes de pensée du xixe siècle. Les scientifiques considéraient alors ces crânes comme des objets de connaissance d’une catégorie de population à contrôler, au même titre que les déviants de la société française. C’est pour mieux connaître les sentiments, l’imaginaire religieux et les intentions de ces étrangers menaçant l’ordre dominant, que les observateurs ont recouru aux outils d’une science rapidement modifiée par le terrain colonial, et recentrée sur l’homme et son corps. Les pratiques d’objectivation effectuées en Algérie par les scientifiques, les militaires et les artistes sont étroitement liées à la constitution d’une science de l’homme au service des découvertes et des politiques coloniales.

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Fig. 7

Stèle commémorative de la bataille de Zaatcha (photo Roger Benjamin)

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Fig. 8

Abd. Raouf. Felloussi, Prise de Zaatcha d'après Jean-Adolphe Beaucé 1856, 2011, Musée Régional de La Sixième Wilaya Historique Colonel Mohamed Chaâbani (photo Roger Benjamin)

35Plusieurs artistes contemporains travaillent aujourd’hui sur cet épisode de la conquête73. L’enjeu mémoriel est important dans le sud de l’Algérie, en particulier dans les Ziban (FIG 7). Une stèle commémorative de la bataille de Zaatcha a été érigée à l’emplacement du siège, et constitue un lieu de recueillement pour les nombreux Algériens qui empruntent la route voisine. Le Musée du moudjahid de Biskra a également inscrit dans son parcours une représentation du siège qui reprend étrangement les motifs de la bataille orientaliste (FIG 8). Sous une forme très différente, l’installation de Mustapha Sedjal, La Question, présentée en 2017 à la maison des arts d’Antony74, témoigne d’une mémoire postcoloniale. En partant des recherches menées en 2011 par l'historien et anthropologue algérien Ali Belkadi, l’artiste a réintroduit dans l’histoire les noms des différents combattants dont les restes humains sont aujourd’hui conservés dans les musées français :

« Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, dit Chérif Boubaghla crâne n°5940/ Cheik Bouziane, le chef de la révolte des Zaatcha, crâne n°5941/ Si Moussa Al Darkaoui, crâne n°5942/ Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui, crâne n°5944/ Aïssa Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du chérif Boubaghla, tête momifiée n°5939/ Bou Amar Ben Kedida, crâne n°5943 »

36J’ai tenté ici d’analyser la façon dont l’événement a été construit, oublié puis remémoré, avec la résurgence et la sélection des traces du combat et de la révolte religieuse. Paradoxalement, les sources écrites en français au moment du siège militaire donnent un aperçu des différents aspects de cette confrontation brutale et barbare plus complexe qu’on aurait pu le supposer. Il resterait à mieux comprendre les modes d’articulation de la mémoire collective avec les images du siège et les textes qui l’ont décrit. Quelles représentations de l'événement la mémoire collective, au rebours de l’histoire littéraire ou de l’histoire de l’art, a-t-elle privilégiées ou sélectionnées ? Avec quelles simplifications, quelles distorsions ou quelles erreurs ? En fonction de quelles recompositions politiques ? À travers le siège de Zaatcha, il est peut-être possible de mieux comprendre comment les mémoires s'affranchissent des valeurs construites par l'histoire de l'art75.

Notes

1 Voir Jeannine Verdès-Leroux, Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui : une page d’histoire déchirée, Paris, 2001, p. 147 et 165. Sur l’oubli et les mémoires de la guerre d’Algérie, voir Benjamin Stora, avec Alexis Jenni, Les mémoires dangereuses ; Suivi d’une nouvelle édition du Transfert d’une mémoire, Paris, 2016 ; L’Algérie dépassionnée : au-delà du tumulte des mémoires, éd. par Eric Savarese, Paris, 2008.

2 Il est déclaré dans le Moniteur algérien, du 10 décembre 1849, p. 3 : « Quant à Zaatcha, dont la population a disparu, le sol de l’oasis est confisqué et sera ultérieurement vendu aux habitans des oasis voisines. » En débat vers 1852-1853, la question des biens séquestrés fait l’objet de négociations entre les autorités locales et certains propriétaires expropriés. Voir les archives numérisées des Archives nationales d’outre-mer : ark:/61561/zh311xrstqwv ; ark:/61561/zh311keflmdd. Il faudrait comparer avec la révolte de Mokrani en 1871 en Kabylie ; la répression fut disproportionnée et le séquestre appliqué systématiquement, voir Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), Paris, 1968, t. 1, p. 27 et suiv.

