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Composer à l'aide du timbre de Debussy à Yann Robin
Par Augustin Braud
Publication en ligne le 02 mars 2020
Mots-Clés
Table des matières
Texte intégral
À l'orée du xxe siècle, plusieurs problématiques animent la pensée des compositeurs. Ils s'interrogent sur la légitimité du langage hérité de leurs aïeux, cherchant tel Debussy à le pousser dans ses retranchements par le biais d'une individualité exacerbée ou à le transgresser jusqu'à l'écrasement des conventions comme Schoenberg qui, questionnant la prédominance de certaines hauteurs, met sur un pied d'égalité les douze sons de la gamme tempérée à l'aide du dodécaphonisme1.
En liant la composition à l'aide d'outils traditionnels harmoniques, mélodiques et rythmiques à une réflexion sur les paramètres du timbre, un monde de sonorités jusqu'alors inexplorées devient soudainement accessible. Chercher à agir sur le timbre instrumental et/ou vocal revient à affecter ses caractéristiques premières, altérer sa « […] qualité tonale [...] »2 afin de transformer ou affirmer son identité. Pour Jean-Baptiste Barrière, auteur de l'ouvrage de référence à ce propos, Le Timbre : métaphore pour la composition, le timbre est un composant plus global, et « […] le point de fracture inévitable de toutes les confrontations compositionnelles. Il sert à désigner des notions, voire des esthétiques musicales, mais tout à fait opposées. »3
La notion de timbre est à l'origine de nombreux concepts d'écriture musicale primordiaux aux xxe et xxie siècles. Le terme de texture désigne ainsi un enchevêtrement simultané de timbres instrumentaux divers, créant une nouvelle identité sonore complexe. Le timbre peut également être sculpté par des conditions extrêmes : en exagérant certains des paramètres le composant par l'écriture elle-même ou en développant de nouveaux modes de jeu, il devient saturé, perverti ou au contraire éthéré, flétri.
Les méthodes principales de modification du timbre et la variété de leur usage du début du xxe siècle à nos jours seront au coeur de cet article. En effectuant la synthèse de mes travaux de Master, je questionnerai les principales manières d'altérer le timbre à travers l'écriture, de Debussy jusqu'à Yann Robin, et proposerai un aperçu de plusieurs techniques classées chronologiquement : instrumentation/alliance de timbres, modes de jeu étendus et microtonalité, et dé-synchronisation des paramètres/complexité extrême.
L'instrumentation comme dispositif timbral additif ; un héritage fertile depuis Debussy
Le xixe siècle est une période d'affirmation où les genres issus de la tradition classique se voient tour à tour développés et enrichis. La symphonie, le concerto ou, de dimensions plus modestes, le quatuor à cordes, sont exploités jusqu'à leurs limites, distendant le champ des possibles ; après que Ludwig van Beethoven (1770 – 1827) se soit servi du genre du quatuor à cordes pour expérimenter des procédés d'écriture complexes, brouillant la hiérarchie héritée de Haydn et de Mozart, Gustav Malher (1860 – 1911) accroît son orchestre de manière démesurée et ose des alliages de timbres inattendus dans ses symphonies, la huitième allant jusqu'à comprendre, en plus d'un très grand orchestre et de solistes vocaux, un double choeur d'adultes et un choeur d'enfants. Ces nouvelles combinaisons instrumentales sont portées par les avancées de la lutherie, parmi elles l'invention du saxophone par Adolf Sax en 1846, le rôle plus prégnant des percussions, et l'utilisation élargie d'instruments auxiliaires (clarinette basse, contrebasson, etc.) ; une volonté naît d'influer sur le contenu musical, et donc sur le timbre, par l'instrumentation.
Avec le souhait de proposer à l'auditeur une palette de couleurs des plus larges, Achille-Claude Debussy (1862 – 1918) affirme son identité timbrique par le biais de procédés d'écriture uniques évoquant des matières fluides, constamment en mouvement :
La duplication des phrases est une constante importante du style de composition de Debussy. Si la simple itération peut être considérée comme un symbole de l'annulation du flux du temps dans la contemplation de l'instant, la duplication binaire est la source du sens de symétrie oscillante souvent perçue dans les pages du compositeur4.
