Les femmes et Oradour-sur-Glane, 1936-fin des années 1960 : prosopographie d’un genre oublié

Par Ludivine Brunet
Publication en ligne le 20 mars 2023

Résumé

Oradour-sur-Glane, au-delà des idées reçues, n’est pas un village paisible épargné par la guerre. L’objectif ici est de s’intéresser à la place des femmes à Oradour-sur-Glane et à leur rôle dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale et dans les deux décennies qui suivent le massacre de sa population. Après avoir démontré qu’Oradour-sur-Glane n’est pas un village paisible loin de la guerre, comme il est souvent présenté par l’histoire et la mémoire, je m’intéresse au quotidien des femmes et à l’impact du conflit sur leur vie et leurs engagements. Par la même occasion, je m’arrête sur l’événement du 10 juin 1944 et la logique genrée du massacre. Après-guerre, le destin de ces femmes est bouleversé et j’étudie la mise en retrait du genre féminin au sein de la communauté et l’instrumentalisation de leur processus de deuil, encadré par les hommes et la société. La reconstruction du village après-guerre pose de nouvelles questions, notamment concernant la nouvelle génération de petites filles, leur vie personnelle et l’impact des événements dans un contexte local et familial lourd.
Cet article se veut une étude et une analyse genrées dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, du massacre et de l’après-guerre à Oradour-sur-Glane. Les femmes d’Oradour ne sont pas aussi passives que l’histoire et la mémoire l’admettent, elles sont actrices de leur destin.

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Texte intégral

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Annette Rénaud embrassant la photographie des femmes de sa famille (de gauche à droite, sa grand-mère maternelle, ses deux tantes maternelles et la première fille de ses parents) décédées le 10 juin 1944, Oradour-sur-Glane, milieu des années 1950, archives privées.

Les femmes sont les éternelles victimes des guerres. Donneuses et gardiennes de la vie, elles sont plus que jamais en proie à la pulsion de mort des hommes. Les femmes sont aussi les éternelles oubliées de l’histoire des guerres. La moitié de l’humanité […] paraît se dérober à l’examen et l’historien a le plus grand mal à ériger cette multitude en objet historique. Ni nation, ni classe sociale, ni parti politique, ni minorité agissante, les femmes voient leur histoire dissoute dans celle des hommes. C’est déjà vrai en temps de paix. Ce l’est plus que jamais en temps de guerre où les hommes occupent davantage encore le devant de la scène et par la suite écrivent l’histoire, leur histoire.1

1Claude Quétel, historien, longtemps directeur du mémorial de Caen, résume ici la place accordée aux femmes au cours des conflits armés et leur longue absence de l’histoire et de la mémoire par la suite ; ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La femme est l’une des premières victimes de l’occupation d’un territoire par une armée ennemie, devenant la récompense du soldat après des semaines de combat. Elle devient alors le double symbole de la défaite : défaite militaire puisque l’ennemi a conquis le territoire et défaite du vaincu, incapable de défendre sa femme, sa mère, sa fille, sa sœur. Ainsi, il a failli à ses devoirs masculins2. Le cas de la France, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, est révélateur de cette modification des rapports sociaux en temps de guerre : les timides avancées obtenues, notamment grâce aux lois du Front Populaire dans les années 1930, sont balayées par l’entrée en guerre du pays en 1939. Le régime de Vichy réaffirme alors, avec force, une société patriarcale, replaçant la femme dans son rôle, qualifié de traditionnel, de mère et d’épouse soumise.

2J’ai choisi d’interroger la place et le rôle des femmes en France pendant ce conflit, au travers d’un moment particulier, celui d’un massacre de masse. En cela, je me place dans le sillage de nombreux·ses historien·ne·s qui se sont intéressé·e·s à ces questions et ont développé ce qui est qualifié aujourd’hui d’histoire du genre. Cette histoire des femmes trouve ses racines dans les études des historien·ne·s britanniques qui développent l’étude des women’s studies dans les années 1960, cherchant à envisager l’histoire par le prisme du genre. En France, des historiennes comme Michelle Perrot deviennent les figures de proue de cette histoire du genre, rendue notamment célèbre par le titre de son cours à l’université Paris VII en 1973, l’un des premiers cours d’histoire des femmes dispensés dans l’enseignement supérieur en France intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? ». Depuis une trentaine d’année, la recherche scientifique en France considère cette histoire du genre comme une discipline à part entière et met en avant la réalité d’une histoire très souvent mise de côté.

3L’étude de la Seconde Guerre mondiale commence à être mise en regard de l’histoire des femmes et de l’histoire du genre. Le conflit est marqué par l’omniprésence du fait militaire dans la vie quotidienne avec une disparité importante selon les zones du pays et celles des combats. À titre d’exemple, les populations de la zone Nord sont directement en contact avec les soldats, qui y séjournent en masse, alors que la zone Sud n’est envahie que le 11 novembre 1942 par les armées allemande et italienne à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord. Les populations civiles sont les premières touchées par cette occupation armée et les exactions se multiplient sur tout le territoire. Il existe, sur ce point, des disparités régionales : en Limousin, les premières victimes de la répression agressive de l’occupant le sont plus tardivement qu’au Nord.

4L’historiographie de la Seconde Guerre mondiale s’est intéressée à un événement représentatif des exactions commises sur les populations civiles, le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944, mais elle a laissé de côté un aspect important de l’histoire de l’événement, l’étude des femmes. Dans l’après-midi du samedi 10 juin 1944, une troupe de la division blindée Waffen SS Das Reich se rend à Oradour-sur-Glane et massacre la population présente ce jour-là : 643 personnes, hommes, femmes et enfants sont tuées en un après-midi et le village est brûlé par les soldats ; seules six personnes, cinq hommes et une femme sortent vivant·e·s des lieux de supplice et je peux compter une quarantaine de survivant·e·s, ayant échappé d’une manière ou d’une autre au massacre. Parmi les victimes du massacre, 54 % des victimes sont des femmes et pourtant, on assiste à une monopolisation de l’histoire et de la mémoire par les hommes. Volontairement ou non, le récit du massacre est essentiellement masculin : les hommes ont vu, les hommes racontent, reléguant les témoins féminins au second plan. Il m’a semblé alors pertinent de m’intéresser à cet oubli de l’histoire et j’ai eu le projet de comprendre la place accordée aux femmes dans ce moment, ce qui m’a conduite à proposer cette étude.

5L’étude des femmes implique l’analyse d’un groupe genré, définition simple dans le contexte des années 1940 qui n’admet qu’une vision binaire de la société. En qualifiant ce groupe de « femmes », je fais ici référence à l’ensemble des personnes, victimes ou non, de sexe féminin ; personnes déclarées à leur naissance, à l’état civil, comme appartenant au sexe féminin. Cet ensemble comprend trois catégories : les enfants, les adolescentes et les adultes. J’ai fait le choix de ne pas les différencier pour mettre en avant l’étude d’un groupe genré. Pour me conformer aux réalités de la période étudiée, j’ai fait le choix de distinguer les enfants des adultes en utilisant la limite d’âge théorique et légale en 1944 de 21 ans3. L’emploi de la conjonction de coordination « et » dans le titre de cet article renvoie aux liens qui existent entre les femmes et le village, entre les femmes et les autres habitant·e·s, les femmes entre elles. Il s’agit ici de mettre en avant les interrelations entre les deux notions : quelles sont les relations entre ces groupes, les relations entre les femmes et l’espace, le territoire physique mais aussi moral et psychologique d’Oradour-sur-Glane ? Cette dénomination fait référence à la commune d’Oradour-sur-Glane, commune rurale au sens démographique car en 1936, le village – mot employé par les contemporain·e·s des événements – compte 1574 habitant·e·s. La commune est caractérisée par un habitat dispersé, le terme fait alors référence au bourg et aux trente-sept villages et hameaux qui lui sont rattachés, couvrant une superficie de 38,16 km². Enfin, j’ai choisi d’utiliser l’expression « prosopographie d’un genre oublié » pour mettre en avant la base de mon étude qui est le repérage de toutes les femmes et l’analyse de destins individuels4, la mise au jour d’histoires personnelles pour comprendre plus complètement ce temps de l’histoire.

6Ma période d’étude s’étend de 1936 à la fin des années 1960. Elle est ponctuée de deux dates charnières pour le village : 1944, année du massacre et 1953, année du procès de Bordeaux qui doit en juger les responsables. L’année 1936 correspond au dernier recensement de la population d’Oradour avant la guerre. Son examen apporte de nombreuses informations concernant la population radounaude. La fin des années 1960 marque un renouvellement de génération puisque les filles nées pendant la guerre ou après le massacre arrivent à l’âge adulte et, pour la plupart, deviennent mères à leur tour.
L’objectif est ici de s’intéresser aux femmes dans leur individualité et de voir leurs existences dans l’histoire du village, la place qui leur est accordée et le rôle qu’elles jouent.

7Pour répondre à ces interrogations, j’ai choisi de diviser ma réflexion en trois périodes distinctes. L’étude, dans un premier temps, de la période de la Seconde Guerre mondiale permet de questionner le genre et l’engagement des femmes. Dans un second temps, l’analyse de la période qui suit le massacre met en avant une mise en retrait des femmes au profit d’une mémoire et de témoignages masculin·e·s ainsi que, paradoxalement, une instrumentalisation du deuil au féminin. Dans un dernier temps, je m’intéresse à la renaissance - terme des contemporain·e·s -, à la reconstruction du village et à la place des femmes dans le nouveau village.