3 Voir Biskra, sortilèges d’une oasis, éd. par Roger Benjamin, cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, Paris/Alger, 2016 ; Mohamed Balhi, Biskra, miroir du désert, Alger, 2011.

4 « Monographie de Biskra et du Sahara de Constantine », dans Bulletin de la société de géographie d’Alger et de Constantine, 1921, p. 591.

5 De récents travaux historiques témoignent de l’intérêt que suscite l’événement. L’ouvrage de Mohamed Balhi : Zaatcha 1849 : l’insurrection des Ziban, Alger, 2015 a ouvert un débat important en Algérie. Voir aussi la thèse de Settar Ouatmani, « L’Insurrection de Zaatcha en 1849. Résistance et solidarité dans les Ziban », Université de Provence, 1998, et Halim Cherfa, L’héroïque bataille de Zaatcha, Annaba, 2007. Plusieurs blogs et sites consacrés à la colonisation française en Algérie font une place au siège de Zaatcha. L’anniversaire de la prise de l’oasis le 26 novembre 1849 est commémoré sur les plateformes de réseaux sociaux, donnant lieu à différents commentaires.

6 Félix Mornand, série « La guerre dans les Oasis », dans L’Illustration : journal universel, 354, 8 décembre 1849, p. 226.

7 Charles Bocher, Lettres et récits militaires, par Charles Bocher. Afrique et armée d’Orient, Paris, 1897, p. 201-202. Charles Bocher avait publié dès le lendemain de l’événement « Le siège de Zaatcha, souvenirs d’expédition dans les Zibân en 1849 », dans Revue des deux mondes, 10, 1851, p. 70-100.

8 Au M’Zab, un des proverbes dit : « Tuer une brebis, c’est tuer une abeille/ Tuer une abeille, c’est tuer un palmier/ Tuer un palmier, c’est tuer soixante-dix prophètes » (« Monographie de Biskra…», art. cité, p. 604).

9 Émile Herbillon, Insurrection survenue dans le sud de la province de Constantine en 1849. Relation du siège de Zaatcha, Paris, 1863, p. 118-119. Pour assiéger Zaatcha il a fallu déblayer le terrain par l’abattage systématique des dattiers. Le général Herbillon réalisa l’opération en concertation avec le colonel du génie Petit, grièvement blessé. Il en mesurait les conséquences, sachant que c’était la principale production du pays. Les nomades servaient d’intermédiaires aux habitants des oasis pour l’écoulement de leurs denrées : ils colportaient les dattes sur les marchés et les échangeaient contre du blé et d’autres marchandises. Ils avaient acquis ainsi un nombre important de parcelles et de propriétés dans les oasis. La colonisation bouleversa cette organisation, les ksouriens – habitants de Zaatcha – pouvant désormais se passer des services des nomades.

10 Voir Charles-Louis-Florentin Richard (commandant), Étude sur l’insurrection du Dhara (1845-1846), Alger, 1846. Pour une étude du phénomène religieux dans ce contexte, voir Mouloud Haddad, « Les maîtres de l’Heure. Soufisme et eschatologie en Algérie coloniale (1845-1901) », Revue d’histoire du XIXe siècle, 41, 2010, URL : http://journals.openedition.org/rh19/4043 [dernier accès : 04.09.2018] ; Julia Clancy-Smith, « La Révolte de Bû Ziyân en Algérie, 1849 », dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 91-94, juillet 2000, URL : http://journals.openedition.org/remmm/255 [dernier accès : 04.09.2018] ; Settar Ouatmani, « La prise et la destruction de Zaatcha. Épisode clé de l’insurrection des Ziban en 1849 », dans Annuaire de l’Afrique du Nord, tome XXXVI, 1997, URL : http://aan.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/AAN-1997-36_21.pdf [dernier accès : 04.09.2018].

11 Félix Mornand, série « La guerre dans les Oasis », dans L’Illustration : journal universel, 355, 15 décembre 1849, p. 242.

