Mort d’un tirailleur indochinois : le loup-garou de Verduron (Marseille, 1919)

Par Laurence Montel
Publication en ligne le 02 mars 2020

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Table des matières

Texte intégral

1Les dossiers de procédure criminels et correctionnels ont constitué, depuis les débuts de l’histoire du crime et de la justice dans les années 1970, la matière vive de très nombreuses recherches en histoire sociale et judiciaire, ouvrant une porte inédite sur les conflits et les déviances, au sein des familles ou des communautés, rurales comme urbaines, avant de servir aussi à l’étude du travail des acteurs de l’enquête, policiers, experts et magistrats et des modalités d’administration de la preuve1. Les études se fondent sur la constitution de corpus de dossiers sélectionnés sur des critères thématiques et chronologiques, souvent assortis d’un échantillon des décisions de justice et d’un ensemble d’imprimés2. Il est néanmoins des crimes et des délits hors du commun qui ont polarisé pour eux-mêmes l’attention des praticiens du droit, des aliénistes puis du grand public, dans le contexte d’émergence de la culture de masse et de la médiatisation des faits divers3. Ces affaires ont suscité des récits historiques dès le XIXe siècle, notamment dans les amples compilations des Causes célèbres4. Nombre de travaux d’historiens poursuivent cette veine avec les rigueurs de la science, dans une perspective micro-historique, l’étude de cas offrant la possibilité d’une radiographie sociale ou politique du moment5.

2Les documents réunis ci-après sont extraits d’un dossier de procédure criminelle conservé aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône et relatif au meurtre, en mars 1919, de « Dao Van Man »6, soldat de la 3e compagnie du 21e Bataillon de marche indochinois, alors cantonné dans la périphérie septentrionale de Marseille, au Camp Mirabeau7. Il ne s’agit pas d’un grand crime : son écho se limita sur le moment à la mention, par quelques journaux, de la découverte du corps et des débuts de l’enquête. Par ailleurs, le volume relativement mince du dossier (une cinquantaine de pièces, pièces de forme comprises) et l’enquête judiciaire menée en quatre mois par Marcel Gougne, juge suppléant, suggèrent un cas simple et limpide. Il n’en est pourtant rien. On lira, pour bien comprendre l’étrangeté et l’intérêt du cas, l’acte d’accusation (document n°15). La victime « qui ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés mentales », avait quitté son corps d’armée le 2 mars 1919. Or ce jour-là, et pendant la nuit qui suivit, le quartier de Verduron fut mis en émoi par les cris d’un individu qui paraissait vouloir effrayer la population et à la poursuite duquel se mirent un certain nombre de personnes, en le désignant sous le nom de « loup-Garou ». Le 3 mars, vers 5 h 10 du matin, « un groupe de personnes, parmi lesquelles l’accusé », Giansoldati, étaient à sa recherche, lorsqu’ils virent dans la campagne Madon un homme essayer de se dissimuler. C’est alors que l’accusé « tira sur lui deux coups de revolver, non loin de l’endroit où quinze jours plus tard, fut retrouvé le cadavre de Dao Van Man – Giansoldati reconnaît avoir fait feu à deux reprises sur le ‘loup-Garou’ et déclare que celui-ci disparut aussitôt et ne put être retrouvé ». Le procureur général fait preuve de prudence, en employant périphrases et guillemets mais rend compte d’une enquête où n’est jamais creusée ni mise en doute cette peur de la lycanthropie pourtant invoquée pour tout mobile par l’accusé.

3Cette irruption du surnaturel dans la marche de la justice8, et plus largement, dans la France de 1919, et au sujet d’une victime indochinoise, justifierait en soi qu’on s’intéresse à ce dossier, sachant en outre que le 20 mars 1920, le jury demande l’acquittement de l’accusé, pourtant loin de jouir d’une bonne réputation. Mais ce n’est pas son seul intérêt. Il offre en effet un éclairage inédit sur les marges urbaines septentrionales de Marseille, Verduron étant au début des années 1920 un îlot ouvrier implanté sur des hauteurs sauvages de faubourgs ouvriers qui se sont étoffés depuis la fin du XIXe siècle. Une communauté ouvrière s’y est constituée, dont l’expérience quotidienne est marquée par cette marginalité, ses inconvénients et ses atouts. Enfin, il documente le contexte particulier de la sortie de guerre à Marseille, ville loin du front mais dont on sait aujourd’hui qu’elle vécut aussi la guerre. Sans cette transition entre guerre et paix, sans la démobilisation progressive mais encore partielle des troupes, la rencontre n’aurait peut-être pas pu avoir lieu entre la victime, un soldat de la 3e compagnie du 21e bataillon de marche indochinois, et son présumé meurtrier, Dante Giansoldati, un pêcheur de l’Estaque d’origine italienne, déserteur de l’armée française9.

Une périphérie ouvrière marseillaise en voie d’urbanisation

4L’histoire économique et urbaine marseillaise a eu pour terrain privilégié la ville et son port, secondairement les pôles industriels bien identifiés de la banlieue nord, avec ses importantes concentrations populaires, tels Saint-Henri et Saint-André, mais on connaît encore mal l’histoire des hameaux ouvriers qui se sont étoffés dans le premier XXe siècle sur le terroir qui entoure la ville10. Un intérêt non négligeable de ce dossier est qu’il ouvre sur ce monde ouvrier des marges rurales de Marseille en cours d’urbanisation, ici le quartier de Verduron. La récente occupation de Verduron est perceptible dans le dossier et dans les annuaires locaux des années 1920, les Indicateurs Marseillais de 1914 et 1926 par exemple, par comparaison avec un plan postérieur de 1941-1943.

5Le corps de Dao Van Man est retrouvé dans la campagne Madon, à Verduron, non loin du Moulin du Diable. Ci-dessous, l’extrait du plan de Marseille paru dans l’Indicateur Marseillais en 1926 (figure 1) permet, par l’indication du lieu-dit « Min du Diable », de situer Verduron tout contre la commune des Pennes (quartier de la Gavotte), soit à la limite administrative de Marseille, et de relever son emplacement à l’extrémité septentrionale de la ville, au nord de Saint-Henri et Saint-André11. Verduron n’est pas indiqué, et l’on ne distingue pas de hameau entre le Moulin du Diable et Cadenet.

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Figure 1 - La banlieue nord de Marseille selon l’Indicateur Marseillais paru en 192612.

6Pourtant, le dossier d’enquête témoigne de l’existence d’un foyer de population à majorité ouvrière à Verduron en 1919. Le « groupe de personnes » à la recherche du « loup-garou », dans Verduron, au petit matin, le 3 mars 1919, comprend des travailleurs auxquels le contexte de la sortie de guerre adjoint trois jeunes hommes mobilisés, dont deux déserteurs. Ange Lanzofame, dit « le père Lange », est un journalier de 57 ans, parti de son domicile vers 5 h 10. Il s’apprête à descendre le « Pain de Sucre » quand les cris de Dao Van Man l’incitent à faire demi-tour. Il rencontre alors Antoine Nervi, un chargeur de 44 ans, qui s’étonne de le voir rebrousser chemin. Les deux hommes reprennent leur marche ensemble, quand de nouveaux cris les arrêtent encore. Ange Lanzofame explique avoir alors voulu aviser sa fille et la faire descendre avec lui, « de crainte qu’elle ne s’effraye ». Mais les deux hommes étaient moins assurés qu’ils le laissent paraître, car ils ne repartent qu’assurés du renfort de Laurent Bosc, 35 ans, journalier, et des deux fils d’Ange, Jacques et Isidore Lanzofame, dont le premier est canonnier en permission, et le second, déserteur. Sur la route, ils sont rejoints par l’accusé, Dante Giansoldati, ami d’Isidore, lui aussi déserteur, mais qui se déclare pêcheur dans la vie civile. Outre ce groupe présent lors de l’altercation, l’information judiciaire donne la parole à des journaliers, un ouvrier maçon, une poissonnière, un chargeur, un pointeur sur les quais, un pêcheur, une couturière, deux journalières et un ébéniste. Un des témoins, Lucas, est un retraité de la marine estropié, dont la femme est journalière. La plupart sont italiens ou d’origine italienne.

7Les habitants de Verduron interrogés dans le cadre de l’enquête indiquent des adresses précises, d’ailleurs proches les unes des autres, signe qu’il existe bien des rues, quoique le plan de 1926 ne les indique pas : boulevard Gambetta (les Lanzofame, les Nervi, Vincent Ilardi et Ciro Cilento), boulevard et allées de l’Agachon du Roi (époux Bosc, Marie Hennequin, Louis Lucas), lieu-dit du Moulin du Diable (les sœurs Asteggiano). Le « Plan de Marseille et des environs faisant apparaître les cinémas […] » de 1941-1943 (figure 2), dont un extrait est figuré ci-dessous, indique en revanche Verduron et fait apparaître les rues en question (ainsi que le « Pain de Sucre », mentionné par le père Lanzofame).

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Figure 2 - Verduron et le Moulin du Diable d’après le plan de la commune de 1941-194313.

8Si la carte de l’Indicateur Marseillais de 1926 n’est pas à jour, « Le Verduron » n’est pas ignoré dans le texte des annuaires de l’époque, qui énumèrent pour chaque quartier de Marseille les services et habitants que leur statut ou leur fonction rend intéressants (les commerçants, les artisans, autant que les propriétaires). En 1914, une dizaine de lignes sont consacrées au quartier du Verduron14. L’Indicateur recense quelques commerces et une boîte aux lettres. En revanche, ni bureau de poste, ni école communale, ni médecin. Le commissaire Paolantonacci doit faire transporter le corps au dépositoire Saint-Pierre aux fins d’autopsie, faute de trouver un praticien sur place. Tous ces éléments indiquent un foyer de population récent, sur le terroir marseillais. L’environnement encore sauvage est d’ailleurs perceptible dans le dossier : le corps est retrouvé « dans la campagne Madon », et il est aussi fait mention de la campagne Dupuy et de celle des Amandiers. Le terme désigne de grandes propriétés rurales qui se partageaient le terroir marseillais autour de la ville agglomérée, progressivement démembrées ou mitées par l’urbanisation. Le rapport d’autopsie indique par ailleurs que le corps présente « de nombreuses éraflures de la peau », comme si, « après la mort », il « avait été traîné sur un sol rocailleux ou garni de plantes épineuses15 ». Plusieurs témoins déclarent que le « loup-Garou » a disparu « dans les pins » après les coups de feu tirés dans sa direction, ou avoir vu un homme « dans le bois ». On renverra encore au plan dressé par la police judiciaire à la demande du juge d’instruction, qui reporte les éléments de végétation de la campagne Madon. En 1919, cette frontière de Marseille est donc encore une marge de l’urbain. Tandis que la vue du Moulin depuis Saint-Antoine montre l’existence d’un village, l’autre versant, donnant sur la mer, était plus sauvage16. Dix années plus tôt, les alentours immédiats du Moulin étaient déserts, et l’édifice une destination des excursionnistes marseillais.

