De l’atelier privé à la postérité : histoire et étude du manuscrit autographe des Paladins de Jean-Philippe Rameau (1760)

Par Thomas Soury
Publication en ligne le 20 mars 2023

Résumé

Le manuscrit autographe des Paladins, comédie-ballet créée le 12 février 1760 à l’Académie royale de musique, est à ce jour le plus important document conservé de la main de Jean-Philippe Rameau.
Ce document permet de rappeler le statut particulier des sources musicales autographes du XVIIIe siècle en France et en particulier celles de Rameau. Il met également en lumière le processus de fabrication d’un spectacle d’opéra dans la France du XVIIIe siècle et nous dévoile certains processus compositionnels de Rameau.

Mots-Clés

Texte intégral

1Créés le 12 février 1760 à l’Académie royale de musique, Les Paladins de Jean-Philippe Rameau rencontrent un accueil très réservé de la part du public parisien1. Cette comédie-ballet en trois actes sur un livret anonyme attribué à Pierre-Jacques Duplat de Monticourt est ainsi déprogrammée au bout d’une quinzaine de représentations et constitue un des plus cuisants échecs de la carrière de Rameau. Jamais reprise du vivant du compositeur qui décède quatre ans plus tard, ni même de façon posthume, l’œuvre dort dans les archives de l’Opéra de Paris et ne sera rejouée qu’au XXe siècle. Aussi, son insuccès, qui plus est en fin de carrière du compositeur, est-il responsable de la préservation d’un ensemble de sources musicales de premier ordre2 : une partition générale3 et un matériel quasi complet composé de cent quatorze fascicules4 ayant servi aux représentations. Se trouve également, aux côtés de cet ensemble déjà remarquable, un manuscrit autographe, dont la rareté suffit à justifier l’importance du document. Source complexe, la partition autographe contient un état antérieur de l’œuvre, différent de celui qui fut créé sur la scène de l’Opéra de Paris et difficilement perceptible par l’amoncellement de nombreuses corrections et repentirs (fig. 1).

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Fig. 1. Première page du manuscrit autographe des Paladins (F Pn Rés Vm2. 120, p. [1]). Voir l’image au format original

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

2Alors que les sources musicales autographes concernant le répertoire d’opéra français d’Ancien Régime sont quasiment toujours perdues, la préservation d’un tel document permet d’éclairer la conception d’un opéra, de sa composition à son exécution. Pour ce faire, nous prendrons le chemin à rebours en rappelant dans une première partie le statut particulier des autographes musicaux du XVIIIe siècle en France et en particulier ceux de Rameau. À une époque où la partition autographe est un document privé et n’a pas vocation à être conservée, la préservation de cette source trahit une évolution dans les rapports que le public entretenait avec le répertoire musical.

3La matérialité de la source sera ensuite l’occasion d’observer le contexte de création des Paladins à une époque où le genre lyrique français est en difficulté et de mettre en lumière le processus de fabrication d’un spectacle d’opéra dans la France du XVIIIe siècle. En dehors de l’aspect purement compositionnel, le manuscrit nous renseigne sur les liens de Rameau avec l’institution qui créa l’œuvre et sur la mise en place du chantier des répétitions.

4Pour finir, nous nous intéresserons aux procédés de composition de Rameau. Véritable laboratoire d’écriture musicale, le manuscrit nous permet d’approcher au plus près de l’intimité du compositeur. En nous focalisant plus particulièrement sur l’exemple de l’ouverture, page extrêmement travaillée, nous verrons comment Rameau, adepte du remaniement, fut un créateur en perpétuelle recherche. Ce sera l’occasion d’observer le cheminement d’une pensée musicale dont les traces sont extrêmement rares pour les répertoires d’Ancien Régime.