12 Sur ces formes de résistances, voir James McDougall, A History of Algeria, Cambridge, 2017, p. 83.

13 Laurent-Charles Féraud, « Notes historiques sur la province de Constantine : les Ben-Djellab, sultans de Touggourt », dans Revue Africaine, 29, 1885, p. 420-421.

14 Eugène Fromentin, Une année dans le Sahel, dans Œuvres complètes, éd. par Guy Sagnes, Paris, 1984, p. 261.

15 Ibid., p. 261-262. Début 1848, Fromentin et son compagnon Auguste Salzmann sont partis en expédition dans le sud, pour atteindre Biskra (soumise depuis 1844) et l’oasis de Zaatcha. Les deux artistes étaient sous la protection du commandant de Saint-Germain, chef du Bureau arabe de Biskra, qui sera tué de deux balles en pleine tête en septembre 1849, au début d’une attaque contre Abd el Hafid. Sa mort précipitera l’envoi des troupes pour assiéger Zaatcha. Voir James Thompson et Barbara Wright, Eugène Fromentin, 1820-1876 : visions d’Algérie et d’Égypte, Courbevoie, 2008, p. 73 et suiv. ; Barbara Wright, Beaux-Arts et Belles-Lettres : la vie d’Eugène Fromentin, Paris, 2006, p. 174-175.

16 En juin 1853, Fromentin lui-même a parcouru l’étendue dévastée de Laghouat peu après le siège militaire. Il en a été très affecté. Voir Un été dans le Sahara, dans Œuvres complètes, éd. par Guy Sagnes, Paris, 1984, p. 77 et suiv. ; Thompson et Wright, Eugène Fromentin, 1820-1876, op. cit., p. 116 et suiv. ; Barbara Wright, Beaux-Arts et Belles-Lettres, op. cit., p. 218 et suiv.

17 Eugène Fromentin, Une année dans le Sahel, op. cit., p. 262.

18 Sur le rapport entre fait colonial, topographie, cartographie et géographie militaire en Algérie, voir Hélène Blais, Mirages de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale, Paris, 2014 ; Made in Algeria : généalogie d’un territoire, éd. par Zahia Rahmani et Jean-Yves Sarazin, cat. exp. MUCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille/Vanves, 2016.

19 Cette ambition scientifique sous-tend également la formation des collections muséales et patrimoniales, en particulier la gestion des butins de guerre. En 1860, Mac Carthy succède à Adrien Berbrugger comme conservateur de la bibliothèque et du musée d’Alger.

20 Pierre Napoléon Bonaparte, Un mois en Afrique, Paris, 1850, p. 49-50. Gérard est alors très célèbre en métropole. A. Girod (éditeur à Besançon, imprimeur-fabricant d’images et d’Almanachs) l’a représenté vers 1847 habillé en zouave et coiffé d’un turban ; genou à terre, il fait face à un lion à la crinière bouclée, la gueule ouverte et les yeux menaçants.

21 Voir Le général Négrier tué Place de la Bastille le 24 juin 1848, lithographie, BNF, EST. Son cœur repose aujourd’hui dans la crypte des gouverneurs à Saint-Louis des Invalides.

22 Ces parallèles concernent la manière d’investir une à une les maisons et les rues des cités assiégées comme ce fut le cas notamment à Constantine, Zaatcha ou Laghouat. Voir Thomas-Robert Bugeaud, La guerre des rues et des maisons, éd. par Maïté Bouyssy, Paris, 1997 ; Christophe-Michel Roguet, Insurrections et guerre des barricades dans les grandes villes, Paris, 1850.

23 Sur la part des utopies dans ce mouvement de conquête coloniale, voir Jean-Louis Marçot, Comment est née l’Algérie française, 1830-1850 : la belle utopie, Paris, 2012, p. 779-807 ; Benjamin Claude Brower, A Desert Named Peace: The Violence of France’s Empire in the Algerian Sahara, 1844-1902, New York, 2009, p. 81-84.