Oradour-sur-Glane ou le « paradigme de l’innocence outragée » (1936-1944)

8L’histoire officielle, qu’elle soit locale ou nationale, place Oradour-sur-Glane au sein d’une campagne paisible, éloignée des horreurs de la guerre, frappée sans raison le 10 juin 1944. Cette image du village pendant le conflit est volontairement véhiculée par les autorités locales et nationales après-guerre afin de mettre en avant l’horreur du massacre : rien ne semble expliquer le choix d’Oradour-sur-Glane. Sarah Farmer, historienne américaine, qualifie cette vision idéalisée du village de « paradigme de l’innocence outragée5 ». Cette vision résume bien l’image véhiculée après-guerre : Oradour est un village tranquille en 1944, alors pourquoi assassiner 643 personnes innocentes ? Cependant le contexte historique montre que si aucun groupe de résistance n’est localisé à Oradour proprement dit, le village est situé dans une zone particulièrement active, à prendre en compte pour comprendre les enjeux du massacre : la « petite Russie ». La région est ainsi qualifiée par l’état-major d’Hitler du fait de la présence active de nombreux maquis dont le développement est facilité par la topographie. Ce surnom renvoie à deux aspects : l’hostilité de la population semblable à celle rencontrée par les troupes SS en Russie et l’importance des groupes communistes dans la Résistance locale. La région pose un problème aux autorités d’occupation comme le montre l’ordre du jour de la division Das Reich6 pour le 10 juin 1944 : « Les “bandes” terrorisent le secteur de Brive-Clermont-Ferrand-Limoges en empêchant les services allemands et les organismes d’Etat français de fonctionner7 ». La guerre est ainsi omniprésente à Oradour-sur-Glane, pas nécessairement dans ses formes militaires, cependant elle a des répercussions sensibles sur le quotidien des populations, et des femmes en particulier.

Les répercussions du conflit sur les femmes

9La mobilisation du 2 septembre 1939 modifie la vie des populations françaises et marque, pour Oradour-sur-Glane comme pour de nombreux villages en France, un bouleversement. Le premier événement révélateur, bien qu’anecdotique, de la situation est la suppression de la frairie du village qui se déroule habituellement au mois d’août rassemblant les populations alentours autour d’une grande fête8. S’ensuit la mobilisation des hommes de la commune, 168 sont envoyés au front soit plus de 10 % de la population radounaude. La mobilisation des hommes qui marque de manière pérenne le début de la guerre pour la population est aussi le début des changements majeurs dans la vie quotidienne pour ceux et surtout celles, resté·e·s au village. La guerre et la mise en place du régime de Vichy rebattent les cartes du genre dans la société française. Dans un premier temps, la mobilisation des hommes implique un bouleversement pour les femmes : les rôles traditionnels assignés à chaque genre sont remis en cause par l’absence d’un père, d’un époux ou d’un frère mobilisé. Les femmes doivent alors remplacer les hommes au quotidien, principalement lors des travaux des champs à Oradour-sur-Glane. Parmi les victimes du massacre du 10 juin 1944, six d’entre elles ont un mari ou un père en captivité. Elles doivent combler cette absence physique, si ce n’est affective. Il s’agit de Léonie Boulesteix et ses enfants Christiane et Claude, Eugénie Faucher et sa fille Renée, Catherine Bardet et Bernadette Cordeau.

10La guerre est également présente par les clandestin·e·s hébergé·e·s dans le village. L’armistice du 22 juin 1940 laisse le village amputé de 55 de ses habitants, prisonniers en Allemagne. Cependant 113 mobilisés reviennent en Limousin, pour la plupart évadés ou déserteurs de l’armée. Ce retour, illégal, de la plupart des hommes mobilisés est suivi d’un élan de solidarité de la population qui accueille les déserteurs ou les évadés et accepte de les cacher en son sein. Il est important de préciser que les hommes cachés dans le village à la suite de leur évasion et plus tard, les maquisards ou réfractaires du Service du Travail Obligatoire (STO), le sont avec la complicité d’une large majorité d’habitant·e·s. Le STO, instauré par la loi du 16 février 1943, apporte son lot d’hommes à la clandestinité. Ces derniers, dissimulés au sein des communautés, s’ajoutent aux personnes déjà traquées par l’occupant : principalement des Juif·ve·s. À Oradour-sur-Glane, ces trois types de personnes dissimulées existent et coexistent avec la population locale. Comme souvent en temps de guerre, notamment au cours des années 1940, les femmes sont actrices de ces dissimulations, leur genre - étant partiellement associé à l’innocence - attire moins les soupçons. À Oradour-sur-Glane, plusieurs de ces femmes ont joué un rôle important dans la dissimulation de personnes recherchées. Jeanne Mercier et Anna Machefer, toutes deux victimes du massacre, ont choisi de dissimuler des clandestin·e·s dans leur propre maison. La première cache ses deux neveux Maurice et Martial dit Joseph Beaubreuil chez elle, respectivement réfractaire du STO et prisonnier évadé9. La seconde accueille deux enfants juif·ve·s, Sarah Jakobowicz et Raymond Engiel mis·e·s à l’abri par leur famille de peur de la déportation.

11Si la guerre bouleverse la place de la femme dans la société, c’est toujours elle qui doit subvenir aux besoins de son foyer, et le symbole même du quotidien féminin pendant la Seconde Guerre mondiale est l’attente et la nécessité du ravitaillement. Comme on le sait, le ravitaillement fut l’obsession des années d’occupation à l’échelle nationale et dans l’ensemble du pays, des femmes ont dû faire face à des pénuries de nourriture, de vêtements ou encore de charbon qui ont conduit le gouvernement de Vichy à instaurer le système des tickets de rationnement10. Dès mai 1940, un recensement est effectué dans le département de la Haute-Vienne destiné à la délivrance et l’envoi des cartes d’alimentation. À l’inverse de la plupart des villes françaises qui souffrent sensiblement de ces privations, Oradour-sur-Glane reste relativement préservé. De fait, durant les années d’occupation, le village devient un refuge pour les populations citadines car un peu plus épargné par les pénuries. La proximité de la campagne offre une production agricole importante permettant aux populations de compléter les rations accordées par le gouvernement. De nombreux·ses commerçant·e·s, boucher·ère·s et marchand·e·s de vin profitent également de l’essor du marché noir et mettent en place un marché parallèle11. La plupart des foyers du village et de ses alentours confient leur approvisionnement aux femmes. Or, le samedi 10 juin 1944 est un jour de ravitaillement à Oradour-sur-Glane ce qui signifie un afflux important de populations alentours, et de femmes en particulier, à la recherche de denrées alimentaires.

Des formes d’engagement au féminin : entre les faits et les dires

12La guerre transforme la vie des femmes. La réalité d’un conflit qui dure et modifie leur vie pousse certaines d’entre elles à agir. L’engagement des femmes en France est difficilement quantifiable, que ce soit du côté de la Résistance ou de la collaboration. Certaines d’entre elles s’engagent pour suivre leur mari ou père, d’autres s’engagent activement en rejoignant des groupes armés de miliciennes ou de résistantes et d’autres encore s’engagent sans réellement le revendiquer, considérant que leur implication est normale et s’intègre dans leur vie quotidienne. La question de cet engagement féminin a été discutée, depuis les années 1990 par des historien·ne·s étudiant cette implication des femmes avec ou contre l’occupant. Dominique Veillon définit la Résistance comme : « une attitude consciente, volontaire, patriotique ou morale, qui conduit une personne, puis une minorité à refuser concrètement la défaite et l’occupation ennemie. Mais c’est aussi une lutte clandestine contre l’idéologie nazie et un combat pour le maintien des libertés et de la démocratie12 ». Au-delà de cette définition, je considère que la notion de désobéissance civile, c’est-à-dire le refus assumé de se soumettre à une loi ou à une organisation, participe de la résistance, et qu’elle peut être appliquée aux femmes et à leurs agissements au quotidien. Ainsi, pour aborder l’engagement des femmes, que ce soit pour ou contre l’occupant, il faut garder à l’esprit le statut qui leur est réservé dans la société française en 1940. Les femmes sont juridiquement marginalisées puisqu’elles dépendent de leur mari ou de leur père et politiquement, elles n’ont aucun droit. Leur engagement auprès de la Résistance ou de la collaboration, encore plus dans le premier cas de figure que dans le second, leur permet de transgresser les lois alors en vigueur régissant leur statut. Elles tentent, pour une partie d’entre elles, de s’affranchir des limites imposées à leur genre.