Un précieux document sans valeur

5Si aujourd’hui, les manuscrits autographes constituent des objets précieux, permettant d’approcher au plus près d’un auteur ou d’une œuvre, on sait qu’il n’en fut pas toujours de même et que le statut de ces sources a évolué5. Le commerce des autographes qui se développe à partir du XIXe siècle montre que l’attrait pour ce type de document reste relativement récent. Auparavant, l’âge Classique accorde peu d’importance au manuscrit autographe. Alain Viala parle « d’indistinction du manuscrit » pour évoquer une période qui se focalisa plutôt sur la diffusion des textes que sur leur création6, le manuscrit n’étant perçu généralement que comme la matrice permettant l’impression. Ainsi, les corpus autographes pour la littérature d’Ancien Régime sont assez maigres comme le constate François Moureau : « selon les habitudes de la librairie d’Ancien Régime, on détruisait les manuscrits après leur impression. Ce n’était pas seulement une prudence d’écrivain menacé par la censure, car cette pratique existait pour toutes les formes de littérature. Cela explique pourquoi on ne possède pas une ligne de nos grands dramaturges classiques, à l’exception d’un projet sans suite de Racine7 ».

6À mesure que les notions d’œuvre, de créateur et de propriété intellectuelle ont évolué, l’intérêt pour l’autographe s’accentua. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le champ de la littérature était en train de se construire, évacuant de son cercle toute une production d’écrits jugés trop commerciaux, et valorisant l’art pour l’art, le labeur de l’invention et la reconnaissance des auteurs par le milieu littéraire. Dès lors, le manuscrit autographe devenait un objet important, une relique sacrée, témoin matériel de l’acte créatif. Alors que l’imprimé matérialisait l’œuvre, propriété de l’éditeur, le manuscrit autographe constituait un contact sans intermédiaire avec l’auteur, dont la figure devenait plus prestigieuse au tournant du siècle. Avant d’intéresser les historiens spécialistes de génétique des textes et de codicologie, l’autographe a donc d’abord passionné les collectionneurs amateurs. Il s’agissait avant tout de découvrir de l’inédit au premier sens du terme. Les premiers chercheurs d’autographe pensaient ainsi découvrir un document original qui n’avait pas été diffusé. Conscients de ce nouveau fanatisme, les auteurs des siècles suivants prendront d’ailleurs soin de préserver leurs documents de travail en prévision de leur reconnaissance dans l’histoire de la littérature.

7Contrairement au domaine des Lettres où l’œuvre se confond avec le livre – à l’exception notable du théâtre –, la partition n’est pas l’œuvre musicale, celle-ci ayant besoin de l’exécution pour exister. Néanmoins, sous l’influence de la littérature, l’engouement pour l’objet partition grandit durant l’Ancien Régime, comme l’illustre le développement de l’imprimerie et des collections musicales8. En plus du concert et de la représentation, la diffusion de la musique s’opère donc également par les supports écrits. En outre, le statut du compositeur se renforce au cours du XVIIIe siècle, à l’instar de celui d’auteur. Aussi est-il possible d’observer une même évolution de l’intérêt pour les manuscrits autographes musicaux durant les XVIIe et XVIIIe siècles : documents sans valeur, ils deviennent peu à peu des objets précieux que l’on cherche à conserver. Ceci explique donc la rareté des autographes des compositeurs d’Ancien Régime en comparaison des musiciens romantiques. Sans vouloir généraliser l’histoire des œuvres et de leurs sources dont les destins sont multiples, il est évident que le rapport des compositeurs à l’imprimerie musicale, les répertoires abordés et l’intérêt du public pour ces répertoires ont favorisé plus ou moins la survivance des manuscrits autographes musicaux de cette époque. Il convient de rappeler qu’à la différence de la littérature qui privilégie principalement le médium imprimé, les musiciens professionnels conservent encore majoritairement le manuscrit durant l’Ancien Régime pour exécuter les œuvres. L’imprimé constitue alors un produit marchand à destination des amateurs et des collectionneurs. Dans ce contexte, le manuscrit autographe conserve, tout autant que pour la littérature, une fonction purement matricielle, générant la production d’un matériel d’exécution (c’est-à-dire les parties séparées des interprètes, et, pour certains genres à grand effectif, la partition de production permettant la direction d’ensemble9) et de diffusion (copies au propre et/ou publication imprimée). Toutefois, tous les répertoires musicaux ne sont pas amenés à être diffusés auprès du public et ne bénéficient pas du prestige de l’impression ou de la copie.