24 Voir le chapitre « Les insurrections », dans Louis de Baudicour, La guerre et le gouvernement de l’Algérie, Paris, 1853, p. 464-510. Pour une synthèse, voir Jacques Frémeaux, « Guerre et violence en Algérie : 1830-1870 », dans Algérie, 1830-1962 : avec Jacques Ferrandez, cat. exp. Paris, Musée de l’Armée, 2012, p. 54-57.

25 [Flavien Parisot], Flavien de Fignévelle : lettres d’Algérie et de Crimée d’un soldat vosgien, 1850-1855, éd. par Marie-Françoise et Jean-François Michel, Monthureux-sur-Saône, 1994, p. 87-90.

26 Ibid., p. 87.

27 François-Charles Du Barail (général), Mes souvenirs, 1820-1851, t. 1, Paris, 1897, p. 365.

28 Pour l’année 1849, 9745 militaires sont morts en Algérie, avec un maximum en septembre (1070), octobre (3592), novembre (2134) et décembre (737). Il faut rajouter à ce nombre la cohorte des blessés. On estime 1500 militaires morts ou blessés pendant le siège de Zaatcha. Voir Ministère de la Guerre. Tableau de la situation des établissements français dans l’Algérie... (1846-1849), vol. 10, Paris, 1851, p. 71.

29 Émile Herbillon (1794-1866) avait participé aux dernières campagnes du Premier Empire, puis, en 1823, à l’expédition d’Espagne. Après le siège de Zaatcha, il dut céder le commandement de la province de Constantine au général de Saint-Arnaud. En 1855, il remportera la bataille de la Tchernaïa en Crimée et sera élu sénateur en 1863. Un village côtier du nord-est de l’Algérie a porté son nom jusqu’à l’Indépendance.

30 Insurrection survenue dans le sud de la province de Constantine en 1849. Relation du siège de Zaatcha, Paris, J. Dumaine, 1863.

31 Émile Herbillon, Insurrection…, op. cit. , p. 34-35.

32 Voir L’Algérie de Gustave Guillaumet : 1840-1887, éd. par Marie Gautheron, cat. exp. La Rochelle, musée des Beaux-Arts ; Limoges, musée des Beaux-Arts ; Roubaix, la Piscine-musée d’Art et d’Industrie André Diligent, Montreuil, 2018 ; Roger Benjamin, Orientalist Aesthetics: Art, Colonialism, and French North Africa, 1880-1930, Berkeley, 2003.

33 Voir Émile Herbillon, Insurrection…, op. cit., p. 3-4 ; Charles Bocher, Lettres…, op. cit., p. 163-164 ; François-Charles Du Barail, Mes souvenirs…, op. cit.,, p. 366 ; Eugène Daumas (lieutenant-colonel), Le Sahara algérien : études géographiques, statistiques et historiques sur la région au sud des établissements français en Algérie, Paris, 1845, p. 103 et suiv.

34 Docteur Quesnoy, « Relation médico-chirurgicale de l’expédition de Zaatcha », dans Recueil de mémoire de médecine militaire, 2e série, t. 6, 1850, p. 244.

35 Voir Auguste Schoennagel (capitaine du génie), « Récit des attaques et du siège de Zaatcha », dans Spectateur militaire, vol. xlviii, 1849-1850, p. 385-392.

36 Cet officier était polytechnicien. Voir « Note sur le colonel Petit », dans Spectateur militaire, vol. xlix, 1850, p. 246 ; Eugène-François-Jean-Baptiste Crestin d’Oussières (Colonel), Paroles prononcées à Besançon, le 17 janvier 1850, par le colonel d’Oussières, sur la tombe du colonel du génie Petit,... blessé mortellement au siège de Zaatcha..., Besançon, 1850.

37 Une partie des munitions proviennent du siège de Constantine (1837), et n’ont pas été d’une grande efficacité.

38 E.-Ch. Bourseul, Souvenirs de la guerre d’Afrique. Insurrection des Zibans. Zaatcha, Metz, 1851, p. 30.

39 Des artistes contemporains se sont inspirés de représentations comparables à propos des Gaulois luttant contre Rome : Auguste Glaize (1807-1897), Les femmes gauloises : épisode de l’invasion romaine, 1851, huile sur toile, H. 4.24 ; L. 6.51 m. Paris, musée d’Orsay ; Théodore Chassériau (1819-1856), La Défense des Gaules, 1853-1855 (Exposition universelle), huile sur toile, H. 5.33 ; L. 4 m. Clermont-Ferrand, musée des Beaux-Arts. Pour une analyse de ces peintures d’histoire, voir Peter Benson Miller « Models from the Atlas. Théodore Chassériau’s La Défense des Gaules and the 1855 Exposition universelle », dans Chassériau : (1819-1856) : un autre romantisme, Stéphane Guégan et Louis-Antoine Prat (éd.), Paris, 2002, p. 265-313.