13Il existe très peu de sources, même au niveau national, concernant la collaboration des femmes, réduite à tort à la collaboration dite horizontale. Dans le cas d’Oradour-sur-Glane, il est impossible et faux d’affirmer que telle ou telle habitante du village est collaboratrice. Cependant, il est possible de mettre en évidence des liens avec les troupes d’occupation. Trois femmes sortent alors de l’anonymat et il est possible de trouver dans leurs histoires personnelles un aspect qui les relie à la collaboration, tout du moins à l’occupant. L’objectif ici est de montrer que les habitantes sont impliquées dans la guerre, à travers le prisme de la dualité Résistance et collaboration. Il est difficile de parler des personnes qui sont restées passives, et n’ont pris parti ni pour un camp ni pour l’autre, c’est pourquoi je me concentre sur ces deux aspects de l’engagement réel ou supposé. Parmi ces trois femmes, ce sont trois destins particuliers qui sont mis en avant. Ginette Couturier, victime du massacre, a été associée par la rumeur locale à la collaboration. Le terme précédent recouvre de nombreux enjeux et il est empreint d’une légende populaire qu’il faut mettre de côté pour comprendre mon propos. Ginette Couturier est indirectement liée à l’occupant allemand par le biais de son fiancé. En 1944, elle est fiancée à Albert Roumy, lui aussi mort le 10 juin, longtemps qualifié par les habitant·e·s de milicien car il porte, le jour du massacre, un uniforme : « Cela fait penser que Roumy, connu particulièrement comme collaborateur et le fils étant milicien, serait l’indicateur des otages à prendre13 ». Cependant, cet uniforme n’est pas noir comme celui de la Milice mais blanc. En effet, Albert Roumy appartient à l’Organisation Todt. Même si son engagement est volontaire, cela ne signifie pas qu’il est collaborateur, d’autres jeunes hommes du village se sont engagés afin d’éviter le départ en Allemagne dans le cadre du STO. Ainsi donc, cette femme est liée à la collaboration par le prisme de son conjoint alors qu’aucune source ne peut affirmer ou réfuter les rumeurs la concernant. Une femme est, quant à elle, accusée de collaboration avec l’ennemi, tondue et emprisonnée à Limoges, Jeanne Duqueroix. La jeune femme est auditionnée dans le cadre de l’enquête du SRPJ de Limoges après le massacre d’Oradour-sur-Glane :

Par la suite, MEYER [membre de la Gestapo de Limoges] est venu à plusieurs reprises m’attendre ou me chercher à mon bureau sous le prétexte de m’interroger. Il n’avait d’autre but que de rechercher mes faveurs et, sous la menace d’être envoyée au S.T.O. en Allemagne, être déportée ou emprisonnée par MEYER, j’ai cédé et, par la suite, j’ai eu, au restaurant « La Chaumière », à Limoges, à deux reprises, des relations intimes avec ce policier allemand14.

14Elle précise cependant que sa première rencontre avec Meyer ne date que du 27 juin, soit dix-sept jours après le massacre. Cette déposition va à l’encontre des accusations locales selon lesquelles elle a fourni des informations à la Gestapo en prévision du massacre de la population. Il faut préciser qu’au moment de son audition, Jeanne Duqueroix est déjà considérée comme coupable de collaboration, elle a été tondue et est détenue à Limoges. Une dernière femme est victime de rumeurs de collaboration dans l’environnement d’Oradour, il s’agit de Marie-Thérèse Maire. L’histoire de cette femme n’est que peu connue mais je dois intégrer les rares éléments la concernant dans mon questionnement. Mariée à Gabriel Maire, boucher dans le bourg, Marie-Thérèse vit séparée de son mari avec leur fils Michel, dans le village des Bordes, probablement logée chez Mme Thomas qui tient une épicerie-café-auberge. En juillet 1944, un groupe de maquisards vient arrêter le couple Thomas et Marie-Thérèse Maire. Cette dernière leur demande si elle doit emmener son fils, présent dans la maison à ce moment-là. Les maquisards lui répondent que non et les trois adultes sont emmené·e·s. Trois enfants restent alors dans la maison, Guy, Ginette Thomas et Michel Maire. Les trois adultes sont assassiné·e·s par le groupe de Francs-Tireurs Partisans (FTP), car accusé·e·s de collaboration. Concernant Marie-Thérèse Robert, elle est arrêtée car elle aurait donné à boire à des soldats allemands, ce qui paraît logique car elle habite au-dessus d’un bar15. Le corps de Marie-Thérèse Maire est retrouvé dans un bois au hameau de La Chapelle sur la commune de Cieux en 1946 ; la commune est limitrophe de celle d’Oradour. Son corps est identifié à Nantiat grâce à son alliance, à sa mère et son frère Roger Robert, reparti·e·s en Lorraine après la guerre16. Au début de ce paragraphe, j’indiquais que j’allais étudier les femmes qui ont choisi de prendre parti mais en réalité, ce n’est que le contexte familial et l’environnement local qui associent ces femmes à la collaboration. On ne peut pas affirmer que ces femmes sont des collaboratrices mais elles ont un lien certain avec des aspects de l’Occupation.

15S’il est difficile d’établir un lien entre Oradour et la collaboration, il est pareillement difficile de reconstituer un lien entre la Résistance et Oradour-sur-Glane. Là encore, plusieurs femmes sont présentées comme étant plus ou moins liées à des activités de résistance. Aucune source n’atteste directement cette appartenance, notamment parce que la plupart des résistant·e·s supposé·e·s meurent le 10 juin ; par conséquent, je m’appuie sur les témoignages, lesquels sont à considérer avec prudence quant aux informations non corroborées qu’ils communiquent. Trois femmes, toutes trois victimes, sont directement associées à la Résistance ; il s’agit de Carme Juanós Sampé, Andrée Brandy, et Sarah Jakobowicz. Carme Juanós Sampé est engagée politiquement depuis plus de dix ans en Espagne et il semble que cet engagement se poursuive en France après son exil, à la suite de la victoire de Franco. Sa relation avec Esteban Herrero Pérez, qui obtient sa carte d’interné politique à la fin du conflit17, laisse supposer que Carme est elle aussi liée à des activités clandestines. De plus, elle est mentionnée comme victime de « la lutte pour la libération de la France » dans le journal le Lluita du 25 juillet 194718, ce qui va à l’appui d’un engagement actif dans la Résistance en France pendant son exil. En lien avec la Résistance espagnole dans l’environnement d’Oradour, je peux évoquer le cas d’Andrée Brandy. Native d’Oradour-sur-Glane, plusieurs témoignages font référence à une possible activité résistante de la jeune femme19. Il semble qu’elle ait, à plusieurs reprises, fait passer du courrier à destination du maquis. De plus, Andrée est fiancée à Milian Bielsa, réfugié espagnol. Le couple doit se marier mais Milian rejoint l’Angleterre, promettant d’épouser Andrée à la fin de la guerre. Il n’apprend la mort de cette dernière qu’à la Libération de Paris en août 1944, après avoir vu une affiche dans les rues de la capitale annonçant le massacre d’Oradour-sur-Glane. Milian est, par ailleurs, actif dans la Résistance limousine. Ce contexte semble donc confirmer la thèse d’activités résistantes locales. La dernière femme qui m’intéresse est Sarah Jakobowicz, réfugiée juive polonaise cachée par le couple Machefer dans le bourg d’Oradour-sur-Glane. Ce couple est associé à la Résistance, Martial Machefer est résistant communiste20. Sarah est donc hébergée dans un milieu proche des activités clandestines, ce qui peut favoriser une entrée dans la Résistance. De plus, Sarah est arrivée de Pologne avec sa famille, domiciliée à Saint-Victurnien. David, son frère aîné a rejoint la Résistance communiste aux côtés de Georges Gingouin dès leur arrivée dans la région en 1940, le contexte familial la lie donc directement à la lutte clandestine. À la fin de la guerre, le corps de Sarah est inhumé au cimetière de Louyat à Limoges. Une cérémonie a lieu auparavant dans les ruines d’Oradour, un cortège composé de soldats des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) dont David, entoure le cercueil de Sarah, recouvert d’un drapeau tricolore, en procession dans les ruines. J’émets l’hypothèse qu’il est possible d’associer Sarah à un rôle d’agente de renseignements ou de liaison du groupe de son frère, il est probable qu’elle ait aidé dans la mesure de ses moyens. De plus, cette procession donne un statut nouveau à la dépouille de la jeune fille. Il ne s’agit plus d’une victime anonyme dans la masse, elle devient à la fois le symbole des persécutions de la communauté juive qui souhaite honorer ses morts mais aussi de la Résistance qui voit l’occasion, dans cette procession, de symboliser le martyre des combattant·e·s clandestin·e·s.

16D’autres femmes ont un lien avec ce que je qualifierais de désobéissance civile ; c’est le cas d’Anna Machefer et de Jeanne Mercier. Les deux femmes cachent respectivement deux réfugié·e·s juif·ve·s et deux neveux, un réfractaire du STO et un prisonnier évadé. Ces actions, au-delà d’un réel engagement politique ou armé, renvoient ces femmes à un statut de résistante, non pas de résistante armée mais dans le sens d’une opposition au régime et aux lois en place, un contournement des règles, une désobéissance passible d’emprisonnement, de déportation voire de mort. Après-guerre, les femmes qualifient leurs actions de résistantes comme des actions normales pour elles, s’intégrant dans leur vie quotidienne : ravitaillement, protection et hébergement de prisonniers évadés, de réfractaires, de Juif·ve·s, de résistant·e·s en fuite, ou encore d’aviateurs étrangers. Cet aspect a été étudié par de nombreux·ses historien·ne·s et il semble, à l’inverse de la plupart des hommes, que les femmes ont choisi de se mettre en retrait à la fin du conflit, de ne pas mettre en avant leurs exploits et leurs actions « estimant avoir fait leur devoir21 ». Certaines ne souhaitent pas, après-guerre, de reconnaissance, elles retournent dans une forme d’anonymat après avoir assuré leurs devoirs de citoyennes sans en avoir les droits.