Il enrichit également son effectif instrumental de trouvailles sonores telles que les célèbres cymbales antiques émaillant le Prélude à l'après-midi d'un faune (1894), œuvre par ailleurs marquée par la quasi-absence de cuivres, exceptés quatre cors ; en résulte un timbre global velouté, éthéré, jamais agressif.
Au sein de mon mémoire de première année de Master5, j'ai pu étudier la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, à l'effectif novateur, à l'instar de trois autres Sonates que le compositeur n'a pas eu l'opportunité de compléter :
Debussy avait envisagé de composer Six Sonates pour divers instruments, dans la lignée des Sonates en trio de Couperin ou des Pièces de clavecin en Concerts de Rameau. Le titre envisagé pour la sixième, “en forme de “concert” où se trouve rassemblée la sonorité des “divers instruments” avec, en plus, le gracieux concours de la contrebasse”, parle de lui-même. Debussy ne put en terminer que trois : pour violoncelle et piano, pour flûte, alto et harpe, et pour violon et piano6.
Les idées de Debussy ne se cantonnent pas au choix judicieux de l'effectif instrumental ; elles sont développées avec un artisanat accompli par le biais de l'orchestration. Au sein de Jeux (1912), sa dernière oeuvre pour orchestre, les alliages de timbres sont si audacieux que les sonorités semblent au premier abord mystérieuses : « Le principe du chromatisme [...] est suggéré dès les premières mesures de l’œuvre, avec une lente progression ascendante (Do – Ré bémol) confiée à un alliage de timbres très raffiné (harpes et cor). »7 Cette combinaison, loin d'être orchestralement idiomatique, est rendue efficace par le travail de timbre accompli par Debussy : les cors jouent ici pianississimo, doublés par la harpe jouant conjointement notes ordinaires et harmoniques, le tout souligné par une discrète texture de cordes mêlant à nouveau sons ordinaires et harmoniques, ouverture fantomatique vers un large champ de possibles.
Figure 1, Claude Debussy, Jeux, Paris,Éditions Durand, 1912,
cors (transposés), célesta, harpes, mesures 1 à 6.
Il est à noter que cette œuvre est particulièrement importante pour les compositeurs du xxe siècle, tant pour ses innovations timbrales que pour les questionnements formels qu'elle soulève :
C’est pourtant Jeux qui nourrit les questionnements bouillonnants de compositeurs comme Pierre Boulez ou Karlheinz Stockhausen, après la seconde guerre mondiale. La surprenante modernité d’un temps musical dont la souplesse n’a d’égale que la précision avec laquelle l’écriture sculpte une matière vibrante, est érigée en exemple à une époque où l’avant-garde ne parvient pas à résoudre de manière durable les crises qui la secouent8.
Cette volonté de sculpter la matière sonore par des moyens neufs se déploie également hors de France. Bientôt suivi par ses disciples, Arnold Schoenberg développe en complément de son langage dodécaphonique une finesse vertigineuse en ce qui concerne les alliages de timbres instrumentaux. À partir de Pierrot Lunaire (1912), il introduit l'ensemble instrumental mixte constitué de cinq instrumentistes solistes issus de familles organologiques différentes jouant des parties indépendantes. En dehors de formations de musique de chambre plus classiques telles que le trio avec piano (piano, violon et violoncelle), cette entité met en valeur des solistes aux personnalités timbrales hétérogènes, et est par conséquent plébiscitée par les compositeurs du xxe siècle. L'accès à des timbres variés d'une manière économiquement plus viable qu'un orchestre symphonique est l'une des raisons multiples les poussant à adopter cette formation de petite taille. Elle évolue ensuite jusqu'à des ensembles de plus en plus larges, employés par Karlheinz Stockhausen ou encore Pierre Boulez, mobilisant jusqu'à une trentaine de solistes issus de diverses familles instrumentales. Le second est d'ailleurs à l'origine de l'Ensemble Intercontemporain, véritable fabrique combinatoire de timbres ; ces nouvelles institutions mixtes et spécialisées portent un riche répertoire et encouragent de jeunes créateurs à convoquer des alliages de timbres neufs, modulés par divers modes de jeu.