8Ainsi, dans la France d’Ancien Régime, les répertoires fonctionnels, c’est-à-dire au service d’un culte ou d’un événement politico-social, émanant d’institutions religieuses ou politiques ne sont généralement pas publiés, n’ayant pas vocation à être rejoués par les amateurs, ni à mériter les honneurs de la bibliothèque. Au contraire, la musique de divertissement privé, comme la musique de chambre (pièces de clavecin, sonates pour divers instruments) ou la chanson, est de plus en plus diffusée par l’imprimé au cours du XVIIIe siècle, puisque ces répertoires figurent parmi les plus appréciés du public mélomane. Ceci éclaire en partie pourquoi il ne nous reste rien aujourd’hui de la main de François Couperin, hormis un air à boire de la maturité10, le compositeur ayant sans doute détruit ses manuscrits après publication ; tandis qu’il subsiste les manuscrits autographes de certains motets d’André Campra11 ou une grande partie du catalogue autographe de Pierre-Louis Pollio, chanoine à Saint-Vincent de Soignies12. Sans pouvoir en connaître toutes les raisons, la préservation en plus de vingt-huit volumes des manuscrits autographes de Marc-Antoine Charpentier, dénommés couramment Meslanges, est exceptionnel et peut sans doute aussi s’expliquer par le répertoire contenu, à savoir une grande part de musique latine, et la difficulté du compositeur à la publier13.

9Par conséquent, le type d’œuvre et le contexte de création expliquent généralement pourquoi certains autographes ont été préservés. À première vue, les sources d’opéra français, genre émanant d’une grande institution, l’Académie royale de musique, et ne pouvant être facilement rejoué par les amateurs, auraient pu connaître le même sort que les sources de musique religieuse. Néanmoins, dès Lully, l’opéra, genre musical le plus respecté en France, connut les honneurs de l’impression, ce qui n’était pas le cas dans le reste de l’Europe épris d’opéra italien. À partir de la création de Bellerophon en 1679, le surintendant de la musique de Louis XIV comprit l’intérêt de faire publier sa musique lyrique afin de la diffuser dans les maisons les plus respectables et d’en faire un objet patrimonial et de collection14. Lully préparait ainsi la partition imprimée en amont de la création du spectacle afin qu’elle soit disponible à la vente au sortir de la représentation. Après la mort de Lully, l’habitude était prise et les successeurs du compositeur continuèrent à imprimer systématiquement leurs opéras au moment de la création à l’Académie royale de musique, sans présager du succès de l’œuvre. Ainsi, une fois l’opéra imprimé, les compositeurs n’avaient plus besoin de conserver leurs manuscrits de travail, d’autant plus lorsque le procédé de la gravure en taille douce se généralisa pour l’impression musicale, permettant aux compositeurs de conserver les planches à domicile.

10Cette tradition éditoriale d’opéras en France explique que nous ne connaissions pas la main de Lully ou que Charpentier ne copia vraisemblablement pas Médée dans ses Meslanges, alors que nous possédons aujourd’hui plusieurs autographes d’opéras italiens de Haendel, Hasse ou Jommelli15. Les quelques autographes d’opéra français restants sont donc des sources miraculées. Elles se présentent soit sous la forme de partitions de production établies directement par le compositeur16 – dans ce cas, le manuscrit, bien qu’il soit autographe, s’apparente plutôt à une copie mise au net qui ne révèle pas le processus compositionnel –, soit sous la forme de fragments contenus dans les partitions de production et correspondant à des corrections effectuées durant les représentations17. Dans ces circonstances, les sources ramistes constituent, pour le répertoire lyrique de la première moitié du XVIIIe siècle, un cas singulier. En effet, outre les très nombreux fragments autographes, de dimensions variées, allant de la collette18 à plusieurs pages complètes, contenus dans les partitions de production19, il nous reste six sources autographes de travail : Daphnis et Eglé (F Po Rés. 208), La Naissance d’Osiris (F Po Rés. 206), Nélée et Mirthis (F Pn Ms. 372), Les Paladins (F Pn Rés. Vm2. 120), Le Retour d’Astrée (prologue des Surprises de l’amour dans sa version de 1748) (F Po Rés. 207) et Zéphire (F Pn Ms. 372)20, permettant d’observer Rameau à l’ouvrage. Ce corpus exceptionnel doit bien entendu sa survivance à la renommée du compositeur, qui jouit après sa mort en 1764 d’une aura importante, notamment auprès d’un collectionneur amateur, Jacques-Joseph-Marie Decroix, avocat à Lille, passionné par la musique de Rameau21 :