9Depuis les années 1880, qui ont vu les derniers grands travaux d’urbanisme planifiés, l’urbanisation marseillaise progresse spontanément, au gré des implantations industrielles, de la spéculation immobilière et des ressources de la population. La croissance économique de Marseille a reposé sur l’emploi d’une main d’œuvre peu formée, peu coûteuse et abondante, au service du système industrialo-portuaire. Ces conditions n’ont stimulé ni l’investissement productif, ni des politiques sociales visant à améliorer le quotidien des populations ouvrières, telle que la construction de logements ouvriers. Les populations les plus pauvres ont dès lors eu tendance à se fixer dans les faubourgs puis dans les banlieues, surtout septentrionales, suivant la progression des aménagements portuaires et industriels, le faible coût du foncier et la possibilité d’édifier sa maison individuelle. De telles raisons ont contribué à la fixation d’un foyer de population ouvrière à Verduron. Encore rural au début du XXe siècle, Verduron se situe sur une colline pentue, celle du « Moulin du Diable », au sommet de laquelle est située la campagne Madon. L’altitude culmine à 240 mètres, mais le dénivelé est important. Aujourd’hui, c’est un secteur immobilier relativement prisé dans les quartiers nord de la ville, car en dépit de son exposition au mistral, son versant ouest offre une vue imprenable sur la mer Méditerranée. De plus, le bâti désormais serré compte effectivement une majorité de maisons individuelles, dont certaines, de petites surfaces, sont d’anciennes maisons ouvrières, à côté de villas cossues souvent plus récentes. L’escarpement, les ruelles étroites et en lacets, séparent le quartier des environs populaires, et pour partie dépréciés, de Saint-Henri et Saint-André, où ont été édifiés plusieurs grands ensembles qui cumulent des handicaps sociaux. Un siècle plus tôt, c’est Verduron qui présentait divers inconvénients propres à limiter le coût de l’immobilier tout en offrant des possibilités de maisons individuelles : absence de transport en commun de proximité comme d’équipements urbains, isolement, rudesse du mistral, à quoi on peut ajouter l’absence probable d’éclairage urbain : la pénombre a certainement accentué la crainte d’Ange Lanzofame et Antoine Nervi, lorsqu’ont retenti les cris de Dao Van Man. Les habitants de Verduron devaient entreprendre de longs trajets quotidiens entre leur domicile et leur lieu de travail, comme la majorité des ouvriers des quartiers nord de Marseille17. Lange Lanzofame travaille avenue d’Arenc : il était en train de « descendre » vers la ville quand il a entendu les cris. Vincent Ilardi travaille aux Chantiers de Provence, un chantier naval situé à la Madrague. Quant à Laurent Bosc, il est descendu vers Marseille pour y trouver du travail mais a regagné son domicile dans la matinée, « n’ayant pas travaillé ». Pour être en route dès 5h15 du matin, on peut imaginer un lever vers 4h30. Par le « Pain de Sucre », Ange Lanzofame s’apprêtait sans doute à gagner le quartier d’Arenc à pied. Mais retardé par l’incident, il se rend ensuite avec le groupe à Saint-Antoine, où il est possible de prendre le tramway. 

10L’aménagement de ce réseau de transport en commun et le subventionnement municipal des titres de transport, engagés par la municipalité socialiste de Siméon Flaissières à la veille de 1900, facilite les déplacements quotidiens des classes laborieuses, tout en contribuant à réorganiser l’espace urbain vécu18. En 1919, Verduron se situe dans l’arrondissement de police de Saint-Henri, où se trouve le bureau du commissaire Paolantonacci, compétent pour ouvrir l’enquête. Les Marseillais du centre-ville se représentent peut-être aussi Verduron comme une marge de Saint-Henri. En témoigne le titre de l’article paru au sujet du meurtre le 19 mai, dans Le Petit Marseillais : « Un crime mystérieux à Saint-Henri ». Cette assimilation, due au fait que Verduron se trouve sur les hauteurs de Saint-Henri, paraît assez éloignée de l’expérience quotidienne des habitants du quartier, qui regardent plutôt en direction de l’autre versant, vers Saint-Antoine. Outre que s’y trouve la plus proche station de tramway, c’est le garde champêtre de Saint-Antoine et non le commissaire de Saint-Henri, que Louis Lucas, 56 ans, retraité de la marine, va quérir, lorsque le jeune Raymond Nervi, âgé de 8 ans, vient lui dire qu’un « homme mort et tout nu19 » se trouve dans la campagne Madon.

11Si le dossier de procédure donne à voir le rythme de vie quotidien de la population laborieuse de Verduron, il met en scène une communauté ouvrière confrontée à une rencontre insolite rendue possible par le contexte de sortie de guerre : celle d’un tirailleur indochinois au comportement hors-norme et effrayant, au point qu’elle se lance à sa poursuite au prétexte qu’il s’agirait d’un loup-garou.

Sortie de guerre et confrontations raciales dans la banlieue de Marseille en 1919

12Récemment, plusieurs ouvrages ont relaté l’histoire de Marseille et des Marseillais pendant la Grande Guerre, revenant sur le mythe d’une ville désintéressée du conflit et sur celui de Provençaux couards qui auraient fui devant l’ennemi20. Le dossier de procédure ici présenté étayerait aisément une histoire de la période consécutive que fut la sortie de guerre et son expérience par les populations locales. En ce printemps 1919, si les soldats français sont peu à peu libérés, ce n’est pas le cas des plus jeunes d’entre eux. Jacques Lanzofame n’est qu’en permission. Il regagne d’ailleurs peu après son régiment d’infanterie à Chartres. Âgé de 20 ans, il fait partie des mobilisés qui n’ont pas terminé leurs trois années de service militaire à l’issue de la guerre21. Quoiqu’elle soit terminée, son frère Isidore est toujours déserteur du 106e régiment d’infanterie, et Dante Giansoldati, du 230e. Le 21 juillet 1916, ce dernier n’a pas rejoint son régiment à l’expiration d’une permission. Les deux hommes se soustraient donc à l’autorité judiciaire, Dante depuis presque trois ans. La guerre est finie, mais ils sont toujours en situation illégale. Les poursuites pour désertion ne s’arrêtent du reste pas avec le conflit. Dans le cadre du meurtre de Dao Van Man, Isidore est arrêté le 10 avril et Dante Giansoldati le lendemain. Le premier est rapidement mis à disposition de la justice militaire et le 5 mars 1920, il est encore détenu au Fort St Nicolas, « en prévention du conseil de guerre pour désertion ». Son camarade, lui, est réclamé par l’autorité militaire dès qu’il est placé en détention provisoire dans l’affaire Dao Van Man, pour le voir répondre de sa désertion.

13Le contexte de la sortie de guerre explique la présence de trois soldats dont deux déserteurs à Verduron, mais aussi celle de Dao Van Man, tirailleur de la 3e Compagnie du 21e bataillon de marche indochinois. Il fait partie des 48 922 Indochinois incorporés dans l’armée française pendant la grande guerre, parmi lesquels 43 430 sont venus en Europe et 1123 sont morts ou ont disparus22. Au printemps 1919, son bataillon est cantonné au camp Mirabeau, qui a déjà accueilli précédemment des troupes coloniales britanniques et surtout, en 1916, des troupes russes. L’événement a été abondamment photographié et relayé par la presse. Ce camp, si l’on en croit La Presse, est « protégé par des treillages de fil de fer23 ». Il se situe « sur une hauteur en bordure de la baie de l’Estaque24 ». Il est difficile de le situer exactement, parce que la « baie de l’Estaque » est une indication assez vague et peut-être inspirée des œuvres du peintre Cézanne. Toutefois, il existe aujourd’hui dans le quartier de Saint-André une zone dite « camp » ou « Ruisseau Mirabeau », qui accueillit après-guerre des rescapés du génocide arménien avant de devenir un camp de tziganes. C’est peut-être là que furent cantonnés ces bataillons indochinois. La presse de l’époque mentionne que des permissionnaires algériens y furent aussi reçus en novembre 1918, en raison d’un pic du nombre de militaires démobilisés transitant par Marseille25.

14En mars 1919, on ne sait pas depuis combien de temps Dao Van Man est à Marseille. Les déclarations sont contradictoires quant à sa disparition (dès le 23 février, d’après son adjudant ; à partir du 2 mars, d’après le brigadier de la sûreté chargé de l’enquête de terrain et d’après le commandant du bataillon). Il est en revanche assuré que ce soldat était en situation de détresse psychique : il « avait à maintes reprises, auprès de ses camarades, manifesté l’intention de vouloir se donner la mort26 ». Il aurait aussi reçu de « mauvaises nouvelles lui annonçant, croit-on, la mort d’un de ses frères27 ». Charles Bochot, commandant du bataillon, qui lui n’est pas cantonné au Camp Mirabeau mais logé à l’Hôtel des Deux Mondes, livre une interprétation un peu différente : ce serait un « simple d’esprit », « sujet à la nostalgie ». « Ses compagnons disent qu’au cours de la campagne, il aurait eu des idées de suicide28 ». Les Indochinois envoyés en France furent généralement employés à des travaux militaires ou aux travaux des champs. D’ailleurs, le 21e bataillon de tirailleurs indochinois, formé à Saint-Raphaël en décembre 1916, fut employé « à la garde des terrains d’atterrissage et à la réfection des routes dans l’Aisne » et à des « opérations d’assainissement du champ de bataille », mais il repoussa aussi des offensives dans les Vosges entre mai et juillet 1917. Ce bataillon fut dissous le 18 avril 1919, peu après la mort de Dao Van Man29. Le terme « nostalgie » désigne classiquement, depuis la fin du XVIIe siècle, l’état d’abattement qui frappait certains soldats, éloignés de leur lieu de vie habituel. La durée de la guerre, la situation d’éloignement extrême qui prive les soldats coloniaux de permissions dans leurs familles, expliquent que ces derniers aient pu en être particulièrement touchés. Si l’on connaît de mieux en mieux l’histoire des souffrances psychiques d’une partie des soldats envoyés au front pendant la grande guerre, le cas est encore mal connu pour les tirailleurs coloniaux30. Dao Van Man en est sans doute une victime.