17Comme je viens de le montrer, l’engagement des femmes à Oradour-sur-Glane peut être affirmé mais non étayé de façon absolue par les sources. Je n’ai parlé que des femmes, victimes ou survivantes pour lesquelles je dispose d’informations, cela ne signifie pas que d’autres ne se sont pas engagées. Le contexte local et familial agit sur cet engagement, que ce soit un lien avec la Résistance ou l’occupant. Il est, encore une fois, impossible d’affirmer que telles ou telles femmes sont des résistantes ou des collaboratrices. On touche ici aux limites des formes de la preuve dans les sciences historiques. Ce qui est certain en revanche c’est que les femmes sont les premières touchées par le conflit.

10 juin 1944, un massacre genré ?

18Le 10 juin 1944, la division Waffen-SS Das Reich massacre 643 personnes dont 342 femmes, enfants et adultes. Cette proportion de victimes féminines, environ 54 %, souligne qu’aucun·e habitant·e n’a été mis·e de côté, tous·tes, sans distinction de genre ni d’âge sont assassiné·e·s par les SS. Cette proportion importante de femmes pose de nombreuses questions. Les conflits armés en Europe des XVIIIe et XIXe siècles opposaient des armées nationales constituées, signifiant un grand nombre de victimes masculines, la fonction de l’homme pour les sociétés occidentales étant celle d’un guerrier. À ce titre, les conflits contemporains du XXe siècle ont modifié cette vision et la pratique de la guerre : la part de victimes féminines en a été sensiblement augmentée. L’Occupation n’épargne pas les femmes, combattantes ou simples citoyennes. L’idéologie nazie est dominée par la peur de la femme guerrière et les autorités d’occupation n’exécutent aucune femme, arrêtée pour faits de résistance, sur le sol français ; lorsque des femmes sont condamnées à mort, elles sont exécutées en Allemagne ou dans les camps d’Europe de l’Est22.

19En cela, le massacre d’Oradour-sur-Glane constitue pour la France une singularité. Il s’agit non seulement d’une tuerie de masse, mais aussi d’un massacre genré en cela même qu’un sort différent, une mise à mort spécifique, est réservé aux femmes (et aux enfants, dont une partie est de sexe masculin). L’histoire officielle, incomplète, met en avant trois phases dans la mise à mort des habitant·e·s le 10 juin. Une fois rassemblé·e·s, les habitant·e·s sont séparé·e·s, vers 15 heures, les femmes et les enfants sont conduit·e·s vers l’église et les hommes sont, par la suite, conduits dans six lieux de supplice, granges et garages. Cette séparation genrée est alors vécue comme un traumatisme pour les deux groupes. Les femmes craignant moins pour leur vie que pour celles des hommes, elles pensent que ces derniers vont être déportés. En effet, dès l’arrivée des soldats, ce ne sont pas les femmes qui cherchent à se mettre à l’abri mais les hommes, jeunes, en âge de partir pour le STO ou d’être déportés23. À ce stade, il me semble important de préciser que les événements de la veille, les pendaisons de 99 otages et les déportations à Tulle, ainsi que ceux des jours précédents ne sont pas connus de la population radounaude. Les communications, jusque-là aisées, sont en effet très perturbées par le débarquement des troupes alliées en Normandie le 6 juin, entraînant de nombreuses actions de sabotage de la part de la Résistance intérieure. A priori, la population ne craint pas l’arrivée des SS dans la région et les femmes en particulier peuvent penser bénéficier d’une protection liée à leur genre.

20Cependant, l’attente des femmes dans l’église s’achève par leur mise à mort, qu’il me faut détailler afin de révéler en quoi le massacre est genré. Tout d’abord, pourquoi assassiner ces deux groupes de manière différente ? La séparation, genrée, de la population est mise en place afin de répondre selon mon analyse à une double logique. En séparant les femmes des hommes, les SS cherchent à la fois à déstabiliser psychologiquement la population et à éviter toute révolte. Une fois les deux groupes séparés, chacun vit dans l’angoisse pour l’autre, cherche à comprendre ce qu’il se passe. L’expectative qui touche le sort des femmes permet aux soldats de mieux contrôler les hommes. Le procès de Bordeaux retient le nombre de 120 soldats présents à Oradour mais, pour ma part, je prends en considération les recherches de Jean-Jacques Fouché, lequel avance le nombre de 200 soldats24. D’un point de vue numérique, la situation pourrait être différente : plus de 600 habitant·e·s face à 200 soldats. Si les femmes et les enfants avaient été enfermé·e·s avec les hommes, il est plausible que, comprenant ce qui allait se passer, l’instinct de protection des personnes jugées les plus faibles aurait poussé des hommes à la révolte. La séparation genrée permet ainsi de laisser planer le doute sur le sort des femmes et des enfants, peut-être ont-elles·ils été mis·e·s à l’abri ? Or, ce n’est pas le cas et ce massacre en deux temps renforce l’hypothèse d’une organisation planifiée et d’une mise à mort volontairement genrée. Dans le processus de mise à mort, la mise à mort féminine et enfantine se fait de manière indirecte à la différence de celle des hommes. En effet, il semble que les soldats aient prévu une mort par asphyxie de leurs victimes, suivie de l’incendie de l’église en plaçant une caisse d’explosifs dans l’édifice. Par ce procédé, les soldats peuvent se sentir comme n’étant pas les assassins directs des femmes et des enfants. En effet, l’assassinat de femmes et d’enfants est une épreuve redoutée par certains soldats qui préfèrent utiliser des moyens indirects leur permettant de se dédouaner du meurtre, ce qui est le cas ici. Le plan initial devait probablement conduire à une asphyxie des victimes et un effondrement du toit de l’église entraînant ainsi la mort des habitant·e·s enfermé·e·s dans le bâtiment. Ce plan prévu ne fonctionne pas, obligeant les soldats à les assassiner, à l’aide de grenades et d’armes automatiques, de manière directe. L’histoire locale retient donc un déroulement du massacre en deux étapes. Cependant, une troisième phase, celle de la recherche et de l’exécution des fuyard·e·s doit être considérée. L’exécution des femmes ne se résume pas à leur assassinat dans l’église, toutes les femmes n’ont pas rejoint le rassemblement et n’ont donc pas été tuées dans le bâtiment consacré. Une individualisation des victimes, quand les sources et témoignages le permettent, est essentielle afin de ne pas noyer le destin de ces femmes dans la masse des victimes. Les identifications et les témoignages de survivant·e·s mettent en avant des exécutions sommaires de femmes. Même si la catégorisation des victimes est un exercice difficile, il est ici nécessaire ; j’ai ainsi mis en avant quatre types de femmes exécutées hors de l’église par les SS : les femmes tuées avant le rassemblement, celles qui tentent de fuir, celles qui se sont cachées et celles qui arrivent dans le village après le massacre.

Une vie suspendue entre attente, deuil et volonté de justice (1944-1953)

21Le massacre de la population d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 est un événement majeur de la Seconde Guerre mondiale qui a marqué à la fois la population locale et nationale ainsi que les relations entre la France et l’Allemagne à l’issue de la guerre, sans compter la question des malgré-nous. J’ai montré précédemment et bien sûr plus en détails dans ma recherche, qu’avant d’être des victimes, les femmes et filles mortes à Oradour sont avant tout des individus avec une histoire particulière. Ayant retracé leurs destins et leurs vies avant le drame et démontré la singularité de leur mise à mort, genrée, il m’a paru essentiel de comprendre la période qui suit le massacre.

La question du deuil des femmes : entre invisibilisation et instrumentalisation

22Les femmes, principalement des mères, en deuil, vêtues de noir, se recueillant sur les tombes communes du cimetière, sont des figures indissociables du processus de deuil à Oradour-sur-Glane. Pour décrire ces femmes, seul un Radounaud, Albert Valade, a trouvé, selon moi, les mots justes :

« Elles ont beaucoup pleuré, mais elles ne sont guère nombreuses à présent. Ainsi parle-t-on très peu d’elles, que l’on rencontre encore quelques fois sur la route du cimetière. Elles ne portent ni décorations, ni médailles. Elles ont élevé d’autres enfants25 ».

23Cette citation résume la situation de ces femmes qui pleurent et commémorent leurs morts ; elles font partie intégrante du paysage, présentes dans les ruines et au cimetière, portant le deuil mais elles sont invisibilisées par l’histoire et la mémoire. Pour Jean-Jacques Fouché, elles sont placées au « sommet de la communauté en deuil ; celles qui ne quittent pas le deuil et que le deuil ne quitte pas26 ». Au sortir de la guerre, le cimetière devient un espace central dans la vie du village. En effet, il s’agit de la seule étendue appartenant encore à la commune ; les ruines sont expropriées afin de faciliter la reconstruction du village et elles appartiennent dès 1946 à l’État. Les habitant·e·s n’ont de contrôle total et direct que sur leurs tombes27. Pour les survivant·e·s, le cimetière marque le deuil, il en est le symbole, bien plus que les ruines. Ces dernières sont en effet associées à la commémoration par l’État d’une mort collective alors que le cimetière est associé au souvenir, dans un contexte familial et communautaire28. Après le massacre, il s’agit du point nodal du deuil où les trois fosses communes recueillant les corps des ruines sont installées.