40 Charles Bocher, Lettres…, op. cit., p. 193.

41 Émile Herbillon, Insurrection…, op. cit. , p. 37.

42 L’effectif a varié de quatre à sept mille hommes, quinze cents environ sont tués ou blessés pendant ce siège de 51 jours, du 7 octobre au 26 novembre.

43 Sur les médecins de l’armée d’Afrique, voir Claire Fredj, « L'organisation du monde médical en Algérie de 1830 à 1914 », dans Abderrahmane Bouchène éd., Histoire de l'Algérie à la période coloniale. 1830-1962. Paris, La Découverte, « Poche / Essais », 2014, p. 286-289 ; et « Soigner une colonie naissante : les médecins de l’armée d’Afrique, les fièvres et la quinine, 1830-1870 », Le Mouvement Social, 2016/4 (n° 257), p. 21-45.

44 On dénonce l’abus des liqueurs fortes et la mauvaise qualité des boissons vendues, les cantiniers falsifiant les boissons au fur et à mesure du débit.

45 Docteur Quesnoy, « Relation médico-chirurgicale… », art. cité, p. 249.

46 Ibid., p. 247 ; François-Charles Du Barail, Mes souvenirs…, op. cit., p. 362.

47 François-Charles Du Barail, Mes souvenirs…, op. cit., p. 370.

48 Edmond Pellissier de Reynaud, Annales algériennes. Nouvelle édition, revue, corrigée et continuée jusqu’à la chute d’Abd el-Kader ; avec un appendice contenant le résumé de l’histoire de l’Algérie de 1848 à 1854 et divers mémoires et documents, 3 vol., t. 3, Paris, 1854, p. 318.

49 Voir le récit du capitaine de Saint-Arnaud, ainsi que la série de lithographie par Auguste Raffet.

50 Laurent-Charles Féraud, « Notes historiques… », art. cité, p. 408.

51 Louis de Baudicour, La guerre…, op. cit., p. 479. Avocat catholique, Louis-Joseph Collette de Baudicour (1815-1883) a été entre 1839 et 1853 secrétaire général de la Société de Saint-Vincent-de-Paul.

52 Ibid., p. 507.

53 « Zaatcha (plan de l’oasis) » dans L’Illustration : journal universel, 354, 8 décembre 1849, p. 225 ; « Plan des attaques en 1849 » dans L’Illustration : journal universel, 354, 8 décembre 1849, p. 226 ; « Épisode de la prise de Zaatcha » dans L’Illustration : journal universel, 355, 15 décembre 1849, p. 241.

54 Moniteur algérien, 30 novembre 1849, n° 1011, p. 5.

55 Ibid.

56 Charles Bocher, Lettres…, op. cit., p. 201.

57 Docteur Guyon, Voyage d’Alger au Ziban en 1847, l’ancienne Zébé: avec atlas où figurent les principales oasis de cette contrée, quelques monumens du Tell, en deça des Aurès, et un portrait du dernier bey de Constantine, Alger, 1852, p. 254-259. Le docteur Jean-Louis-G. Guyon, spécialiste de la fièvre jaune et du choléra, fut nommé en 1839 membre de la Commission scientifique pour l’exploration de l’Algérie. Chirurgien en chef de l’armée d’Afrique, il participa au siège désastreux de Constantine (1836) et aux expéditions de Cherchell et de Médéah (1840). Chargé en 1847 de l’inspection médicale de la province de Constantine, il visite entre autres Tolga, El-Bordj, Farfar, Lichana, Bouchagroun et Biskra.