15À lire les témoignages des résidents de Verduron, son comportement a été en effet des plus inhabituels, et d’autant plus difficiles à comprendre que cet Indochinois était un individu particulièrement exotique. Il est en effet remarquable que les habitants ne comprennent pas qu’il s’agit d’un Asiatique. Plusieurs l’identifient à un étranger plus familier : un arabe. Ciro Cilento explique qu’au Moulin du Diable, le 2 au soir, il marchait accompagné de sa femme lorsqu’ils ont « entendu des cris » qu’il a cru « poussés par un arabe ». Il précise que l’individu « criait avec volubilité en un langage dont [il] ne [comprit] pas un mot31 ». Eugénie Asteggiano témoigne que son frère, André, lui aussi permissionnaire, a eu peur en voyant l’homme venir vers lui, le même soir, au point de tirer en l’air deux coups de revolver pour l’effrayer. Le lendemain matin, le père Lange a également cru avoir affaire à un arabe, et c’est en cette langue que Laurent Bosc a tenté de l’interpeler, criant « à plusieurs reprises « Mirkronia » (mon frère)32 ». Au petit matin, alors que Verduron est probablement encore plongé dans la pénombre, le tirailleur effraie d’autant plus qu’il paraît adopter des allures animales. Jacques Lanzofame déclare ainsi : « j’ai vu dans le bois un individu qui se levait et qui se baissait [...] j’ai dit à mon camarade de tirer. Il a tiré un coup sur l’individu qui à quatre pattes s’est sauvé une quarantaine de mètres plus loin33 ». L’étrangeté de ce soldat colonial et son comportement expliquent qu’il ait évoqué un loup-garou.

16Cette mention de la lycanthropie, qui fait tout le sel du dossier, est le point le plus difficile à interpréter, le juge d’instruction n’ayant pas poussé suffisamment l’investigation pour tester les croyances du prévenu et des témoins. Il est véridique que dans les jours qui suivirent, l’altercation avec le soi-disant « loup-garou » fit l’objet d’une somme de conversations et de rumeurs. Laurent Bosc déclare : « après cette affaire, il n’a été question durant quelques jours dans le quartier que du loup garou34 ». Marius Lanzofame, qui habite Saint-Antoine, a entendu dire « par des personnes dont [il] ne connaît pas l’identité, que des coups de feu avaient été tirés sur un individu qui faisait le loup garou dans le quartier du Verduron au Moulin du Diable ». Il ajoute : « je ne fais que répéter ce que j’ai appris par la rumeur publique35 ». De leur côté, les sœurs Asteggiano, 16 et 20 ans, qui habitent au Moulin du Diable, déclarent avoir entendu dire que « le père Lange n’osant tirer, aurait passé son revolver à Laurent qui aurait fait feu par deux fois36 ». Mis au courant de la découverte du cadavre par la police, Laurent Bosc aurait encore déclaré à Ange Lanzofame : « Ça, c’est le loup garou et nous serons embêtés37 ».

17Il est attesté que la croyance en la lycanthropie a persisté au XXe siècle dans les populations « jusqu’à la disparition des loups et l’exode rural »38. Mais était-ce précisément le cas pour cette communauté ouvrière de la banlieue de Marseille ? Aucun élément ne permet de l’affirmer vraiment. Il est intrigant d’autre part que le cadavre du tirailleur ait été retrouvé à demi-nu, vêtu de sa seule tunique alors qu’il avait quitté son campement en tenue militaire. Dans les récits de loups-garous, l’homme se retrouve souvent nu après sa transformation, car elle arrive à son insu et ses vêtements se déchirent alors. On pourrait envisager une mise en scène du cadavre par les protagonistes de l’altercation, imaginer qu’ils aient cherché à rendre plus crédible encore leur version des faits. Mais rien n’indique qu’ils aient eu connaissance de cette représentation-là. Par ailleurs, cette piste n’est pas investiguée. Diverses questions posées aux témoins par les enquêteurs montrent plutôt qu’ils se demandent si les jeunes soldats n’ont pas volé les effets militaires de la victime. Il reste que la population paraît avoir saisie collectivement par la peur, sous l’emprise d’une panique morale momentanée, qu’il faut peut-être mettre en relation avec plusieurs faits-divers qui se sont produits en ville dans les mois précédents.

18Le 24 décembre 1918, un bref article intitulé « La Chasse au Loup-Garou » paraît dans Le Petit Marseillais. Il débute ainsi : « Depuis plusieurs jours, on signale dans divers quartiers, des exploits de loups-garous, mais ce ne sont pas seulement des mauvais plaisants, les individus qui, grotesquement travestis, veulent faire peur aux femmes et aux enfants la nuit, il y a parmi eux surtout des malandrins en quête d’un mauvais coup à commettre. » Le 9 janvier 1919, un permissionnaire italien qui se livrait à des agressions nocturnes déguisé en loup-garou est conduit à la police. Le 24 mars, c’est toute une bande de « loups-garous » qui comparaît devant le tribunal correctionnel. Dans le dossier Dao Van Man, il y a ambiguïté : il n’est jamais vraiment attesté que les ouvriers ont craint un « mauvais plaisant », plutôt qu’un vrai loup-garou. Jacques Lanzofame déclare que son père lui a demandé de descendre « pour rassurer [sa] sœur », parce qu’il « y avait un homme dans la campagne qui poussait des cris pour faire peur » – si c’était un homme, ce n’était pas un loup-garou. L’ambiguïté persiste cependant car Dante Giansoldati explique dans son dernier interrogatoire le 11 juin : « Je reconnais avoir tiré d’un coup de revolver sur un individu que je distinguai à peine, par suite de l’obscurité et que j’ai pris pour un loup-garou. »

Le tirailleur, la population de Verduron et la justice

19Disparu, selon les témoignages, fin février ou début mars, Dao Van Man n’est retrouvé mort que le 15, date à laquelle s’ouvre l’enquête. Le délai peut s’expliquer par le quant à soi de la population de Verduron. Dans son témoignage, Louis Lucas explique s’être déplacé, quoique dépourvu de jambe gauche, jusqu’à Saint-Antoine pour y trouver le garde champêtre, « Personne n’ayant voulu ensuite se déranger pour prévenir les autorités39 ». La réticence de la population à faire appel aux forces de l’ordre est connue pour le XIXe siècle, mais elle tend à s’estomper à mesure que le policier et le gendarme, apparaissent comme des garants de la sécurité collective. Cette perception, qui s’impose dans les villes, à partir du second XIXe siècle, ne vaut toutefois pas pour l’ensemble du territoire national et l’on peut comprendre les hésitations des habitants de Verduron40. Situé à la marge de faubourgs eux-mêmes moins policés que le centre de la Marseille, le hameau n’est pas soumis à la surveillance quotidienne des agents. Le représentant de l’ordre auquel il est finalement fait appel est le garde champêtre, et c’est lui sans doute qui avertit le commissaire de Saint-Henri : c’est dire que le hameau se trouve entre ville et campagne. La propension des habitants à l’auto-défense, individuelle et collective, évoque des pratiques anciennes, dont la persistance est logique dans les abords des villes ou les campagnes peu surveillées. Il est cependant à noter que le revolver est plutôt une arme de la ville – à la différence du fusil – et que les deux individus qui en font usage sont respectivement permissionnaire et déserteur. S’ils sont allés au front, tous deux ont une familiarité avec les armes et la mort qui fait sans doute défaut aux autres – ce qui pourrait par exemple expliquer que le « père Lange » n’ait pas osé tirer.

20Les réticences de la population tiennent aussi à la protection qu’elles assurent à des individus hors-la-loi. À la découverte du corps, Ange Lanzofame supplie Laurent Bosc « de ne pas parler de son fils Isidore, ni du malheureux qui se trouvait avec Jacques », autrement dit, de Dante Giansoldati. La communauté, en plus de leurs familles, soutient les jeunes déserteurs, comme c’est d’ailleurs souvent le cas41. Isidore dort chez ses parents et Dante a une chambre chez les siens, qu’il partage avec son frère et dans laquelle la police retrouve son revolver. Le matin de la poursuite du tirailleur, il se trouvait toutefois, manifestement, chez les Lanzofame. Il revient durant la guerre aux forces de sécurité locales, et dans les villes en premier lieu à la police, de surveiller les permissionnaires, pour s’assurer qu’ils ne désertent pas : ainsi peut encore s’expliquer l’inquiétude d’Ange Lanzofame. Refuge pour les déserteurs, la banlieue peut l’être aussi pour les interdits de séjour ou les animateurs de l’économie illicite marseillaise. On suppose en effet que la déposition très détaillée de Laurent Bosc découle d’un arrangement avec le commissaire-adjoint de la Sûreté. Il déclare en effet résider à Verduron alors qu’il est interdit de séjour à Marseille. Au terme du document, le commissaire précise : « ayant été rejoint par le sous-brigadier Faraud, à la Gavotte, commune des Pennes (Arrondissement d’Aix), localité qui ne lui est pas interdite, nous n’avons pas cru devoir le maintenir en état d’arrestation sous l’inculpation d’infraction à un arrêté d’interdiction de séjour ».

21Lorsque le parquet prend connaissance du procès-verbal du commissaire de Saint-Henri, qui le 17 mars constate la présence du cadavre, l’identifie et propose une première interprétation, le parquet désigne pour mener à bien l’instruction Marcel Gougne, juge suppléant. Ce magistrat commande une première enquête à la Sûreté, qui est le service de police judiciaire de Marseille, et une autopsie. Un premier cahier d’information lui est transmis le 2 avril, qui reconstitue les événements des 2 et 3 mars et identifie les participants de la chasse au loup au petit matin du 3, à l’exception d’Auguste (Dante Giansoldati) encore inconnu. Le juge Gougne reçoit leurs témoignages et relance l’enquête le 5 avril, afin d’identifier « Auguste » et de retrouver Isidore Lanzofame. Le 11 avril, le premier est arrêté, et immédiatement interrogé. Le jour-même, le juge signe une commission rogatoire visant à faire interroger Jacques Lanzofame par le juge d’instruction de l’arrondissement de Chartres, afin de confronter les témoignages des deux hommes, ce qui est fait le 18. Le 23, la perquisition du domicile des Giansoldati est demandée, puis en juin des informations complémentaires sur l’accusé sont réclamées en Italie, en particulier son extrait de casier judiciaire, qui arrive le 24 juin. Mais ensuite, l’enquête n’est plus alimentée. La procédure est transmise au parquet le 21 octobre, et dans la foulée, l’accusé est renvoyé aux assises, signe que l’instruction a été jugée suffisante par la chambre d’accusation.