Développement des modes de jeu instrumentaux ; l'altération du timbre par le tempérament, du geste au bruit
Au-delà des apports d'un effectif instrumental singulier, les compositeurs ont recours à des moyens plus immédiats de solliciter des timbres inouïs ; l'instrument en lui-même devient ainsi un lieu d'expérimentation et de découvertes.
Étudiée au sein de mon mémoire de Master 1, la pièce New Gates (1996) pour flûte, alto et harpe de Kaija Saariaho (née en 1952) s'émancipe de l'ombre debussyste par un usage de modes de jeux variés. Chacun des trois instruments se voit offrir un travail approfondi sur les possibilités de son timbre. L'analyse de cette pièce montre que Kaija Saariaho libère les modes d'émission du son par le biais d'un contrôle harmonique et formel précis : les choix de notes pivots sont fondamentaux dans la construction d'une structure mettant en valeur le timbre des instruments ; les registres influent effectivement sur les modes d'émission du son, et la compositrice envisage des techniques cohérentes avec la réalisation du résultat souhaité.
Au sein de New Gates, la flûte déploie un discours humanisé ; l'adjonction de la voix au sein de l'instrument par le biais de phonèmes dévoile un territoire sonore unique, constitué de sons mêlant hauteur et souffle, délimité par des glissandi articulés tels des vocalises. Des agrégats complexes, les sons multiphoniques sont également récurrents au sein de la pièce : à l'aide de doigtés spécifiques et d'une orientation précise du flux d'air, plusieurs hauteurs sont simultanément produites lors d'une seule expiration, malgré la nature monophonique de l'instrument. Ces sons ajoutent une dimension verticale à une musique le plus souvent structurée à travers son propre déroulement temporel. L'alto, quant à lui, propose des sons fragiles, harmoniques fluettes ou au contraire sons distordus par une pression exagérée de l'archet, et développe le matériau au travers de nombreuses tenues, marquées par des glissandos : il est l'instrument de l’incertitude.
Le traitement timbral plus traditionnel de la harpe souligne le caractère fluide de la flûte et de l'alto, comme le montre l'exemple ci-dessous :
Figure 2 : Kaija Saariaho, New Gates, Londres, Chester Music, 1996,
tutti, mesures 76 à 77, droits réservés (copie réalisée par l’auteur).
Le travail sur les différents paramètres du timbre permet à Kaija Saariaho de construire sa pièce par accumulation de développements du matériau ; le vocabulaire sonore défini par le choix de modes de jeu précis permet l'articulation du contenu musical à travers le temps.
La remise en question du système tempéré à douze sons est également primordiale dans la gestion du timbre dans la musique du xxe siècle. La véritable révolution liant pensée compositionelle timbrale et microtonalité9 naît avec le courant de la musique spectrale, où la nature même du son devient l'intérêt principal de compositeurs comme Hugues Dufourt (né en 1943), Michaël Levinas (né en 1949), Tristan Murail (né en 1947) et surtout Gérard Grisey (1946 – 1998). Pour celui-ci, « Le travail de la composition musicale [...] s'exerce [...] directement sur les dimensions internes de la sonorité. Il prend appui sur le contrôle global du spectre sonore et consiste à dégager du matériau les structures qui prennent naissance en lui. »10 En ce sens, il est un artisan du timbre, se jouant de la matière afin de créer une musique « différentielle, liminale, transitoire »11.
Le travail sur les intervalles inférieurs au demi-ton altère la perception du timbre instrumental et offre par conséquent aux compositeurs des possibilités nouvelles dans les domaines à la fois les plus traditionnels (harmonie) et les plus aventureux : les modes de jeu évoqués plus haut ne sont en effet pas incompatibles avec une conception spectrale. Comme l'écrit Gérard Grisey, « Les quelques souffles, bruitages et ombres sonores sont destinés à colorer discrètement le silence malhabile […] Ici, bien entendu, ces quelques bruits ne sont pas sans rapports avec la morphologie de Vortex Temporum. »12
Les exemples de New Gates et de la musique spectrale sont loin d'être les seuls ; l'allemand Helmut Lachenmann (né en 1935) crée par exemple une grammaire de modes de jeu bruités, structurant un nouveau lexique sonore largement exploité par la génération suivante. L'usage de ces techniques, poussées dans leurs retranchements, cherche à saturer les paramètres du timbre.