24Au lendemain du 10 juin, la vie est suspendue à Oradour et les cercles et lieux de sociabilité sont restreint·e·s pour les habitant·e·s. Les hommes, pour la plupart, se retrouvent au travail ou lors des matchs de football qui reprennent progressivement. Les femmes, quant à elles, n’ont pas ces possibilités et le seul lieu de rencontre pour partager leur peine reste le cimetière29. Cet isolement est d’autant plus prégnant pour les femmes habitant les hameaux. Elles n’ont aucune structure de sociabilité et restent seules dans leur deuil, si ce n’est lors de leurs visites au cimetière où elles peuvent échanger avec d’autres femmes venues se recueillir sur les tombes de leurs maris et de leurs enfants. Ces femmes, dont le nombre est difficilement quantifiable mais qui correspond probablement à une cinquantaine de personnes, bien que mises en retrait, sont pourtant caractéristiques de cette période de deuil comme l’explique Jean-Jacques Fouché :

« Dans une période où les manifestations extérieures du deuil déclinent, celui des mères d’Oradour en grand deuil prend l’aspect d’une exception, suscitant respect et éloignement de la part de ceux qui ne sont pas directement concernés. On les regarde en les plaignant et en admirant leur constance : elles auront vécu pour leurs morts30. »

25Elles deviennent alors le symbole de la douleur du village, le deuil est personnifié au travers de ces femmes. Lors de la première cérémonie du massacre, le 10 juin 1945, la mémoire collective retient l’image de ces mères pleurant devant les tombes couvertes de fleurs, de couronnes et de croix. La mémoire immédiate du massacre considère ces femmes, pieuses pour la plupart, comme le symbole, sinon l’exemple à suivre pour commémorer l’ensemble des morts du conflit. Cependant, sur le long terme, elles restent largement mises en retrait, au second plan, et leur deuil est personnel, isolé et peu partagé au sein de la communauté locale. Peu de publications les évoquent mais des écrits ont eu tendance à instrumentaliser, volontairement ou non, le deuil de ces femmes. Certaines d’entre elles ont porté le deuil, symbolisé par des vêtements noirs tout au long de leur vie. Deux exemples sont marquants à ce sujet, celui de Marguerite Rouffanche et de Marguerite Hyvernaud. Marguerite Rouffanche, unique survivante de l’église a perdu, entre autres membres de sa famille, son mari Simon (53 ans), son fils Jean (22 ans), ses deux filles Amélie (21 ans), Andrée (18 ans) et son petit-fils Guy (6 mois et demi). Elle porte le deuil jusqu’à sa mort et refuse de participer aux différentes célébrations festives : elle sera contre les premières manifestations, notamment les bals, organisé·e·s par la jeunesse d’Oradour. Marguerite Hyvernaud a perdu, au cours du massacre, deux de ses fils, Marcel et André (12 et 6 ans). Elle se rend, tous les jours, sur les tombes collectives et celles de ses deux fils, en compagnie d’une de ses filles, Amélie. Les deux femmes repartent souvent en marchant parmi les ruines. Après le massacre, Marguerite est vêtue de noir jusqu’à sa mort, n’assistant plus à aucune festivité (mariage, baptême, communion)31. D’autres femmes encore, du même âge, qui ont perdu des enfants, ont quitté le deuil après quelques années. C’est le cas notamment de Jeannine Rénaud et Marie Deglane. Les deux femmes, aux sorts similaires puisqu’elles ont chacune perdu un·e enfant, ont quitté leurs vêtements noirs lorsque leurs enfants leur ont offert de nouvelles tenues32. Marie Deglane est présentée comme portant le deuil jusqu’à sa mort par certains auteurs33, peut-être avec une volonté d’idéalisation mais qui ne correspond pas à la réalité34.

26L’impact émotionnel est important pour les mères en deuil et est mis en évidence par le docteur Lapuelle interrogé dans les années 1990 par Sarah Farmer. Il n’est pas originaire d’Oradour-sur-Glane, et s’installe en tant que médecin sur la commune en 1949. Il évoque ces femmes, ces mères qui ont internalisé le deuil de leurs enfants et qui continuent à vivre un traumatisme important :

Vous savez, on fait des fiches en médecine. Vous demandez aux femmes quels sont leurs antécédents, si elles étaient malades, combien elles ont eu d’enfants. J’ai vu des femmes qui m’ont dit avoir eu six, huit enfants. Et, pour déceler un peu les réalités, on demande souvent ce que ces enfants sont devenus, ce qu’ils font dans la vie. Et les premières années, il y a des femmes qui m’ont répondu que leurs six enfants avaient été brûlés à Oradour. Je pense que ce traumatisme, quelle que soit la durée de la vie, ne peut pas se modifier. […] Elles ne m’ont jamais rien expliqué, ces femmes. On en parlait un peu comme ça et puis elles pleuraient35.

27Le témoignage d’Albert Valade confirme ceux du médecin :

Pendant ce temps, les mamans et aussi les papas continuent en silence leur douloureux pèlerinage dans les ruines et au cimetière. N’oublions pas que la perte d’un enfant est la plus cruelle épreuve qu’un être humain puisse subir. On perd son épouse ou son mari, on est veuf ou veuve. On perd ses parents, on est orphelin. Pour la perte d’un enfant, il n’y a pas de mot pour traduire le deuil36.

28Le choc de la perte d’un·e membre de leur famille place ces femmes dans un statut particulier qui les oblige à porter le deuil, à l’inverse des hommes37. Au-delà du deuil personnel qui, à Oradour, est étroitement lié aux commémorations publiques, le deuil de ces femmes reste contraint par les attentes et les prérogatives de la société. Les femmes en deuil sont, comme de nombreux aspects de leur vie quotidienne, contraintes, voire jugées, par la société. Un événement en rend compte. Le 2 mars 1952, un bal privé, après un repas de famille, est organisé à l’hôtel de la Glane dans le nouveau bourg. Le 4 mars, treize membres du conseil d’administration de l’Association des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane dénoncent l’événement auprès du président tout en mettant en accusation la propriétaire des lieux :

Les membres soussignés du Conseil d’Administration de l’Association des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane ont l’honneur de vous remettre leur démission de cette association pour les motifs suivants : Malgré les arrêtés pris par les pouvoirs publics, un hôtelier a organisé un bal à Oradour-sur-Glane le 2 mars 1952. Ce bal s’est déroulé sous la protection de la police armée à 100 mètres du lieu de sacrifice des 642 martyrs que les vivants s’étaient jurés d’entourer de silence et de recueillement. Les membres démissionnaires ne reprendront leur place au sein du Conseil d’Administration qu’aux conditions ci-après dont ils demandent la ratification par l’Assemblée Générale : 1) Mise en demeure de démissionner à adresser à Madame Laurence, secrétaire de l’Association qui a autorisé M. Durand, son locataire, à faire danser dans son établissement, pour de simples et sordides intérêts matériels, indignes de ses voiles de deuil : et incompatibles avec sa présence dans notre groupement38.

29Marguerite Laurence, secrétaire de l’Association des Familles des Martyrs a autorisé son locataire, M. Durand, à organiser un bal privé39, à la suite d’un repas donné dans son établissement. Pourtant, ce n’est pas le locataire qui est accusé par les treize signataires de la lettre mais bien la propriétaire. De plus, cette lettre est diffusée, dès le 7 mars, dans la presse, rendant l’affaire publique. Pourquoi ? Pourquoi s’attaquer à Mme Laurence alors que le “coupable” est le locataire ? Dans une lettre adressée au docteur Masfrand le 30 avril40, elle précise les réalités de cette diffamation et explique faire face à des menaces importantes. Le 14 avril, elle répond à ses accusateurs et les place face à leurs contradictions41. Marguerite Laurence a perdu plusieurs membres de sa famille au cours du massacre, notamment sa mère Marie Avril (64 ans), son mari Henri Laurence (54 ans) et ses deux enfants Bernard et Geneviève (9 et 7 ans) ; et c’est bien sa qualité de mère et d’épouse en deuil, le tout associé à son rôle dans l’Association, qui la place au premier plan des accusations. Marguerite Laurence est donc visée par une partie des membres du conseil d’administration parce qu’elle est une femme, en deuil, « indigne de ses voiles de deuil ». C’est donc ce point précis qui est mis en avant par les accusateurs, tous des hommes. Mme Laurence précise que des événements similaires, voire « pires », se sont déroulés sans réaction de la part de l’Association. L’indignité de Mme Laurence réside, pour ses détracteurs dans son genre et son statut : en tant que femme portant le deuil de son mari et ses enfants, elle devient condamnable moralement. On ne connaît pas l’opinion des Radounaud·e·s suite à cette affaire surnommée « l’affaire du bal ». Pour Albert Valade, l’Église catholique va dans le sens de cette interdiction. Mgr Rastouil, évêque de Limoges, rencontre des habitant·e·s dans les ruines qui se plaignent de ce bal. Le 10 juin suivant, lors de la célébration de la messe, il évoque cette rencontre et exprime sa désapprobation que l’audience considère comme une « intervention diversement appréciée42 ». L’auteur conclut l’épisode du bal ainsi : « si on ne voulait pas qu’Oradour vive, il ne fallait pas le reconstruire43 ». Ces considérations sont révélatrices des paradoxes de la communauté radounaude et mettent en évidence la difficulté de la période après-guerre. Cet exemple, bien qu’unique à ma connaissance, révèle les attentes et les contraintes imposées par la société aux femmes : le respect strict du deuil sans lequel il ne saurait y avoir de tristesse.