22Dante Giansoldati souffre d’une mauvaise réputation. Selon l’agent Prunier, il « n’exerce aucune profession avouable. Quoique dépourvu d’antécédents judiciaires, en France comme en Italie, « il a la réputation d’un homme violent et rancunier » et ses moyens d’existence sont « problématiques », sa « conduite et sa moralité » « mauvaises », ses « fréquentations déplorables ». Il est déserteur et comme nombre d’entre eux, il tire sans doute ses revenus d’activités illicites, la police découvrant au domicile de ses parents, lors de sa perquisition, des quantités abondantes de marchandises dont ils ne peuvent expliquer la provenance, ce qui leur vaut d’être mis en prévention pour recel. En dépit de ce profil, le jury rejette l’ensemble des questions qui lui sont posées par l’accusation. Il déclare que Dante Giansoldati n’est pas coupable d’avoir volontairement donné la mort au tirailleur, ni de lui avoir porté des coups ou fait des blessures, ni de lui avoir occasionné des blessures sans intention de lui donner la mort, quoiqu’elles l’aient occasionné. Les zones d’ombre de l’enquête peuvent expliquer ces conclusions et l’acquittement consécutif de l’accusé. La croyance en la lycanthropie de la population de Verduron n’a pas été questionnée. Le revolver retrouvé au domicile des Giansoldati paraît n’avoir pas servi récemment. Les coups ont été tirés au matin du 3, mais le corps n’est retrouvé que le 17. Or, Dante, ainsi que Jacques Lanzofame, affirment avoir battu la campagne Madon dans la journée du 3, sans y trouver trace de l’homme sur lequel ils ont tiré. Certains témoins, comme le jeune Raymond Nervi, qui a trouvé le cadavre, ou les camarades de la victime, ne sont pas été auditionnés. Les enquêteurs se préoccupent ainsi peu de percer le mystère du mobile invoqué. Pourtant, sa qualité de déserteur d’origine italienne, ses mauvaises « notes morales », auraient pu jouer contre lui car la xénophobie est d’autant plus forte envers les Italiens, à Marseille, qu’ils sont hors-la-loi. On peut alors se demander si la clé de ce dénouement ne se trouve pas plutôt dans la qualité de la victime : un tirailleur indochinois isolé et atteint de « nostalgie », bien plus étranger encore, sinon moins considéré et en tout cas peu susceptible de susciter l’empathie.

Le dossier de procédure

23Nous présentons ci-dessous une sélection de quinze pièces du dossier de procédure dans leur ordre d’apparition42.

Document 1 : Procès-verbal du commissaire de Saint-Henri, François Paolantonacci, le 17 mars 1919

PREFECTURE

des

Bouches-du-Rhône

POLICE DE MARSEILLE

Commissariat de Police

Du 26e arrondt

N°78

PROCES-VERBAL

Meurtre

Victime :

Dao Van Mau

Soldat au 21e Bon de marche indo-chinois

3e Cie du camp Mirabeau

Auteur :

Inconnu

5

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix-neuf et le dix-sept du mois de Mars à neuf heures

NOUS, Paolantonacci Fçois, Commissaire de Police de la Ville de Marseille, Officier de police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République et plus spécialement chargé du 26e arrondissement,

Informé que le cadavre d’un individu avait été découvert dans la campagne Madon au sommet de la Colline du moulin du Diable, quartier Verduron.

Nous y transportons et trouvons, en effet, sur le versant méridional de la dite Colline et presque au sommet, à un endroit éloigné de 300 mètres environ de toute habitation, le cadavre d’un individu âgé de 25 ans environ taille 1.60, cheveux noirs, vêtu seulement que d’une tunique, sans souliers, ni chemise, ni caleçon. Il est allongé par terre, sur le ventre. L’ayant retourné, nous remarquons qu’il porte au dessus du pectoral droit la trace d’une blessure produite par une balle de revolver. Cette balle est ressortie par le dos.

Le visage est tuméfié et dans un état de décomposition. La mort paraît remonter à une dizaine ou une quinzaine de jours à en juger par l’état dans lequel se trouve ce cadavre qui paraît être celui d’un soldat annamite ou tonkinois. Sa tunique porte le n°21 avec une ancre ce qui semble indiquer qu’il appartient au 21e Régt colonial.

De nos constatations, il semble résulter que ce militaire a été tué à l’endroit où il a été découvert et laissé là après avoir été dépouillé de ses vêtements et de ses chaussures, à l’exception de la tunique. Des recherches que nous avons faites pour savoir s’il y a eu lutte ou pour retrouver un objet qcq abandonné par le ou les meurtriers n’ont donné aucun résultat, de même qu’aucun voisin n’a pu nous fournir la moindre indication sur ce crime.

En l’absence de tout docteur en médecine dans le quartier nous le faisons transporter au dépositoire St Pierre aux fins d’autopsie.

Nous adressons ensuite une note à la Sûreté pour recherches.

Le Comre de Police

Signé : Paolantonacci

Et ce jourd’hui, dix-huit mars, à la suite de nos recherches nous découvrons que le défunt est le né Dao Van Mau, soldat à la 3e Cie du 21e Bataillon de marche indo-chinois cantonné au Camp Mirabeau.

Nous entendons ensuite :

L’adjudant Quan de la 3e Cie du dit 21e Bon Indo-chinois qui déclare :

Je suis allé au Moulin du Diable hier soir et j’ai reconnu le cadavre. C’est bien le né Dao Van Mau, soldat dans ma Compagnie. Il est manquant depuis la matinée du 23 février dernier. Ce jour-là, il est sorti du cantonnement de Mirabeau seul. Il était vêtu de ses effets militaires comprenant tunique, pantalon, caleçon, chemise, cravate, souliers et chaussettes. Il n’avait pas de képi ni de bonnet de police. Je ne sais à quoi attribuer sa mort. En tout cas ce n’est pas un suicide car ses vêtements et l’arme auraient été retrouvés. Il y a tout lieu de croire qu’il a été attiré à l’endroit où on l’a découvert et qu’il y a été assassiné. Parmi ses camarades, je ne lui connais pas d’ennemis et je sais qu’il ne se livrait pas à la boisson.

Lecture faite, persiste et signe.

Signé : Quan

Le Comre de police

Signé : Paolantonacci

L’état civil de la victime est le suivant :

Dao Van Mau, né le … 1885 à Thuy Tu, province de Kien Au (Indo-Chine) fils de Dao Nho et de Nguyen Thi Vie, célibataire.

Le comre de police

Signé : Paolantonacci

En ce dit jour dix-huit mars, nos recherches pour découvrir l’auteur de ce meurtre n’ayant donné aucun résultat avons clos le présent que nous transmettons à Monsieur le Procureur de la République.

Le Comre de police,

Signé : Paolantonacci

Document 2 : Procès-verbal sur délégation du juge d’instruction Gougne du commissaire adjoint de la Sûreté Joseph Rollat, le 31 mars 1919

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Service

DE LA SURETE

N°6607

PROCES-VERBAL

Délégation de Monsieur le Juge d’Instruction

(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

9

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le trente-un du mois de Mars à seize heures

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt à la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Faraud Jules 47 ans brigadier à la Sûreté

Selon vos instructions et en compagnie des agents de ma brigade, je me suis livré à une enquête, à l’effet de rechercher, dans quelles circonstances le nommé Dao Van Mau, 34 ans né… à Thuy Tu (Indo-chine) de Dao Pho et de Nguyen Ti Nu, soldat au 21e Bataillon de marche Indo-chinois, 3e compagnie, cantonné au camp mirabeau, avait trouvé la mort.

De cette enquête, il résulte ce qui suit :

Dao Van Mau ne jouissait pas parait-il, aux dires de son chef de bataillon, de toute la plénitude de ses facultés mentales, et avait à maintes reprises, auprès de ses camarades, manifesté l’intention de vouloir se donner la mort.

Ces temps derniers, il avait reçu, parait-il, de mauvaises nouvelles lui annonçant, croit-on, la mort d’un de ses frères.

Dans la nuit du samedi au dimanche deux mars, Dao quitta son cantonnement sans prévenir aucun de ses camarades et fut porté manquant à l’appel du matin. Des indications recueillies il était alors en possession d’une somme d’environ 15 ou 20 francs.

Le dimanche 2 mars, vers quatorze heures, Dao se serait trouvé en compagnie de plusieurs de ses camarades dans la campagne Madon sise au moulin du Diable, au Verduron, où il aurait eu, avec ceux-ci, une discussion que la demoiselle Asteggiano Emilie, 16 ans, demeurant avec ses parents au moulin du Diable, campagne Dupuy, aurait entendue.

Le même jour, vers 22 heures, Dao aurait été vu dans le chemin du moulin du Diable à hauteur de la campagne Madon, par le soldat Asteggiano André du 61e Régt d’artillerie demeurant même adresse que sa sœur précédemment nommée. Vers la même heure et au même endroit, Dao aurait été aperçu par le nommé Cilento Ciro 49 ans menuisier demeurant Bd Bellevue au Verduron.

Ce témoin indique que vers 23 heures se trouvant à son domicile à peine distant de 2 à 300 mètres de la campagne Madon où il avait rencontré environ un quart d’heure plus tôt le nommé Dao, il avait entendu très distinctement des coups de feu qui lui avait parus provenir de la direction où il avait aperçu ce militaire. Cilento, ajoute que le Lundi 3 mars vers 5 heures ½ du matin se trouvant sur la terrasse de son domicile, il avait entendu à nouveau un coup de feu paraissant provenir de la campagne Madon.

Ilardi Vincent, 42 ans, aide-chauffeur aux chantiers de Provence, demeurant Bd Bellevue au Verduron, indique que le lundi 3 Mars vers 5 heures ½ du matin, devant commencer au son travail une heure plus tôt que d’habitude, il se trouvait en face la campagne « Les Amandiers » voisine de la campagne Madon, lorsqu’il a entendu par deux fois crier « Le voleur » ou « Le Voilà ». Pris de peur, dit-il, il aurait pris le pas de course pour s’arrêter environ cinquante mètres plus loin. Il dit ne pas avoir entendu le coup de feu signalé par Cilento comme ayant été tiré à cette heure-là.

A n’en pas douter, le nommé Dao Van Mau a été pris par les habitants du quartier du Verduron pour un loup-garou, cherchant à effrayer la population ; et ceci étant admis, il y a lieu de croire que l’auteur du meurtre de Dao Van Mau n’est autre qu’un des ouvriers habitant le Verduron, travaillant en ville, et quittant ce quartier le matin de très bonne heure.

Les époux Lucas, demeurant au Verduron, Lagachon du Roi, qui ont fait les premières formalités pour faire enlever le cadavre de Dao Van Mau, paraissent être au courant de cette affaire et pourraient, je crois, fournir d’utiles renseignements.