Les bons ouvrages gagnent toujours à être revus. Tous les opéras de Rameau en sont la preuve. On a remarqué qu’ils ont eu beaucoup plus de succès, et que le mérite en a été mieux senti aux reprises qu’aux premières représentations. Nous pensons qu’il en serait ainsi des Paladins. Ce ballet n’est point gravé non plus que Naïs, et un grand nombre d’autres ouvrages de l’auteur. Ils peuvent se perdre d’un moment à l’autre et nous gémissons de les voir exposés à ce malheur. Il serait digne d’un souverain qui protège les Arts de faire exécuter une édition générale des Œuvres d’un homme qui a tant d’honneur à la France. L’Europe entière souscrirait à ce beau projet22.

11Si Louis XVI n’entendit pas l’appel de Decroix, ce dernier, qui s’occupait aussi de la publication des œuvres de Voltaire à travers l’édition de Kehl, entreprit de rassembler les œuvres de Rameau. En plus de récupérer des copies et des matériels d’orchestre de provenances diverses, il prit contact avec le fils de Rameau, Claude-François, afin de pouvoir étudier certains manuscrits du père23. C’est par cet intermédiaire qu’il put obtenir la plupart des manuscrits autographes que nous connaissons aujourd’hui. Après avoir établi une copie de sauvegarde avec son collaborateur, Jean-Baptiste de Serre, Decroix était chargé de rendre ensuite les documents ; ce qu’il fit vraisemblablement avec les manuscrits de Daphnis et Eglé, La Naissance d’Osiris, Nélée et Mirthis, Le Retour d’Astrée, Zéphire et Io24. En revanche, sans que l’on en connaisse les raisons, il conserva les autographes de La Dauphine, d’In convertendo et des Paladins, ces trois documents faisant aujourd’hui partie, aux côtés de nombreuses sources de premier ordre, du fonds Decroix du département de la Musique de la BnF. Ainsi, les manuscrits de Rameau ont été parmi les premiers de cette époque à susciter l’intérêt des collectionneurs en France. Concernant celui des Paladins, Decroix s’en était servi, au moment de la copie au propre de l’œuvre, afin de consigner les nombreuses esquisses et versions alternatives qu’il contient dans un volume d’annexes, à la manière d’un éditeur scientifique25 (fig. 2). Outre la valeur patrimoniale, Decroix avait ainsi déjà compris la valeur génétique d’un tel document.

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Fig. 2. Exemples de mise au net d’une esquisse du manuscrit autographe dans un volume d’annexes par Decroix.
À gauche : Esquisse de l’ariette de Nérine, « Pour voltiger dans le bocage » copiée par Decroix à partir de l’autographe (F Pn Vm2. 401, fo 13ro). Voir l’image au format original
À droite : Esquisse autographe de l’ariette de Nérine, « Pour voltiger dans le bocage » (F Pn Rés Vm2. 120, p. 31[73]). Voir l’image au format original