Saturations multiples ; multiplicité des injonctions et seuils de la perception
Les modes de jeu n'offrent pas seulement aux compositeurs une conscience nouvelle de l'instrument ; ils questionnent l'organisation des paramètres non-traditionnels. Naissant d'un acte physique, ces modes de jeu font appel aux notions de pression, de granulation pour les cordes et de souffle, embouchure, agrégats sonores gutturaux, etc. pour les vents, sans oublier la gestion parallèle des mouvements des deux mains donnant lieu à divers déplacements spatiaux.
Les caractéristiques physiques ici énoncées – ainsi que bien d'autres – se doivent alors d'être contrôlées par l'écriture, afin d'obtenir un rendu sonore contraint et donc extrêmement cohérent. Le mouvement de la New Complexity s'emploie ainsi à créer des espaces de confrontation entre les différents paramètres instrumentaux d'un matériau, afin de modeler son timbre avec la précision la plus systématique. Pour Brian Ferneyhough (né en 1943), chef de file de cette école de pensée,
[…] il n'y a jamais que du multiple. Tout objet sur lequel il opère est toujours-déjà un multiple c'est-à-dire un ensemble. Ainsi, une simple note est l'ensemble d'une hauteur, d'une durée (qui, généralement, lui est singulière et ne se répète pas pour la note suivante), d'une intensité et d'une expression qui lui sont propres à l'égal du timbre parfaitement spécifique qui l'affecte...13
La notion de timbre n'est alors qu'un formant parmi tant d'autres au sein d'une écriture multi-paramétrique, « […] avant tout rhétorique : elle est fondée sur des phrases musicales qui concentrent un certain nombre de caractéristiques structurelles provenant de la formalisation sous-jacente des différents paramètres, indépendants les uns des autres. »14
L'exemple ci-dessous, tiré de Mnemosyne (1986) pour flûte basse et bande, septième pièce du cycle Carceri d'Invenzione, montre l'étagement sur trois portées distinctes d'unités rythmiques mais surtout timbrales indépendantes : la portée supérieure souligne un caractère percussif à l'aide de pizzicati15 et autres sonorités fricatives, puis une injonction purement prescriptive mêlant doigtés et position des lèvres amène à un glissando de hauteurs. La seconde portée est dédiée aux sons mêlant air et hauteur ainsi qu'à des gestes staccato. Enfin, la portée inférieure est consacrée au contenu le plus traditionnel ; les impulsions gestuelles sont ici déterminantes, et constamment reliées aux inclusions des portées supérieures. Pourrait-on imaginer une autre forme d'écriture pour ce matériau sonore ? Il est aisé d'en douter, tant l'orfèvrerie timbrale résulte autant d'une pensée compositionnelle précise que de moyens de notation rigoureux.
Figure 3 : Brian Ferneyhough, Mnemosyne, Londres, Éditions Peters,
1982, flûte basse solo, mesures 29 à 34, droits réservés.
Toutefois, ce découplement des injonctions peut se dérouler d'autant de façons qu'il existe de compositeurs ; en effet, la notation de chacun étant propre, le matériau doit donc s'adapter donc à la pensée, et non l'inverse. Le cas de Klaus K. Hübler (1956-2018) est à ce titre remarquable. Compositeur versatile, son apport compositionnel est divisé en périodes variées, toutes synonymes d'exploration de nouveaux moyens de création, à travers le prisme de la notation. Les années 1980 sont en ce sens particulièrement fertiles, avec le développement d'un système de notation divisé sur plusieurs portées rythmiquement indépendantes. Chacune d'entre elles met en valeur un paramètre remarquable intimement lié à la facture de l'instrument : indépendance des deux mains pour les cordes, dichotomie entre souffle et doigtés pour les vents, etc
Figure 4 : Klaus K. Hübler, “Feuerzauber” auch Augenmusik,
Wiesbaden, Breitkopf & Härtel, 1981, violoncelle, p.11, droits réservés.