Lecture faite persiste et signe

Signé : JFaraud Rollat

Le cadavre du né Dao Van Mau n’a pas pu être photographié, l’inhumation ayant eu lieu avant l’arrivée du photographe au dépositoire St Pierre.

Lecture faite persiste et signe

Le commissaire de la sûreté

Signé : JFaraud Rollat

Document 3: Déposition d’Antoine Nervi, 44 ans, chargeur, demeurant au Verduron, devant le commissaire adjoint de la Sûreté, Joseph Rollat, le 1er avril 1919

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N°6607

PROCES-VERBAL

Délégation de Monsieur le Juge d’Instruction

(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

Déposition du né Nervi

Antoine Pierre

11

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le Premier du mois d’Avril à quinze heures 10

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt de la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Nervi Antoine Pierre, 44 ans, chargeur, demeurant Boulevard Gambetta au Verduron.

Le lundi 3 mars écoulé, vers 5 h ½, je venais de quitter mon domicile pour me rendre à mon travail, lorsque à environ cent mètres de chez moi, j’ai rencontré le père Lange, qui revenait sur ses pas. Je l’ai interpellé en lui demandant : « Vous ne travaillez pas aujourd’hui, que vous retournez ? Si me répondit-il mais il y a là bas le loup garou et j’ai eu peur. Je lui proposai alors d’y aller ensemble pour nous rendre compte de ce que c’était.

C’est ainsi qu’avec le père Lange, nous nous sommes rendus au point où il avait entendu des cris. En effet, en arrivant en face la campagne des Amandiers, nous avons entendu dans la campagne Madon, en face, un cri strident. Sur ce, le père Lange, craignant que sa fille, qui devait se rendre également à son travail, ne s’effraye, m’a proposé de faire demi-tour pour l’en aviser. J’ai accepté, et revenus sur nos pas, le père Lange a réveillé ses fils Jacques et Isidore, et avec sa fille Marie ainsi que le né Bosc Laurent et sa femme, nous avons repris le chemin d’en ville. Arrivés au point, où quelques instants plus tôt nous avions entendu crier, nous nous sommes arrêtés.

Jacques Lanzofame a sauté le mur de la campagne Madon. Avec lui un autre militaire a sauté également. Quant à Laurent, il est monté à califourchon sur le mur. Quelques instants après, j’ai entendu crier : « Le voilà ! » et deux coups de feu ont été tirés, je ne sais par qui, de Jacques ou de l’autre militaire, ayant sauté dans la campagne ; second militaire que je ne connais pas et que je ne puis vous désigner autrement.

Ces coups de feu tirés, Lange père, sa fille, Bosc Laurent, sa femme et moi, avons continué notre chemin et je ne sais ce que sont devenus les frères Lanzofame et l’autre militaire, que je n’ai plus revus.

S. I. – Lanzofame Isidore ainsi que son frère Jacques étaient habillés en soldat.

Quant au troisième, je ne l’ai pas remarqué, et je ne le connais pas.

Le lendemain soir, ayant revu Jacques il m’a dit qu’ils avaient poursuivi le loup-garou, mais n’avaient pas pu le rejoindre.

C’est tout ce que je sais et ce que je puis vous dire.

Lecture faite persiste et signe

Signé : Nervi Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Rollat

Document 4 : Déposition de Marie Asteggiano, 20 ans, couturière, demeurant au Moulin du Diable, devant Joseph Rollat, le 1er avril 1919

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(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

Déposition la Dlle Asteggiano Marie

14

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le Premier du mois d’Avril à onze heures 1/4

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt de la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Asteggiano Marie, 20 ans, couturière, demeurant Campagne Dupuy, au Moulin du Diable.

A la suite de la découverte du cadavre du soldat Indo-Chinois, dans la campagne Madon, j’ai entendu dire que ce militaire avait été pris pour un loup garou et que le lundi 3 mars, vers 5 heures du matin, des ouvriers effrayés auraient fait feu sur lui. J’ai même entendu dire, que c’est le père Lange (Lanzofame) qui n’osant tirer, aurait passé son révolver au né Laurent (Bosc) qui aurait par deux fois fait feu, sur ce militaire.

Je dois ajouter également qu’il m’a été rapporté que la femme de Laurent, ayant rencontré le 4 mars courant, deux gendarmes des Pennes en tournée, leur aurait dit : « ce n’est pas aujourd’hui qu’il fallait venir, mais hier, car vous auriez arrêté le loup garou sur lequel mon mari a fait feu ».

C’est tout ce que je puis vous dire.

Lecture faite persiste et signe

Signé : Marie Asteggiano

Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Rollat

Document 5 : Déposition de Charles Bochot, chef de bataillon, commandant le 21e Bataillon de marche indochinois, temporairement à Marseille, hôtel des Deux Mondes, devant Joseph Rollat, le 1er avril 1919

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Délégation de Monsieur le Juge d’Instruction

(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

Déposition du sieur Bochot Charles Auguste

15

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le Premier du mois d’Avril à Dix heures 50

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt de la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Bochot Charles Auguste, 42 ans, Chef de Bataillon, Commandant le 21e Bataillon de marche Indo-Chinois, de passage à Marseille, Hotel des Deux Mondes.

Dao Van Mau appartenait à la 3e Cie du 21e Bon de marche Indo-Chinois et était cantonné au Camp Mirabeau.

Dao était un simple d’esprit, et sujet à la nostalgie. Ses camarades disent qu’au cours de la campagne, il aurait eu des idées de suicide.

Quelques jours avant sa disparition, il aurait reçu du Tonkin une lettre lui annonçant la mort d’un de ses proches.

Dès que sa disparition fut constatée, l’idée de ses camarades fut qu’il s’était suicidé. Aussi, son Ct de Cie fit aussitôt effectuer des battues aux abords du camp et tout le long du littoral, par différents groupes. Ces investigations ne donnèrent aucun résultat.

Mau n’étant pas joueur, dépensait son argent à l’achat de provisions de bouche surtout.

Le 2, lors de son départ, il devait avoir en sa possession une somme de 15 à 20 F, provenant de son prêt touché la veille.

Il était alors vêtu d’un complet kaki réglementaire comprenant vareuse, culotte, molletières, brodequins et bonnet de police. Quant au linge de corps, il n’est pas possible de préciser.

Mao fut porté manquant le 2 mars à l’appel du matin (6h30).

Lecture faite persiste et signe

Signé : Bochot

Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Rollat

Document 6 : Déposition de Louis Lucas, 56 ans, retraité de la marine, habitant au Verduron, devant Joseph Rollat, le 1er avril 1919

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PROCES-VERBAL

Délégation de Monsieur le Juge d’Instruction

(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

Déposition du né Lucas Louis

15

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le Premier du mois d’Avril à Dix heures 50

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt de la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Lucas Louis, 56 ans retraité de la marin, demeurant allées de Lagachon du Roi, au Verduron.

Le dimanche 2 mars courant, je n’ai pas aperçu en ce qui me concerne, le soldat indochinois, et je n’ai rien entendu dire à son sujet.

Le lundi 3 mars, vers 8h ½ du matin, comme je me trouvais devant chez moi, un de mes voisins Lanzofame Jacques, soldat en permission, me demanda si vers 5h ½ du matin, je n’avais pas entendu des coups de feu. Sur ma réponse négative, il ajouta : « On a tiré deux coups de révolver sur un loup-garou ». Cette conversation s’arrêta sur ces mots.

Je n’avais plus rien entendu à ce sujet, ou du moins, quelques jours après, il me fut rapporté, je ne me souviens plus par qui, que le lundi 3 mars vers 5h. du matin, un né Ilardi Vincent, dt Bd Bellevue, au Verduron, qui se rendait à son travail, ayant entendu crier dans la campagne Madon avait eu peur, et s’était sauvé au pas de course jusqu’au tramway.

Le samedi 15 mars, vers 3 heures du soir, je me trouvais occupé dans mon jardin, lorsque le jeune Nervi Raymond, 8 ans, dt Bd Gambetta au Verduron, venant à passer, me fit part qu’il y avait un homme mort et tout nu au moulin du diable. En sa compagnie, je me rendis aussitôt sur les lieux, et en effet, je pus découvrir, non au Moulin du Diable mais dans la campagne Madon, en face, le cadavre d’un individu, allongé sur le ventre, n’ayant pour tout vêtement qu’une veste de soldat, couleur jaunâtre, usagée.

Comme il me manque la jambe gauche, et que je marche avec des béquilles, je n’ai pu en raison de mon infirmité et de la difficulté du terrain où se trouvait le cadavre, m’approcher de près de ce dernier, et je ne puis vous fournir d’autres indications sur la position du corps à ce moment là.

Personne n’ayant voulu ensuite se déranger pour prévenir les autorités, c’est moi-même qui me suis rendu à Saint-Antoine, aviser le garde champêtre, de la découverte de ce cadavre.

J’ignore par qui ce soldat a pu être tué ; toutefois je suppose qu’il a été la victime de quelque ouvrier apeuré.

Lecture faite persiste et signe

Signé : Lucas Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Rollat

Document 7: Déposition de Marie Hennequin, épouse Lucas, 50 ans, journalière, habitant Verduron, devant Joseph Rollat, le 1er avril 1919

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N°6607

PROCES-VERBAL

Délégation de Monsieur le Juge d’Instruction

(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

Déposition de la dame Hennequin Marie ép. Lucas

17

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le Premier du mois d’Avril à Dix heures

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt de la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Hennequin Marie, épouse Lucas, 50 ans, journalière, demeurant allées de Lagachon du Roi, au Verduron.

Le lundi 3 mars, vers 11 heures, revenant du Bd Oddo, et ayant rencontré Mme Terrache, qui habite Bd Bellevue à Verduron, celle-ci me demanda si je n’avais pas entendu parler du loup garou. Je lui répondis que non, en ajoutant « C’est la première nouvelle. ». Elle m’indiqua ensuite, que le matin même, en se rendant à son travail, le sieur Lanzofame père, d. Bd Gambetta, au Verduron, avait entendu des cris en face la campagne des Amandiers et qu’effrayé il avait fait demi tour. Rencontrant M. Antoine Nervi, son voisin, il lui aurait fait part de ce qu’il venait d’entendre et tous deux seraient alors revenus sur les lieux. Les mêmes cris ayant été à nouveau entendus, et M. Lanzofame craignant que sa fillette ne s’effraye, M. Nervi et lui, firent à nouveau demi-tour.