58 Ibid.

59 Nicolas Schaub, Représenter l’Algérie. Images et conquête au xixe siècle, Paris, 2015.

60 Le Moniteur universel, Le Journal des Débats, Le Constitutionnel, L’Illustration, Le Spectateur militaire.

61 Le Journal de Toulouse.

62 Nouvelles d’Afrique. Grande victoire remportée par les troupes françaises à Zaatcha. Nombre des prisonniers tombés en notre pouvoir, et passés par les armes, après avoir fait connaître leurs noms et d’où ils étaient. Exécution d’un Français qui se trouvait avec eux. Paroles qu’il a prononcées avant d’être fusillé. Capture d’un Chef Arabe faite par nos troupes en faisant des perquisitions dans les caves où s’étaient réfugiés les derniers défenseurs. Soumission d’un grand nombre de Tribus. (26 novembre), Paris, Impr. de Chassaignon, 1849 ; Nouvelles d’Afrique. Détails sur l’affaire de Zaatcha, victoire remportée par les troupes françaises. Nombre des pertes essuyées par les troupes ennemies. Soumission d’une faction de nomades au camp français. Razzia faite sur les troupeaux des tribus révoltées, Paris, Impr. de Chassaignon, 1849.

63 Huile sur toile, H. : 2.37 m ; L. : 3.88 m, Salon de 1857, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

64 Huile sur toile, H. : 1.45 m ; L. : 1.92 m, Salon de 1853, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

65 Huile sur toile, H. : 1.21 m ; L. : 2.4 m, Salon de 1853, Marseille, musée des Beaux-arts.

66 Elle est reproduite dans l’Iconographie historique… de Gabriel Esquer, no 831.

67 Notamment une aquarelle, 12.5 x 18.5 cm, dans l’ancienne collection du projet abandonné de Musée de l’histoire de la France en Algérie à Montpellier ; et une autre aquarelle conservée à Brown University Library, Anne S. K. Brown Military Collection.

68 Sur ce corpus artistique, voir notamment Peter Benson Miller, « La vision officielle de l’Algérie sous le règne de Napoléon III », dans De Delacroix à Renoir : l’Algérie des peintres, éd. par Stéphane Guégan, cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, Paris, 2003, p. 153-163 ; Julia Thoma « Writing History. Horace Vernet’s Œuvre under the Second Empire », dans Horace Vernet and the Thresholds of Nineteenth-Century Visual Culture, Daniel Harkett et Katie Hornstein (éd.), Hanover, 2017, p. 98-108.

69 Musée central de l’Armée (Alger), Mémoire de l’Algérie : pages d’histoire de la résistance populaire depuis l’Antiquité, Alger, 1984 ; Emmanuel Alcaraz, Les lieux de la mémoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, 2017, p. 124-171.

70 Musée central de l’Armée (Alger), Mémoire de l’Algérie … op. cit., p. 165-172.

71 Ziani : les lumières de l’histoire, éd. par François Pouillon, Alger, 2003. Au moment où le Ministère de la Culture l’a sollicité pour l’illustration de cette insurrection de Zaatcha, Hocine Ziani se trouvait loin de l’Algérie et il était persuadé qu’un autre artiste, Moussa Bourdine, avait déjà peint la scène pour le nouveau musée.

72 Voir Docteur V. Reboud, « Lettres au sujet des têtes de Bou Baghla, Bouzian et du chérif de Tebessa », dans Revue africaine, 30, 1886, p. 79-80.

73 Deux artistes - Damien Tran et Marion Jdanoff - qui travaillent aujourd’hui à Berlin ont consacré six sérigraphies à Zaatcha : http://palefroi.net/Print

74 L’œuvre a été présentée dans le cadre de l’exposition collective « L’art algérien entre deux rives » (https://issuu.com/mustaphasedjal/docs/la_question___mustapha_sedjal._2017)

75 Je remercie Alain Messaoudi, Anissa Bouayed, Roger Benjamin, Moussa Bourdine et Hocine Ziani pour leur aide dans l’élaboration de cet article.

Pour citer ce document

Par Nicolas Schaub, «Récits, images et mémoires d’une violence coloniale. Le siège de Zaatcha (1849)», Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie [En ligne], 2020-4, Numéros parus, Dossier, mis à jour le : 26/03/2021, URL : https://tierce.edel.univ-poitiers.fr:443/tierce/index.php?id=479.

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