L'exemple ci-dessus indique deux notions distinctes éclatées sur trois portées. La portée supérieure quadri-ligne montre les mouvements de la main droite, jouant col legno sur les quatre cordes de l'instrument soumis à une scordatura16. Les deux portées inférieures sont dédiées aux mouvements de la main gauche : la portée la plus basse désigne les hauteurs appuyées (sans tenir compte de la scordatura) tandis que l'intermédiaire souligne les hauteurs importantes devant être mises en évidence.
Les travaux d'Hübler et Ferneyhough ont naturellement fédéré de nombreux disciples, parmi eux Aaron Cassidy (né en 1976) et Timothy McCormack (né en 1984), principaux représentants d'une école de pensée cherchant à décupler les possibilités timbrales par la contrainte. Toutefois, la saturation de l'information peut également se présenter sous la forme d'une production sonore où le compositeur cherche à contraindre la perte de contrôle de l'instrumentiste. Raphaël Cendo (né en 1975) et Yann Robin (né en 1974), dont l'oeuvre Asymétriades fait l'objet de mon mémoire de Master 2, font tous deux usages d'une notation relativement traditionnelle, mais aux résultantes inouïes, créant une dichotomie entre contrôle absolu de l'écriture et éruptions sonores volcaniques ; la graphie employée au sein des partitions de Yann Robin cherche à décrire avec précision la phénoménologie du geste de l'interprète, sans pour autant constamment indiquer de hauteurs résultantes. La libération d'un son absolu à travers une décharge d'énergie devient un moyen de contrôler le flux : en comparaison des œuvres de Ferneyhough ou Hübler, les moyens sémiotiques ici employés semblent immédiats à la lecture et traduisent conjointement graphiquement « […] le geste humain exécutif [et] le geste musical [...] ».17
Figure 5 : Yann Robin, Asymétriades, Paris, Éditions Henry Lemoine, 2014,
contrebasse soliste, mesure 14, droits réservés.
Le geste musical noté par Yann Robin est celui d'un glissando avec forte pression sur les cordes de l'instrument, ici une contrebasse. Les lignes obliques indiquent la direction du geste (de l'aigu au grave) tandis que la forme noire montre une augmentation de la pression de l'archet à la main droite ; couplées avec des précisions quant aux nuances et aux positions de l'archet, ces indications permettent une lecture aisée d'un son à la résultante pourtant complexe.
On constate aisément l'exhaustivité des techniques d'écriture coexistant dans la musique postérieure à 1970. Les procédés employés font de la partition un outil de médiation, où l'on ne contrôle plus seulement le timbre instrumental et ses paramètres mais aussi le corps de l'interprète, contraint par l'exigence de la notation. Ces notions se situent au cœur de la thèse que j'ai commencée en octobre 2018 au sein du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l’Art et Musicologie (Criham)18.
Ce travail de recherche sur différents axes de composition à l'aide du timbre est loin d'être exhaustif et j'aurais tout aussi bien pu aborder des musiques faisant appel à l'électronique, à la répétition extrême ou encore au presque-silence ; il est cependant complété par ma propre activité de compositeur, et les échanges constants avec des interprètes du répertoire des xxe et xxie siècles. Depuis l'époque classique, les compositeurs écrivent le plus souvent pour des interprètes bien précis, motivés par les spécificités de leur jeu et leur virtuosité unique. Au xxie siècle, le profil le plus recherché est celui du méta-instrumentiste, aussi à l'aise dans la physicalité la plus crue que dans l'abstraction potentielle ; ce rapport fort entre musiciens interpelle et remet en cause de nombreux processus de création et d'altération des timbres instrumentaux et vocaux. Au xxie siècle, l'écriture devient ainsi une zone injonctive plus que prescriptive, où la contrainte amène à la transcendance.