Quelques instants après, Lanzofame père, son fils Jacques, sa fille Marie, le sieur Bosc Laurent et sa femme Rose, ainsi que M. Nervi Antoine, reprenaient le chemin de la ville. A leur passage au même endroit, ayant entendu encore des cris, des coups de feu auraient été tirés.

J’ignore personnellement qui a tiré ces coups de feu.

Le samedi 15 mars, c’est par le jeune Nervi Raymond, âgé de 8 ans, que mon mari a été avisé qu’un homme mort et tout nu se trouvait dans la campagne Madon.

C’est tout ce que je puis vous dire.

Lecture faite persiste et signe

Signé : Marie Lucas Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Rollat

Document 8 : Déposition de Laurent Bosc, 35 ans, journalier, demeurant au Verduron, devant Joseph Rollat, le 2 avril 1919

PREFECTURE

des

Bouches-du-Rhône

POLICE DE MARSEILLE

Commissariat Central

Service

DE LA SURETE

N°6607

PROCES-VERBAL

Délégation de Monsieur le Juge d’Instruction

(6e Division)

Affaire c/

X…

Inculpé de meurtre

Déposition du né Bosc Lurent

20

PROCES-VERBAL

L’AN mil neuf cent dix neuf et le Deux du mois d’Avril à dix heures

NOUS, Rollat Joseph

Commissaire de Police, Chef de adjt de la Sûreté de la Ville de Marseille, Officier de Police judiciaire, Auxiliaire de M. le Procureur de la République,

Agissant en vertu d’une Délégation de Monsieur Gougne Juge d’Instruction de la sixième Division, à Marseille, en date du 19 mars 1919 relative à la procédure qui s’instruit contre le nommé X…

inculpé de meurtre

Avons fait comparaître, à notre Cabinet, le témoin ci-après désigné, lequel après avoir prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, a fait la déposition suivante :

Je me nomme Bosc Laurent, 35 ans, journalier, demeurant Boulevard de l’Agachon du Roi, au Verduron.

Le lundi 3 mars écoulé, vers 5 heures du matin, comme je me disposais à quitter la maison ainsi que ma femme, le père Lange est venu m’appeler en me disant qu’en face la campagne des Amandiers, il y avait un individu qui faisait le loup garou, ajoutant : « Attendez-moi, je vais réveiller mes fils ». En effet, quelques instants après, le sieur Lange, sa fille Marie, le sieur Antoine, ma femme et moi, avons pris tous ensemble le Chemin de St Antoine.

Arrivés près la campagne des Amandiers, j’ai demandé au père Lange, où il avait entendu les cris de cet individu. Il m’a alors désigné la campagne Madon, en face. J’ai escaladé en partie, le mur de la cloture de cette campagne, pour me permettre d’examiner les environs à l’intérieur, mais je n’ai tout d’abord rien aperçu.

C’est à ce moment que les deux fils du sieur Lange, Jacques et Isidore, sont arrivés en compagnie d’un troisième individu. Jacques et ce dernier ont sautés dans la campagne, alors que Isidore, s’est mis à cheval sur le mur.

Comme le père Lange, m’avait dit qu’il avait cru comprendre à la voix, que l’individu faisant le loup garou était un arabe, j’ai alors crié à plusieurs reprises : « Mirkronia » (mon frère). Aucune réponse ne me fut faite à ces appels.

Ce que voyant, Jacques et l’individu sauté avec lui dans la campagne se mirent à avancer.

C’est alors que de dessus le mur où j’étais je pus voir un individu à une trentaine de mètres, prendre la fuite, et leur crier « - Le voilà, le voilà ! Au même instant l’individu qui était avec Jacques faisait feu à deux reprises sur le fuyard. Au premier coup de feu craignant que l’individu ne riposte je me suis laissé choir sur le chemin alors qu’Isidore resté sur le mur criait « - Tire en l’air, tu es fou, puis, ne tire plus ».

Je dois vous indiquer là, que la direction prise par le fuyard, au moment des coups de feu, est bien celle où le cadavre a été plus tard retrouvé.

Jacques et l’individu avec lui, ayant continué leur poursuite, son père, sa sœur et ma femme sont partis. Quelques instants après, j’ai à mon tour quitté les lieux, pour me rendre à mon travail, laissant Isidore sur le mur.

Non loin du Moulin du Diable j’ai été rejoint par Jacques et une demoiselle dont le nom m’échappe. Sur ma demande, Jacques m’a fait connaître qu’ils avaient poursuivi le loup garou mais qu’ils l’avaient perdu de vue.

A la station des tramways de St Antoine, ayant revu ma femme, je lui ai indiqué que le loup garou n’avait pu être rejoint.

J’ai ensuite consommé avec Jacques, puis je l’ai quitté.

N’ayant pas travaillé, je suis revenu à la maison mais en passant près la campagne Madon je m’y suis arrêté et y pénétrant j’en ai visité une partie pour voir si je ne retrouvais pas surtout quelque arme dont aurait pu se débarrasser l’individu poursuivi. Je n’ai rien trouvé ni remarqué quoi que ce soit.

Après cette affaire, il n’a été question durant plusieurs jours, dans le quartier, que du loup garou.

Le soir du jour de la découverte du cadavre dans la campagne Madon, j’ai reçu la visite du père Lange, qui m’a demandé qu’est-ce que j’en pensais. Je lui ai répondu : « - Cà, c’est le loup garou et nous serons embêtés ». Il me supplia alors, de dire ce que je voudrais, mais de ne pas parler de son fils Isidore ni du malheureux qui se trouvait avec Isidore.

Cinq à six jours après revenant me voir, il me fit part de ses appréhensions et ajouta : « - Cependant, je ne dois pas trop craindre car s’il m’arrivait quelque chose, celui qui a tiré irait certainement se constituer prisonnier.

Je ne connais pas le nom de cet individu.

S. I. – Le lundi 3 mars écoulé, au moment où dans la campagne Madon j’ai aperçu le soi-disant loup garou prendre la fuite, j’ai bien remarqué qu’il était habillé, mais je n’ai pas distingué s’il portait des effets civils ou militaires étant donné l’obscurité qui régnait à cette heure-là.

Lecture faite persiste et signe

Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Bosc Signé : Rollat

Mentionnons que le témoin Bosc Laurent est interdit de séjour mais que toutefois, ayant été rejoint par le sous-brigadier Faraud, à la Gavotte, commune des Pennes (arrondt d’Aix), localité qui ne lui est pas interdite, nous n’avons pas cru devoir le maintenir en état d’arrestation sous l’inculpation d’infraction à un arrêté d’interdiction de séjour.

Au cas de comparution à témoin, Bosc nous indique qu’il pourra utilement être cité, place de l’Eglise, aux Cadenaux, chez Mme Mégis.

Le Commissaire de la sûreté adjt

Signé : Rollat

Document 9 : Rapport d’autopsie du docteur Dufour, sur réquisition du juge d’instruction Marcel Léon Gougne, le 20 mars 1919

24Affaire de meurtre 24

25Je soussigné Docteur en médecine, expert près les Tribunaux, dt Bd Longchamp 25, Requis par M. Gougne, Juge d’Instruction à l’effet de pratiquer l’autopsie du Corps du nommé Dao Van Man soldat à la 3e Cie du 21 Bon de marche Indo-Chinois, déposé à la morgue du Cimetière St Pierre et de faire Connaître la Cause exacte de la mort,

26Certifie Ce qui suit, Serment prêté.

27A Examen Exterieur. Le corps est Celui d’un annamite d’une trentaine d’années assez Grand et bien Constitué. La putréfaction est avancée au niveau des Régions découvertes (face, mains). Les parties Molles de Ces Régions sont desséchées, de Couleur Noirâtre et on ne peut apprécier les marques de violences qu’elles pourraient porter.

28De nombreux vers blancs garnissent les Cavités Naturelles (bouche, Conduits auditifs externes).

29L’abdomen est affaissé de Couleur Verdâtre.

30Sur la face antérieure des jambes des genoux nous distinguons de nombreuses eraflures de la peau, excoriations avec absence d’Epanchement et d’Ecoulement sanguin, Comme si le Corps après la mort avait été traîné sur un sol Rocailleux ou Garni de plantes Epineuses.

31Nous constatons ensuite deux plaies par arme à feu mesurant sept millimètres de diamètre et siégeant la première sur la Région thoracique antérieure et supérieure droite, un peu en avant de l’aisselle et au niveau du 3e Espace Intercostal.

32La seconde sur la Région dorsale Inférieure droite à trois Centimètres de la Colonne Vertebrale au Niveau du Neuvième Espace. Les bords de ces plaies et les Régions voisines ne sont pas incrustés de Grains de poudre, ils sont desséchés et deformés au point que si les plaies sont Constituées par les orifices d’Entrée et de sortie d’un Même projectile, il est impossible de distinguer quelle est la plaie d’Entrée et celle de sortie.

33Il n’Existe pas sur le Corps d’autres Marques appréciables de violences.

34B Ouverture du Corps

35Le plastron thraco abdominal étant enlevé, nous notons que le projectile entré suivant toute probabilité par la plaie de la Région thoracique antérieure et supérieure droite a fracturé partiellement la 3e côte, traversé de Haut en bas et d’avant en arrière le poumon droit pour Ressortir par la plaie de la Région dorsale Inférieure Correspondante.

36La Cavité pleurale droite est Remplie de Caillots sanguins en Etat de putrefaction.

37L’Estomac est vide d’aliments.

38Les autres organes et l’Extrémité Céphalique n’offrent aucune particularité à signaler.

39Conclusion

401. La Mort, étant donné l’Etat de la putrefaction parait Remonter entre Huit et Quinze jours.

412. Dao Van Man a été atteint par un seul projectile d’arme à feu qui a traversé le thorax droit de part en part ; perforant le poumon droit et déterminant une Hemorrhagie Interne assez Rapidement mortelle.

423. Le Coup n’a pas été tiré à bout portant (moins de cinquante centimètres)

434. L’Etat de décomposition des parties molles de la tête et des mains ne nous a pas permis de Reconnaître s’il existait des marques de violence (eccymoses, Egratignures, Excoriations) et d’établir si une lutte avait eu lieu avant que Dao Van Man ait été mortellement atteint.