La « renaissance » d’Oradour-sur-Glane (1953-fin des années 1960)

30La période qui suit le procès de Bordeaux, de 1953 à la fin des années 1960, est une période complexe pour Oradour-sur-Glane. La commune et ses habitant·e·s s’isolent progressivement, rejetant toute initiative émanant de l’État et se développent dans ce que Jean-Jacques Fouché qualifie comme « l’entre-soi de la culture limousine44 ». Cette période est intéressante pour mon étude car elle repose sur un paradoxe. D’un côté, la commune s’isole du reste de la France, rejette la présence de membres du gouvernement et monopolise le processus mémoriel, le replaçant au cœur de la communauté locale. En parallèle, l’achèvement de la construction du nouveau bourg et le développement de la commune sont le signe d’une nouvelle génération qui ressent le besoin de vivre et de grandir normalement. L’histoire locale a qualifié cette période de « renaissance »45 d’Oradour-sur-Glane ; le premier auteur à y faire référence est Albert Valade, érudit local qui a vécu ces années de développement du nouveau bourg. Le choix et l’emploi de ce terme renvoient à deux aspects caractéristiques de la population radounaude. Tout d’abord, le terme est défini par un homme issu de la communauté locale qui qualifie les événements qu’il a vécus. Par conséquent, il est accepté et réutilisé : la question de l’entre-soi prend alors tout son sens. Ensuite, le terme, que je vais expliciter par la suite, fait référence au développement culturel et sportif d’Oradour-sur-Glane après le massacre : la communauté se retrouve en dehors du cadre commémoratif. La renaissance : ce terme fait référence à l’organisation d’une course cycliste sous l’égide du Syndicat d’initiative nommée « Le grand prix de la Renaissance ». Malgré la difficulté de l’organisation d’un tel événement dans le nouveau bourg, proche des ruines, la course naît le 30 août 1953 ; date symbolique car elle correspond à la fête annuelle de l’ancien bourg organisée le dernier dimanche du mois d’août. C’est donc avec ce passé proche que les organisateurs mettent en place ce grand prix de la Renaissance qui a lieu dans le bourg pendant vingt-sept ans et rassemble la population radounaude afin d’assurer « la transition entre le passé et l’avenir, entre le deuil et le droit à la vie46 ».

31Au-delà de cette utilisation du terme issu d’un passé commun et d’un moment marquant pour les habitant·e·s, le terme “renaissance” renvoie aux femmes. Ce sont elles qui donnent naissance, elles qui, biologiquement, sont en capacité de procréer et d’accoucher, de donner naissance à un·e enfant. Le terme soulève alors de nombreux questionnements sur son utilisation. Il est alors intéressant de voir qu’il s’agit d’un mot qui renvoie au genre et qu’il devient le symbole d’un renouveau pour la communauté locale. En effet, le “renouveau” d’Oradour-sur-Glane aurait pu être employé mais il n’aurait peut-être pas eu un impact aussi fort dans sa signification même. La renaissance renvoie à la naissance, au commencement de la vie, à la découverte du monde, au début mais aussi, avec le préfixe “re” à une nouvelle naissance, une naissance après la naissance, comme un phœnix qui renaît de ses cendres, les habitant·e·s et le village vivent à nouveau. Après une première mort, à la fois physique et symbolique, le village peut naître une nouvelle fois. Selon moi, cela fait aussi référence aux enfants né·e·s après le massacre, une génération qui n’a pas directement vécu les événements du 10 juin mais qui en est imprégnée au quotidien. Cette nouvelle génération qui naît permet au village de renaître. Ainsi, ce terme, devenu commun pour l’historiographie dans la qualification de ces deux décennies, est empreint du rôle des femmes dans ce processus, alors que l’histoire et la mémoire ne retiennent pas leur implication.

32La renaissance du village fait donc directement référence aux enfants. Le symbole du développement du nouveau bourg est sans aucun doute l’ouverture de la nouvelle école et les enfants qui jouent dans les rues. Par définition, les enfants sont le résultat même d’une naissance et donc d’une renaissance. La plupart des enfants de la commune, à l’école le 10 juin 1944, ont disparu. Parmi les 643 victimes, ce sont 209 enfants de moins de 14 ans qui périssent dans l’église, dont 98 filles ; ces enfants représentent 32,5 % des victimes. Les conséquences directes de la période d’après-guerre sont l’absence d’enfants dans le village. Lors de l’inauguration de l’école à la rentrée 1945, le peu d’enfants présent·e·s sont soit absent·e·s d’Oradour le 10 juin, soit habitant·e·s des hameaux et n’allant pas à l’école. Cette génération est fortement marquée par les événements du 10 juin et vit avec ce lourd passé local et familial : le deuil des parents, la perte de frères et sœurs, de parents, de famille proche, la présence des ruines, etc. Cette nouvelle génération est définie par l’Association comme une génération de deuil, génération d’enfants qui « n’ont souffert que de la peine et de la douleur de leurs parents, de la tristesse de leurs familles pendant leur enfance47 », selon l’historienne Sarah Farmer.

33Le village se développe avec la proximité du bourg détruit. Les ruines sont un marqueur temporel physique de la mémoire et sont, pour beaucoup d’enfants, un frein au quotidien. Par ailleurs, le deuil strict imposé par l’Association est largement favorisé par la proximité des bâtiments détruits. Avant la construction du nouveau pont sur la Glane en 1947, les enfants habitant les hameaux rejoignent l’école du village provisoire en traversant les ruines et il faut imaginer que cet espace que beaucoup n’ont pas connu vivant, peut faire peur. Cette omniprésence au quotidien est difficile à vivre. Nicolle Deglane est âgée de 4 ans au moment du massacre au cours duquel elle perd son grand frère Claude, 6 ans, deux de ses oncles et une tante. Fille de cultivateur·rice·s, elle garde régulièrement les vaches de ses parents dans un champ à proximité des ruines. Accompagnée d’un chien, elle raconte qu’elle repère toujours une cachette et apprend à ce dernier à se cacher avec elle et à ne pas aboyer, de peur que les soldats reviennent48. Pourtant, la jeune fille n’a pas vécu les événements du 10 juin directement, elle se trouvait avec ses parents à son domicile dans le hameau des Bordes, mais elle reste marquée par la période qui suit et craint le retour des soldats. Pour les Radounaud·e·s qui ont grandi dans le village, il est difficile de d’imaginer le paysage sans la présence des ruines, elles font partie de l’environnement et de la culture locale. Néanmoins, dans les premières années qui suivent le massacre, leur présence imposante peut être dérangeante, notamment pour les enfants. Pour certain·e·s d’entre eux·elles, ces ruines posent problème même si ces enfants les ont toujours connues, ils·elles doivent s’éloigner ou les cacher pour pouvoir grandir et vivre.

Un passé familial à accepter : une éducation genrée

34Pour Jean-Jacques Fouché, une des particularités d’Oradour-sur-Glane est que « la communauté demande que ceux qui naissent en son sein soient conscients de leurs devoirs à l’égard des morts49 ». Lorsque les enfants naissent à Oradour, ils·elles héritent d’un passé familial très souvent lié au passé local particulier : la mémoire des martyr·e·s leur est rapidement imposée. Le lien avec l’ancien bourg et les victimes est omniprésent, ce lien n’est pas forcément assimilé à des éléments tristes mais il est présent. Certaines filles portent le deuil dès 1944 et il est difficile à vivre. La société des années 1950-1960 impose un certain contrôle et une éducation genrée : les filles sont plus surveillées que les garçons, notamment lorsqu’elles atteignent l’adolescence. Dans un contexte rural comme à Oradour, ce contrôle est d’autant plus effectif. Amélie Lebraud, née Hyvernaud explique avoir souffert de ce deuil. Elle a 15 ans en 1944 et porte le deuil, en compagnie de sa mère, de deux de ses frères disparus le 10 juin. Au cours des deux années qui suivent le massacre, sa sœur et elle ne doivent porter que des vêtements noirs, ne peuvent pas porter de bijoux ou de rouge à lèvres et ne peuvent pas se rendre à des fêtes aux mois de juin et de novembre :

Comment vous dire ? Moi, le deuil a été quelque-chose qui m’a terriblement marquée. Affreusement marquée, je dirais. Ce n’est pas que je veux oublier ce qui s’est passé mais défiler tous les dimanches en noir dans le vieux bourg devenait presque un supplice. Parce que, bon, on y rencontrait toujours des gens qui avaient souffert, on parlait des morts et on ne parlait jamais de la vie. […] En plus de l’habillement, on ne riait plus, on ne chantait plus à la maison. […] c’est réellement triste, ça déteint malgré tout sur vous, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas […]. Vous avez moins envie de vous amuser, vous avez moins envie de rire. […] Il a fallu pour comprendre mieux la vie que mes enfants grandissent, qu’ils aient envie de sortir, de s’amuser.50

35Le deuil marque ces enfants qui grandissent entourées de tristesse. Amélie Hyvernaud est adolescente au moment du massacre et ce n’est qu’après son mariage qu’elle est autorisée à porter des vêtements de couleur.