Annexes
Annexe 1 : liens vidéo des œuvres
Achille-Claude Debussy, Jeux
https://www.youtube.com/watch?v=7JbQh5gU_Pw
Arnold Schoenberg, Pierrot Lunaire
https://www.youtube.com/watch?v=vQVkbKULKpI
Kaija Saariaho, New Gates
https://www.youtube.com/watch?v=Pz4_8bgVZ2Y
Gérard Grisey, Les Espaces Acoustiques
https://www.youtube.com/watch?v=IXQ5c8GUsUM
Brian Ferneyhough, Mnemosyne
https://www.youtube.com/watch?v=KQVeOp12_E4
Klaus K. Hübler, “Feuerzauber” auch Augenmusik
https://www.youtube.com/watch?v=LPAgJ1nTakw
Yann Robin, Asymétriades
https://www.youtube.com/watch?v=S0cbuyEpr7c
Aaron Cassidy, The wreck of former boundaries
Notes
1 Technique de composition utilisant les douze tons chromatiques organisés en séries, sans répétition.
2 Murray Campbell, « Timbre (i) », dans Stanley Sadie et John Tyrrell (éd.), The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Londres, Macmillan, 2001, vol.xxv, p. 478.
3 Jean-Baptiste Barrière, (dir.), Le Timbre : métaphore pour la composition, Paris, C. Bourgeois Éditeur et IRCAM, coll. « Musique/Passé/Présent », 1991, p. 11.
4 Francesco Spampinato, « L'imaginaire musical des matières fluides », dans Francesco Spampinato, Debussy, poète des eaux, Paris, L'Harmattan, coll. Arts & Sciences de l'Art, 2011, p.189.
5 Augustin Braud, Aspects du timbre dans le répertoire pour flûte, alto et harpe : Debussy, Takemitsu, Saariaho, Mémoire de Master 1 préparé sous la direction de Mme Cécile Auzolle, Université de Poitiers, département de musicologie, juin 2017.
6 Christian Goubault, Claude Debussy, la musique à vif, Paris, Minerve, coll. « Musique Ouverte », 2002, p. 44.
7 Joseph Delaplace, « Jeux de Claude Debussy : le présent paradoxal d'une “étude de mouvement” », Musurgia,, Paris, Editions ESKA, 2010, vol. xvii, no 2, p. 49.
8 Joseph Delaplace, « Jeux de Claude Debussy : le présent paradoxal d'une “étude de mouvement” », op cit., p. 41.
9 Usage d'intervalles inférieurs au demi-ton.
10 Hugues Dufourt, Musique, pouvoir, écriture, Paris, Christian Bourgeois, 1991, p. 291.
11 Gérard Grisey, Écrits, ou l'invention de la musique spectrale, éd. par Guy Lelong et Anne-Marie Réby, Paris, MF Éditions, coll. « Répercussions », 2008, p. 45.
12 Ibid., p. 160.
13 François Nicolas, « Éloge de la complexité (B. Ferneyhough) », dans Entretemps [en ligne], 1987, n° 3, http://www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Ferneyhough.html (consulté le 05/11/2018).
14 Philippe Albèra, « Parcours de l'oeuvre », dans Brian Ferneyhough, IRCAM [en ligne], 2008, http://brahms.ircam.fr/brian-ferneyhough#parcours (consulté le 04/11/2018).
15 Son percussif effectué à l'aide de la langue auprès de l'embouchure de l'instrument.
16 Accordage non-standard d'un instrument à cordes.
17 Jerrold Levinson définit au sein de cet article trois catégories gestuelles principales : le geste humain exécutif, le geste musical et le geste humain expressif. Jerrold Levinson, « L’instrument de musique : réflexions sur le geste, l’écoute et la création », dans Methodos [en ligne], 31/03/2011, n° 11, http://journals.openedition.org/methodos/2560 (consulté le 05/11/2018).
18 De l'émotion à la création : interdépendance du corps de l'interprète et du contrôle du timbre dans la musique du xxie siècle, thèse de nouveau doctorat préparée sous la direction de Mme Cécile Auzolle.
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