44Marseille le 20 mars 1919

45Signé : Dr Dufour

Document 10 : Interrogatoire de Dante Giansoldati dit Auguste par Marcel Léon Gougne, le 11 avril 1919

TRIBUNAL DE 1re INSTANCE

De

MARSEILLE

CHAMBRE D’INSTRUCTION

6 Division

27

INTERROGATOIRE

L’an mil neuf cent dix neuf et le onze avril

NOUS, M. GOUGNE

Juge d’Instruction de l’arrondissement de Marseille, étant en notre Cabinet au Palais de Justice, assisté de G. Roquille notre greffier assermenté ;

Avons procédé ainsi qu’il suit à l’interrogatoire du dénommé ci-après :

D. – Quels sont vos nom, prénoms, âge, profession, lieu de naissance et demeure ?

R. – Giansoldati Dante dit Auguste âgé de 25 ans, profession de pêcheur

demeurant à l’Estaque Gare, au Château

né le 4 juin 1893 à Ramisato (Italie)

arrondissement de _________ département de ____________

de Pierre et de Albine Carlo

___________ marié _____________ enfant, __________ sachant ___________lire ________________écrire

Condamné

Après avoir ainsi constaté l’identité du comparant, nous lui avons fait connaître les faits qui lui sont imputés et nous lui avons ensuite déclaré qu’en conséquence il est instruit, à son égard, du chef d’avoir à Marseille le 3 mars 1919, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis un homicide volontaire sur la personne du ne Dao-Van-Mau.

Nous l’avons ensuite averti qu’il est libre de ne faire aucune déclaration

Il a dit : Depuis le 21 juin 1916, je suis déserteur du 230 régiment d’infanterie que je n’ai pas rejoint au front à l’expiration d’une de mes permissions.

Le 3 mars dernier vers 5 heures du matin passant Bould Gambetta, le sieur Isidore Lanzofame, déserteur du 106e régiment d’infanterie qui se trouvait devant l’habitation de son père m’invita à l’accompagner pour rechercher un « loup-garou ». A cet effet, nous avons rejoint Lanzofame père, son fils Jacques sa fille Marie et le sr Bosc Laurent qui se dirigeaient vers le Moulin du Diable. Jacques Lanzofame et moi avons pénétré dans la propriété Madon où se trouvait le « Loup-Garou ». A un moment donné nous avons vu passer, à 25 à 30 mètres de nous, dans les pins, un individu dont nous n’avons pu distinguer les traits.

Le sr Laurent qui était assis sur un mur s’étant écrié en désignant cet individu « voilà le loup garou » j’ai tiré deux coups de revolver dans la direction de cet individu qui a disparu dans les pins et que nous avons perdu de vue. Ne sachant où il s’était réfugié, nous avons rejoint les personnes qui nous avaient accompagnés et qui nous attendaient derrière le mur sur lequel était assis le sieur Bosc Laurent. J’ai entendu dire dans le quartier de St Antoine, notamment par le sr Lanzofame Marius, qui demeure dans la traverse Boeri, que ce jour-là plusieurs personnes dont un employé d’octroi auraient tiré sur le « loup garou ».

Le revolver dont je me suis servi doit se trouver au domicile de mes parents à l’Estaque Gare, Château Bovis, dans une commode placée dans la chambre de mon frère.

Sur interpellation l’inculpé déclare : je ne demande pas d’avocat pour le moment ».

Lecture faite persiste et signe

Signé : Giansoldati

Signé : Roquille Signé : Gougne

Document 11 : Interrogatoire de Dante Giansoldati, 25 ans, pêcheur, par Marcel Léon Gougne, le 14 avril 1919

TRIBUNAL DE 1re INSTANCE

De

MARSEILLE

CHAMBRE D’INSTRUCTION

6 Division

27

INTERROGATOIRE

L’an mil neuf cent dix neuf et le onze avril

NOUS, M. GOUGNE

Juge d’Instruction de l’arrondissement de Marseille, étant en notre Cabinet au Palais de Justice, assisté de G. Roquille notre greffier assermenté ;

Avons procédé ainsi qu’il suit à l’interrogatoire du dénommé ci-après :

D. – Quels sont vos nom, prénoms, âge, profession, lieu de naissance et demeure ?

R. – Giansoldati Dante dit Auguste âgé de 25 ans, profession de pêcheur

demeurant à l’Estaque Gare, au Château

né le 4 juin 1893 à Ramisato (Italie)

arrondissement de _________ département de ____________

de Pierre et de Albine Carlo

___________ marié _____________ enfant, __________ sachant ___________lire ________________écrire

Condamné

Après avoir ainsi constaté l’identité du comparant, nous lui avons fait connaître les faits qui lui sont imputés et nous lui avons ensuite déclaré qu’en conséquence il est instruit, à son égard, du chef d’avoir à Marseille le 3 mars 1919, en tout cas depuis un temps non prescrit, commis un homicide volontaire sur la personne du ne Dao-Van-Mau.

Nous l’avons ensuite averti qu’il est libre de ne faire aucune déclaration_______________

Il a dit : Depuis le 21 juin 1916, je suis déserteur du 230 régiment d’infanterie que je n’ai pas rejoint au front à l’expiration d’une de mes permissions.

Le 3 mars dernier vers 5 heures du matin passant Bould Gambetta, le sieur Isidore Lanzofame, déserteur du 106e régiment d’infanterie qui se trouvait devant l’habitation de son père m’invita à l’accompagner pour rechercher un « loup-garou ». A cet effet, nous avons rejoint Lanzofame père, son fils Jacques sa fille Marie et le sr Bosc Laurent qui se dirigeaient vers le Moulin du Diable. Jacques Lanzofame et moi avons pénétré dans la propriété Madon où se trouvait le « Loup-Garou ». A un moment donné nous avons vu passer, à 25 à 30 mètres de nous, dans les pins, un individu dont nous n’avons pu distinguer les traits.

Le sr Laurent qui était assis sur un mur s’étant écrié en désignant cet individu « voilà le loup garou » j’ai tiré deux coups de revolver dans la direction de cet individu qui a disparu dans les pins et que nous avons perdu de vue. Ne sachant où il s’était réfugié, nous avons rejoint les personnes qui nous avaient accompagnés et qui nous attendaient derrière le mur sur lequel était assis le sieur Bosc Laurent. J’ai entendu dire dans le quartier de St Antoine, notamment par le sr Lanzofame Marius, qui demeure dans la traverse Boeri, que ce jour-là plusieurs personnes dont un employé d’octroi auraient tiré sur le « loup garou ».

Le revolver dont je me suis servi doit se trouver au domicile de mes parents à l’Estaque Gare, Château Bovis, dans une commode placée dans la chambre de mon frère.

Sur interpellation l’inculpé déclare : je ne demande pas d’avocat pour le moment ».

Lecture faite persiste et signe

Signé : Giansoldati

Signé : Roquille Signé : Gougne

Document 12 : Déposition de Marius Lanzofame, 29 ans, pointeur sur les quais, devant Marcel Léon Gougne, le 14 avril 1919

TRIBUNAL DE 1re INSTANCE

De

MARSEILLE

CHAMBRE D’INSTRUCTION

6 Division

Affaire

Taxe 1,50

34

DEPOSITION

L’an mil neuf cent dix neuf et le quatorze avril

Par devant Nous, M. GOUGNE, Juge d’Instruction au Tribunal de Marseille,

Assisté de G. Roquille, greffier assermenté,

A Comparu, hors la présence de l’inculpé, le témoin ci-après nommé, auquel nous avons donné connaissance des faits sur lesquels il est appelé à déposer.

Après avoir représenté l’invitation à lui donnée, prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité ; requis pour nous de déclarer ses nom, prénoms, âge, profession et demeure, s’il est domestique, parent ou allié des parties et à quel degré, le témoin a répondu n’être ni parent, ni allié, ni domestique des parties, et a déposé ainsi qu’il suit :

Je me nomme Lanzofame Marius, 29 ans, pointeur sur les quais, demeurant Traverse Boris à St Antoine (Banlieue de Marseille)

Vers le 3 mars dernier, j’ai entendu dire dans le quartier de St Antoine, par des personnes dont je ne connais pas l’identité, que des coups de feu avaient été tirés sur un individu qui faisait le loup-garou dans le quartier de Verduron au Moulin du Diable ; on a même dit que c’était un employé d’octroi qui avait tiré. Je ne puis fournir aucune autre indication à ce sujet ; je ne fais d’ailleurs que répéter ce que j’ai appris par la rumeur publique.

Lecture faite persiste et signe

Signé : Lanzofame

Signé : Roquille Signé : Gougne

Document 13 : Croquis de la scène du crime réalisé par Joseph Rollat, commissaire adjoint de la Sûreté, à la demande du juge d’instruction Marcel Léon Gougne, le 14 mai 1919

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Document 14 : Copie du rapport de moralité relatif à Dante Giansoldati établi par l’agent Prunier, le 18 avril 1919

PREFECTURE

des

Bouches-du-Rhône

COMMISSARIAT CENTRAL

Service de la Sûreté

N°8822

SOMMAIRE


Affaire

Renseignements

Marseille le 18 avril 1919 44

Soit transmis à Monsieur le Juge d’Instruction (6eme Dion)

la copie du rapport fourni par l’Agent Prunier,

de mon service au sujet du nommé

Giansoldati Dante

inculpé de meurtre

Le commissaire de la Sûreté

Signé : Lenoël

RAPPORT

Le nommé Giansoldati Dante, né le 4 juin 1893 à Ramisato (Italie) de Pierre et de Albine Carlo, célibataire, pêcheur demt en dernier lieu à L’Estaque-Gare château Boris n’a pas d’antécédents judiciaires connus.

Il figure aux archives de notre service comme étant déserteur du 230e Régt d’Infie aux armées, en date du 6 août 1917.

Giansoldati n’exerce aucune profession avouable. Sa conduite et sa moralité sont mauvaises, il a des fréquentations déplorables.

Il a la réputation d’un homme violent et rancunier.

Il n’a pas de situation de fortune connue.

Sa famille habite à l’Estaque Gare.

Sergent Prunier

Document 15 : Acte d’accusation contre Dante Giansoldati dit Auguste, le 10 décembre 191943

46COUR D’APPEL D’AIX N°91

47PARQUET

48ACTE D’ACCUSATION

49Contre Giansoldati Dante dit Auguste

50Le Procureur Général à la Cour d’Appel d’Aix

51Vu l’arrêt en date du 6 Novembre 1919, par lequel la Cour, Chambre des mises en accusation, a renvoyé devant la Cour d’Assises du département des Bouches-du-Rhône comme accusé de Meurtre

52le nommé Giansoldati Dante dit Auguste âgé de 26 ans, né le quatre Juin mil huit cent quatre vingt treize à Ramisato (Italie) pêcheur, demeurant à l’Estaque Chateau.

53Détenu

54---------------

55Expose que de la procédure instruite contre cet accusé au Tribunal de première instance de Marseille résultent les faits suivants :

56Le 17 Mars 1919, dans la propriété Madon, sise au quartier du Verduron à Marseille, fut découvert le cadavre du nommé Dao-Van-Man, soldat indo-chinois du 21 Bataillon de marche. Il avait été atteint, au thorax, par un projectile d’arme à feu qui avait perforé le poumon droit. La mort remontait à une période de 8 à 15 Jours.