La transmission des prénoms

36Un autre symbole de ce deuil est la transmission, dans certaines familles, des prénoms des personnes disparues le 10 juin : Anne-Marie Rigon, née Rénaud, née après la guerre porte un prénom similaire à celui de sa grande sœur Any décédée au cours du massacre ; Francine Brissaud porte le prénom de sa tante, victime du massacre et Marcel, son frère, porte le prénom de leur grand-père disparu ; Michel Deglane, premier enfant de Marie Deglane, née Ramnoux, né après le massacre, porte Claude comme deuxième prénom, prénom du premier fils de Marie qui a péri dans l’église. Les exemples sont multiples et touchent à la fois les filles et les garçons, le besoin de conserver la mémoire de leurs martyr·e·s pousse certain·e·s habitant·e·s à la faire perdurer à travers le prénom de leurs enfants. Cela ne signifie pas que les parents imposent à ces enfants le souvenir d’une personne qu’ils n’ont pas connue mais plutôt le devoir envers les martyr·e·s. Pour la plupart de ces enfants, ce devoir mémoriel, cet hommage permanent aux victimes n’est pas toujours perçu comme imposé.

Les promenades dans les ruines

37La proximité des ruines avec le nouveau bourg permet aux familles nouvellement installées de continuer à marcher dans les rues de l’ancien Oradour. Pour une partie d’entre elles, se rendre dans les ruines est associé à une promenade, un retour à la vie d’avant, celle des parents, et le souvenir d’une existence passée. Même si ce n’est pas une marche funèbre où le silence est imposé, il s’agit tout de même d’une forme d’hommage que les habitant·e·s de l’ancien bourg rendent à leur vie révolue. Annette Rigon explique qu’elle et son frère Jean-Pierre se rendent très régulièrement dans les ruines en compagnie de leur mère Jeannine, survivante du massacre. Jean-Pierre joue, saute et court mais Annette suit sa mère et écoute les histoires qu’elle raconte sur leur Oradour, seule ou en compagnie d’ami∙e∙s51. Ces moments ne sont pas tristes et permettent, inconsciemment, à la petite fille d’appréhender ce qu’était la vie de sa mère. Je connais bien Annette, et j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec elle à ce sujet. Comme beaucoup, elle m’a décrit l’aspect contemplatif à l’intérieur des ruines, la promenade familière, presque réconfortante, lorsque sa mère revenait « chez nous » mais n’a jamais évoqué l’impression d’un deuil imposé, d’un fardeau mémoriel : la vie de la petite fille est à la fois dans le nouveau bourg, dans sa maison avec ses ami∙e∙s mais aussi dans les ruines, avec son histoire familiale. Et c’est en cela que toute la complexité mémorielle repose sur la génération des enfants qui grandissent après le massacre. Certain∙e∙s acceptent cette histoire familiale particulière et en ont besoin pour aller de l’avant, et d’autres la rejettent pour pouvoir se construire comme individu en dehors du carcan familial et local. L’enfance et l’adolescence de ces petites filles restent encadrées par leurs familles et par la question du poids de la mémoire à Oradour. Le poids du deuil est difficile à porter pour les plus jeunes et beaucoup, comme André Désourteaux, ont perçu le nouveau bourg comme « un bourg fait sans nous52 ». La réalité locale associée à la place, presque inexistante, des enfants et des adolescent∙e∙s53 dans la société française, rend difficile la jeunesse de ces jeunes filles, plus encadrées que les jeunes garçons par une société qui reporte à la fois les traumatismes locaux passés et les règles sociétales genrées sur ces filles.

Conclusion

38Pour conclure, l’histoire de ces femmes et d’Oradour-sur-Glane révèle de nombreux manquements et oublis. Bien que mises de côté par la mémoire et l’histoire locales et nationales, les femmes jouent un rôle essentiel dans une période particulière pour le village. Marquées par la Seconde Guerre mondiale, elles sont les premières victimes du conflit et doivent rebattre les cartes du genre pour subvenir aux besoins de la communauté en remplaçant les hommes mobilisés. Par la suite, l’engagement d’une partie d’entre elles, en faveur de la collaboration ou de la Résistance, leur est attribué par des tiers ; la mémoire ne retient que le nom des femmes associées, de près ou de loin à des activités collaborationnistes et oublie volontairement celles qui ont fait preuve de désobéissance civile : il est plus aisé de juger de mauvaises actions potentiellement commises par celles qui ont transgressé la frontière de leur genre. Le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944, se révèle comme un massacre genré dans son organisation et sa complexité. Les années qui suivent le conflit sont marquées par une invisibilisation totale des femmes et une mise en retrait volontaire de leurs vécus pour laisser la place à des récits masculins. Paradoxalement, ces femmes reviennent sur le devant de la scène quand il s’agit du deuil, un deuil féminin instrumentalisé et encadré par les hommes. La génération de petites filles encore enfants pendant la guerre ou nées juste après le conflit est fortement imprégnée par ce passé local et familial. Leur histoire personnelle, de leur éducation à leurs activités en passant par leur prénom, est indissociable des événements du 10 juin et de la souffrance de leurs parents et de la communauté radounaude.

39Les femmes étudiées ici jouent donc un rôle essentiel dans l’histoire et la mémoire d’Oradour-sur-Glane. Présentées comme spectatrices, elles sont en réalité des actrices de l’histoire du village. Comme dans de nombreux événements similaires, les récits masculins prennent le dessus et évincent cette réalité. En mettant ces femmes de côté, les autorités produisent une version de l’histoire lissée et homogène qui se révèle incomplète voire fausse, puisqu’elle ne prend pas en considération tous les aspects des événements de l’histoire radounaude entre 1936 et la fin des années 1960.

40À la question rhétorique posée par l’historienne Michelle Perrot en 1973, « Les femmes ont-elles une histoire ? », je répondrais : oui, les femmes d’Oradour-sur-Glane ont une histoire et seule l’étude et l’analyse complètes de cette dernière permettent de comprendre tous les enjeux de l’histoire locale, avant, pendant et après le massacre de sa population le 10 juin 1944.

Bibliographie

Ouvrages spécifiques

41Michel Bélivier et Benoît Sadry, Oradour-sur-Glane : regards et histoire, Oradour-sur-Glane, Les Enfants d’Oradour, 2007.

42Luc Capdevila, François Rouquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman, Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), Paris, Payot, 2003.

43Luc Capdevila, François Rouquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman, Sexes, genre et guerres (France 1914-1945), Paris, Payot, 2010.

44Dominique Danthieux, « Oradour-sur-Glane : du pèlerinage au tourisme de mémoire (1944- 2012), dans Luc Chantre, Paul D’Hollander, Jérôme Grévy (dir.), Politiques du pèlerinage. Du XVIIe siècle à nos jours, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 145-153.

45Dominique Danthieux et Philippe Grandcoing, Oradour après Oradour : conserver, reconstruire, commémorer, Limoges, Culture et Patrimoine Limousin, 2015.

46Geneviève Dermenjian, Irène Jami, Annie Rouquier et Françoise Thébaud (coord.), La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, Paris, Belin, 2010.

47Geneviève Dermenjian et Françoise Thébaud (dir.), Quand les femmes témoignent. Histoire orale, histoire des femmes, mémoire des femmes, Paris, Publisud, 2009.

48Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, Paris, Perrin, 2007 (2e éd.).

49David Ferrer Revull, « Recuerda » Españoles en la masacre de Oradour-sur-Glane, Barcelone, publication à compte d’auteur, 2020.

50Jean-Jacques Fouché, Oradour, Paris, Liana Lévi, 2001.

51Guillaume Javerliat, Bordeaux 1953, le deuxième drame d’Oradour. Entre histoire, mémoire et politique, Limoges, Presses Universitaire de Limoges, 2010.

52Claude Quétel, Femmes dans la guerre 1939-1945, Paris, Larousse, 2004.

53Albert Valade, La page de catéchisme. Oradour-sur-Glane : les villages sans enfants, Neuvic-Entier, La Veytizou, 1999.

54Albert Valade, Oradour, la renaissance, Neuvic-Entier, La Veytizou, 2010.

55Dominique Veillon, « Les femmes dans la guerre : anonymes et résistantes », dans Evelyne Morin-Rotureau (dir.), 1939-1945 : combats de femmes, Paris, Autrement, 2001, p. 64-81.

Mémoires

56Ludivine Brunet, Les femmes et Oradour-sur-Glane (1945-1960s), mémoire de master 2 en histoire, sous la direction de Clotilde Druelle-Korn, Limoges, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2022.

57Ludivine Brunet, Les femmes et Oradour-sur-Glane : destins et parcours de vie (1936-1945), mémoire de master 1 en histoire, sous la direction de Clotilde Druelle-Korn, Limoges, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2021.

Notes

1 Claude Quétel, Femmes dans la guerre 1939-1945, Paris, Larousse, 2004, p. 5.

2 Regina Mühlhäuser, « La violence sexuelle des soldats allemands pendant la guerre d’anéantissement en Union soviétique (1941-1945) », dans Raphaëlle Branche et Fabrice Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot et Rivages, 2013, p. 56.

3 Âge de la majorité en France jusqu’en 1974.

4 Ludivine Brunet, Les femmes et Oradour-sur-Glane : destins et parcours de vie (1936-1945), mémoire de master 1 en histoire, sous la direction de Clotilde Druelle-Korn, Limoges, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2021 et Les femmes et Oradour-sur-Glane (1945-1960s), mémoire de master 2 en histoire, sous la direction de Clotilde Druelle-Korn, Limoges, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2022.

5 Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, Paris, Perrin, 2007 (2e éd.), p. 52.

6 Une partie des membres et des officiers de la division ont servi sur le front de l’Est.

7 Journal de marche de la 2e SS-PZ-DIV (Service historique de l’armée de terre, microfilm n° 177), cité dans Jean-Jacques Fouché, Oradour, Paris, Liana Lévi, 2001, p. 70.

8 Ibid., p. 99.

9 « Comme je me trouvais en situation irrégulière, étant prisonnier évadé, ma tante à la vue des voitures allemandes qui ralentissaient leur marche me conseilla d’aller rejoindre une cachette préparée à mon intention et accessible que par une trappe soigneusement dissimulée dans un coin de la cuisine. C’est du reste ce que je me suis empressé de faire. », déposition de Martial dit Joseph Beaubreuil du 2 décembre 1944, AD Haute-Vienne, 1517 W 424.

10 Geneviève Dermenjian, Irène Jami, Annie Rouquier et Françoise Thébaud (coord.), La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, Paris, Belin, 2010, p. 326.

11 Jean-Jacques Fouché, Oradour, op. cit., p. 99.

12 Dominique Veillon, « Les femmes dans la guerre : anonymes et résistantes », dans Evelyne Morin-Rotureau (dir.), 1939-1945 : combats de femmes, Paris, Autrement, 2001, p. 64-81.

13 Déposition de Jean Hébras du 16 novembre 1944, AD Haute-Vienne, 1514 W 424.

14 Déposition de Jeanne Duqueroix du 7 novembre 1944, AD Haute-Vienne, 1517 W 424.

15 Entretiens avec Nicolle Poulet, juin 2019.

16 Cet événement est également cité par David Ferrer Revull, « Recuerda » Españoles en la masacre de Oradour-sur-Glane, Barcelone, publication à compte d’auteur, 2020, p. 87-88.

17 Ibid., p. 85.

18 Ibid., p. 89.

19 Aucune preuve n’existe au sujet de cette appartenance. J’ai abordé le sujet avec sa nièce, Annette Rigon, lors d’un entretien le 18 septembre 2020, elle n’a pas d’informations sur ce point. Cependant elle n’exclut pas cette appartenance à la Résistance, précisant que plusieurs personnes lui ont déjà parlé des activités de sa tante. Benoît Sadry, lors d’un entretien le 16 janvier 2021, me précise qu’il ne croit pas à une forte implication dans la Résistance d’Andrée Brandy, plutôt des services rendus pour le compte de la Résistance, ici encore se pose la question de la définition de la notion.

20 Sténographie du témoignage de Martial Machefer au procès de Bordeaux le 29 janvier 1953, CMO 5 FP 7 et il est qualifié de « communiste notoire » dans une lettre du 20 novembre 1941, du commissaire principal de Limoges à Monsieur le préfet de la Haute-Vienne, qui va donner lieu à une enquête des renseignements généraux, AD Haute-Vienne, 1991 W 37.

21 Dominique Veillon, « Les femmes dans la guerre : anonymes et résistantes », La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, op. cit., p. 69.

22 « Dernière concession des autorités occupantes à la différence des sexes, les femmes ne furent pas exécutées sur le sol français. », Geneviève Dermenjian, Irène Jami, Annie Rouquier et Françoise Thébaud (coord.), La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, op. cit., p. 327- 328.

23 « Je suis descendue à la cuisine chez ma mère pour lui dire que j’avais l’intention d’aller avertir mon mari et lui conseiller de se cacher, car il s’attendait d’un jour à l’autre d’être appelé pour le “S.T.O.” en Allemagne », déposition de Jeannine Brandy, épouse Rénaud du 3 novembre 1944, AD Haute-Vienne 1517 W 424.

24 « C’est donc deux cents Waffen SS environ qui font leur apparition à Oradour. Ce chiffre nous paraît plus proche de la réalité que celui de 120, annoncé par le commissaire du gouvernement dans son réquisitoire devant le tribunal militaire de Bordeaux en 1953 », Jean-Jacques Fouché, Oradour, op. cit., p. 85.

25 Albert Valade, La page de catéchisme. Oradour-sur-Glane : les villages sans enfants, Neuvic-Entier, La Veytizou, 1999, p. 137.

26 Jean-Jacques Fouché, Oradour, op. cit., p. 207.

27 Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, op. cit., p. 149.

28 Ibid.

29 Ibid.

30 Jean-Jacques Fouché, Oradour, op. cit., p. 207-208.

31 Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, op. cit., p. 150.

32 Entretien avec Nicolle Poulet, née Deglane, juin 2021.

33 « Marie Deglane s’est éteinte le 21 septembre 2004. Le massacre de 1944 lui aura arraché son fils Claude, petit garçon de 6 ans, son frère Jean, sa belle-sœur Albertine et son beau-frère Pierre. Cœur brisé, vêtue de noir, elle sera, pour nous, le témoin et l’exemple de la souffrance de toutes ces mères endeuillées et inconsolées depuis ce jour tragique. », Michel Bélivier et Benoît Sadry, Oradour-sur-Glane : regards et histoire, Oradour-sur-Glane, Les Enfants d’Oradour, 2007, p. 101.

34 Entretien avec Nicolle Poulet née Deglane, octobre 2021.

35 Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, op. cit., p. 212-213.

36 Albert Valade, Oradour, la renaissance, Neuvic-Entier, La Veytizou, 2010, p. 38.

37 La coutume impose aux hommes de ne porter le deuil que le jour des obsèques tout au moins chez les catholiques. De fait, le vêtement noir évoque la tristesse et l’abandonner pour les femmes serait comme le signe de la fin de la tristesse, comme si par définition ce sentiment ne pouvait être seulement intériorisé.

38 Copie d’une lettre adressée à M. Brouillaud, président de l’Association Nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane le 4 mars 1952, CMO, 20 FP 11.

39 « Nous avons un gérant à Oradour, dans notre établissement et le 2 mars, quelques jeunes gens et jeunes filles ont décidé, après un repas, de lancer chacun quelques invitations et de danser. Il s’agissait d’un bal privé. J’ai autorisé sous certaines conditions formelles, à titre privé, l’autorisation de faire danser après un repas de famille ou un banquet, mais j’ai interdit des bals publics qui peuvent revêtir un caractère choquant. Je vous dis bien vite que lorsque cette clause a été mise sur le bail, je ne pensais jamais qu’il y aurait un bal sitôt. Je pensais aux repas de mariage et j’y voyais là une simple expression de la liberté individuelle, chacun étant libre de se comporter en famille, huit ans après, comme il croyait devoir le faire », lettre de Marguerite Laurence au docteur Masfrand le 30 avril 1952, CMO, 20 FP 11.

40 Lettre de Marguerite Laurence au docteur Masfrand le 30 avril 1952, CMO, 20 FP 11.

41 Lettre de Marguerite Laurence du 14 avril 1952, CMO, 20 FP 11.

42 Albert Valade, Oradour, la renaissance, op. cit., p.53.

43 Ibid., p. 53.

44 Jean-Jacques Fouché, Oradour, op. cit., p. 212.

45 Albert Valade, Oradour, la renaissance, op. cit.

46 Ibid., p.69.

47 Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, op. cit., p. 212.

48 Entretiens avec Nicolle Poulet, née Deglane, octobre 2021.

49 Jean-Jacques Fouché, Oradour, op. cit., p. 253.

50 Témoignage d’Amélie Lebraud, née Hyvernaud interrogée par Marc Wilmart à Oradour-sur-Glane, 14 mars 1988, cité par Sarah Fermer, Oradour, 10 juin 1944, op. cit., p. 211.

51 Entretien avec Annette Rigon née Rénaud à Oradour-sur-Glane, 18 septembre 2020.

52 Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, op. cit., p. 215.

53 La société et les pouvoirs publics ne s’intéressent à l’étape de l’adolescence qu’après les événements de mai 1968, lorsque ces adolescent∙e∙s demandent à être davantage considéré∙e∙s.

Pour citer ce document

Par Ludivine Brunet, «Les femmes et Oradour-sur-Glane, 1936-fin des années 1960 : prosopographie d’un genre oublié», Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie [En ligne], Numéros parus, 2022-6, Lauréats, mis à jour le : 13/03/2025, URL : https://tierce.edel.univ-poitiers.fr:443/tierce/index.php?id=826.

Quelques mots à propos de :  Ludivine Brunet

Ludivine Brunet est diplômée d’un Master de recherche en histoire contemporaine à l’université de Limoges. Ses deux mémoires de recherche, sous la direction de Clotilde Druelle-Korn (Criham), ont porté sur l’étude du genre et de la Seconde Guerre mondiale.

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