57La victime, qui ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés mentales, avait quitté son corps le 2 Mars et n’y avait plus reparu depuis lors – Ce jour là et pendant la nuit qui suivit, le quartier fut mis en émoi par les cris d’un individu qui paraissait vouloir effrayer la population et à la poursuite de qui se mirent un certain nombre de personnes, en le désignant sous le nom de « loup-Garou » – Le lendemain 3 Mai, vers 5 heures 10 du matin, un groupe de personnes, parmi lesquelles l’accusé Giansoldati, qui était à la recherche du soi disant « loup-Garou », franchirent le mur de clôture de la propriété Madon, où celui-ci semblait s’être réfugié. Un homme qui cherchait à se dissimuler, ayant été aperçu, Giansoldati tira sur lui deux coups de révolver, non loin de l’endroit où, quinze jours plus tard, fut retrouvé le cadavre de Dao-Van-Man – Giansoldati reconnaît avoir ainsi fait feu à deux reprises sur le « loup-Garou » et déclare que celui-ci disparut aussitôt et ne put être retrouvé.

58En conséquence, Giansoldati Dante, dit Auguste, ci-dessus dénommé et qualifié est accusé d’avoir :

59à Marseille, au lieu dit campagne Madon, quartier de Verduron, le trois Mars mil neuf cent dix neuf en tous cas depuis un temps non prescrit, commis un homicide volontaire sur la personne du nommé Dao-Van-Man.

60Ce qui constitue le crime prévu et puni par les articles deux cent quatre vingt quinze et trois cent quatre paragraphe trois du Code Pénal et de la compétence de la Cour d’Assises.

61Fait à Aix au Palais de Justice

62le 10 Décembre 1919

63Le Procureur Général,

64H. Long

Notes

1 Pour un bilan historiographique, cf. Jean-Claude Farcy, L’histoire de la justice française de la Révolution à nos jours, Paris, PUF, 2001, 494 p., notamment le chapitre 2 sur l’histoire du crime et de la délinquance. La bibliographie fournit un état représentatif au début des années 2000. Parmi les travaux postérieurs, fondés sur l’étude de dossiers de procédure, nous pouvons citer : Laurence Guignard, Juger la folie : la folie criminelle devant les Assises au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2010, 295 p. ; Fabienne Giuliani, Les liaisons interdites : histoire de l’inceste au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, 477 p.

2 Par exemple, Céline Regnard-Drouot, Marseille la violente : criminalité, industrialisation et société, 1851-1914, Rennes, PUR, 2009, 360 p. Plus récemment différents travaux ont porté sur la délinquance acquisitive. Cf. par exemple Lisa Bogani, « Le vol domestique : une forme de contestation sociale ? Les campagnes auvergnates du premier XIXe siècle », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 43, n°1, 2015, p. 103-123.

3 Dominique Kalifa, L’encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Epoque, Paris, Fayard, 1995, 351 p. et La culture de masse, I. 1860-1930, Paris, Ed. La Découverte, 2001, Coll. Repères, 128 p.

4 Notamment : Armand Fouquier, Causes célèbres de tous les peuples, 8 volumes, Paris, Lebrun et Cie, éditeurs, 1858-1867.

5 Par exemple : Frédéric Chauvaud, L’effroyable crime des sœurs Papin, Paris, Larousse, 2010, 239 p. ; Anne-Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal : une histoire des années trente, Ceyzérieu, Champ-Vallon, 2017, 391 p.

6 Entre le début et la fin de l'enquête, le prénom de la victime, "Mau" se transforme en "Man". Aucun document officiel, tel qu'un acte de naissance, ne permet de savoir quelle en est la graphie exacte.

7 Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Dossier n° 208U2/463.

8 Sur le rapport de la justice au surnaturel et notamment à la lycanthropie : Laurence Guignard, Antoine Léger l’anthropophage. Une histoire des lectures de la cruauté (1824-1903), Editions Jérôme Millon, Coll. « Mémoires du Corps », 2018, 128 p.

9 Dante Giansoldati est né à Ramiseto, un village situé dans les Apennins du Nord, en aval du Monte Ventasso, en Emilie-Romagne.

10 Xavier Daumalin, « Industrie marseillaise et immigration italienne en Méditerranée : nouveaux regards (XIXe siècle-années 1930) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 132 | 2016, p. 45-65, notamment la partie 3, « L’industrie marseillaise en dehors de Marseille ».

11  Cf. http://archivesplans.marseille.fr/archivesplans/plans/recherche_alpha_cles.php?siecle=0, notamment la Carte de Marseille et de ses environs par Pierre Raoul pour l’Indicateur Marseillais, 1909, 102 Fi 4 et pour 1926, 102 Fi 7. Consulté le 14 décembre 2018

12 Pierre Raoul, dessinateur géographe, Carte de Marseille et de ses environs d'Ensuès et Châteauneuf-lès-Martigues à Cassis, incluant les archipels du Frioul et de Riou et au nord-est Saint-Savournin et Lascours, format d’origine 64x72 cm, échelle 1/50 000, Imprimerie du Petit-Marseillais, 1926, 102 Fi 7. URL : http://archivesplans.marseille.fr/archivesplans/plans/viewer.php?id=61&card=undefined, consulté le 25 juin 2018, consulté le 14 décembre 2018.

13 Cartes et plans Frezet, Plan de la commune de Marseille. Communes limitrophes d'Allauch et de Plan-de-Cuques. Hameau de la Gavotte. Plan de Marseille et de sa banlieue - Divisions administratives. Les Camoins, La Treille, Eoures, 140 x 190 cm, échelle de 1/10 000 et 1/30 000, Société d'impressions Blondel la Rougery, Paris, AMM, 6 Fi 17. URL : http://archivesplans.marseille.fr/archivesplans/plans/recherche_alpha_cles.php?siecle=0, consulté le 14 décembre 2018.

14 Indicateur Marseillais : guide du commerce : annuaire du département des Bouches-du-Rhône pour l’année 1914, Marseille, Impr. De Barlatier-Feissat et Demonchy, p. 1458.

15 Rapport d’autopsie du 20 mars 1919.

16  http://marius.marseille.fr/marius/jsp/site/Portal.jsp?action=fulltext&page=imagespatrimoine&recStr=moulin+du+diable (1906), consulté le 14 décembre 2018.

17  Alain Chenu, Industrialisation, urbanisation et pratiques de classes. Le cas des ouvriers de la région de Marseille, Thèse de doctorat, 1981, Toulouse le Mirail, p. 29-31.

18 Marcel Roncayolo, Les grammaires d’une ville : essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, éditions de l’EHESS, 1996, p. 225-231.

19 Déposition de Louis Lucas devant Joseph Rollat, op. cit., le 1er avril 1919.

20 Jean-Yves Le Naour, Marseille 1914-1918, Marseille, Éditions Gaussen, 2014 et Sylvie Clair et al., 14-18 : Marseille dans la Grande Guerre, Arles, Bizalion, 2014.

21 Bruno Cabanes, La victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français (1918-1920), Paris, Le Seuil, 2004, p. 323.

22 Jacques Frémeaux, « Les contingents impériaux au cœur de la guerre », Histoire, économie et société, 2004, 23e année, n° 2, p. 218.

23 Voir notamment la Une de La Presse, du 21 avril 1916.

24 Eugène Tardieu, Echo de Paris, 21 avril 1916, dans La Grande guerre du XXe siècle, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1917, p. 392.

25 Cf. L’Echo d’Alger, « Les permissionnaires algériens à Marseille », 30 novembre 1918, p. 2.

26 Rapport du brigadier de la Sûreté Jules Faraud, P.V. par délégation de Joseph Rollat commissaire adjoint de la Sûreté, le 31 mars 1919.

27 Ibid.

28 Déposition de Charles Bochot, chef de bataillon commandant le 21e bataillon de marche Indo-Chinois, de passage à Marseille devant Joseph Rollat, commissaire adjoint de la Sûreté, le 1er avril 1919.

29 Eric Deroo et Antoine Champeaux, « Panorama des troupes coloniales françaises dans les deux guerres mondiales », Revue historique des armées, 271, 2013, p. 72-88 (voir le paragraphe sur « Les Indochinois »).

30 Par exemple : Hervé Guillemain, Stéphane Tison, Du front à l’asile, 1914-1918, Paris, Alma éditions, 2013 ; Marie Derrien, La tête en capilotade : les soldats de la Grande Guerre internés dans les hôpitaux psychiatriques français, thèse de doctorat soutenue de l’université de Lyon 2, 2015.

31 Déposition de Ciro Cilento devant le commissaire adjoint de la Sûreté Joseph Rollat, le 1er avril 1919.

32 Déposition de Laurent Bosc devant le commissaire adjoint de la Sûreté Joseph Rollat, 2 avril 1919.

33 Déposition de Jacques Lanzofame devant le juge d’instruction Gervais, près le tribunal de première instance de Chartres, le 19 avril 1919.

34 Déposition de Laurent Bosc devant Joseph Rollat, commissaire de police adjoint à la Sûreté en vertu d’une délégation du juge d’instruction, le 2 avril 1919.

35 Déposition de Marius Lanzofame devant le Juge d’instruction, le 14 avril 1919.

36 Déposition de Marie Asteggiano devant Joseph Rollat, op. cit., le 1er avril 1919.

37 Déposition de Laurent Bosc, op. cit.

38 Eric Baratay, Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une condition, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 228.

39 Déposition de Louis Lucas devant Joseph Rollat, op. cit., le 1er avril 1919.

40 Cf. pour le cas parisien : Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012.

41 Emmanuelle Cronier, Permissionnaires dans la grande guerre, Paris, Belin, 2013 (chapitre 6 : « Des permissionnaires indisciplinés »).

42 Les abréviations et les coquilles d’origines ont été conservées ainsi que l’essentiel des marques d’étude du dossier par le juge d’instruction (soulignements en bleu et rouge).

43 Il s’agit du Procureur Général Albert Marie Henri Long, entré en fonction le 9 février 1917 à Marseille, où il termine une carrière débutée en 1884 à Cayenne comme Juge suppléant. Il est admis à la retraite en 1931.

Pour citer ce document

Par Laurence Montel, «Mort d’un tirailleur indochinois : le loup-garou de Verduron (Marseille, 1919)», Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie [En ligne], Numéros parus, 2018-3, Sources, mis à jour le : 13/03/2025, URL : https://tierce.edel.univ-poitiers.fr:443/tierce/index.php?id=388.

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