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

Genèse d’un opéra

12Il est bien évident que Rameau n’a jamais parlé de la création de ses opéras. Les quelques indices permettant aux musicologues de reconstituer la genèse de ses œuvres se trouvent dans les témoignages de son entourage ou la presse. Généralement, nous supposons que les opéras ont été composés, au plus tôt, environ deux ans avant leur création26. Pour Les Paladins, une correspondance littéraire datée d’août 1756 rapporte que « M. Rameau a fait la musique d’un opéra bouffon, mais on ignore s’il le fera jouer par l’Académie royale de musique dont il n’a pas lieu d’être content27 », ce qui ferait remonter la composition de l’œuvre à plus de quatre ans avant sa création. Au vu du catalogue des œuvres de Rameau, il y a peu de doute sur le fait que cet « opéra bouffon » soit Les Paladins. En effet, la comédie-ballet se démarque de l’esthétique habituelle de Rameau et ose ouvertement le caractère comique tout en revendiquant clairement une influence de l’opera buffa. Ce genre italien avait notamment fortement marqué le public de l’Académie royale de musique au moment de la Querelle des Bouffons28 de 1752 à 1754. Aussi, tout porte à croire que Rameau chercha à travers cette œuvre à proposer une réponse musicale à la querelle29. Or, l’étude du manuscrit permet d’aller plus loin dans la génétique. Se présentant sous la forme de quatre cahiers de taille variable30, à la pagination indépendante31 et reliés ensemble au moment du dépôt du document dans les collections de la BnF, l’autographe contient de nombreuses esquisses et des corrections sur collettes. Or, l’analyse des papiers ayant servi à la fabrication de ces collettes permet de mieux dater la genèse de l’œuvre32. En effet, comme à son habitude, Rameau détruisait ses manuscrits, une fois les opéras joués (et imprimés) et récupérait les versos du papier à musique vierge pour y écrire ses corrections. Il est ainsi possible de distinguer au dos des collettes des extraits de plusieurs ouvrages anciens : Les Surprises de l’amour, dans sa version de 1748 pour le théâtre des Petits Appartements de la Pompadour et dans celle de 1757 pour l’Opéra ; Acante et Céphise (1751) (fig. 3) ; Lisis et Délie (1753). La présence de ces œuvres dans le manuscrit permet ainsi de confirmer une genèse des Paladins au début des années 1750, au moment de la célèbre querelle.

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Fig. 3. Collette provenant du manuscrit autographe d’Acante et Céphise (F Pn Rés Vm2. 120, p. 24[34]). Voir l’image au format original

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

13Restés dans les papiers de Rameau après sa mort, la plupart des manuscrits autographes d’opéra prêtés à Decroix concernent des projets non aboutis du vivant du compositeur. Aussi est-il curieux que le manuscrit des Paladins, œuvre représentée à l’Académie royale de musique en 1760, ait été conservé par Rameau. Certes, cet opéra figure parmi les derniers du compositeur33 et il est possible d’imaginer que Rameau n’eut pas l’occasion de détruire son manuscrit. Toutefois, c’est plutôt l’absence d’édition, à l’instar de La Naissance d’Osiris, du Retour d’Astrée ou de Daphnis et Elgé, qui pourrait expliquer la conservation du manuscrit par Rameau. Or, comme nous l’expliquions plus avant, il était pourtant d’usage d’imprimer les œuvres dès lors qu’elles étaient programmées à l’Académie royale de musique. La sauvegarde de ce document, corrélée à l’absence d’édition imprimée, permet alors de supposer que la comédie-ballet n’était pas prévue pour l’Opéra de Paris mais plutôt pour la cour34. En effet, la pratique éditoriale d’opéra ne s’appliquait pas à Versailles, qui restait un cadre privé d’exécution, éloigné de toute dimension marchande. Il fallait donc attendre la création parisienne pour publier des ouvrages donnés en exclusivité à la cour. Ainsi, Platée, créé en 1745 à Versailles ne fut imprimé qu’en 1749, année de la première parisienne ; Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, créées à Versailles en 1747 ne furent éditées que l’année suivante pour les représentations de l’Opéra. Deux œuvres de Rameau à la publication irrégulière éclairent le cas des Paladins avec intérêt : Le Temple de la Gloire, exécuté en 1745 à la cour, ne fut jamais édité, bien que l’œuvre fût jouée à Paris l’année suivante ; Les Fêtes de Polymnie, prévues pour la cour mais données en catastrophe à Paris en 1745, ne furent éditées qu’en 1753 au moment de la reprise à l’Opéra. Ainsi, il est possible que Rameau ne prît pas la peine d’éditer une œuvre initialement composée pour Versailles, d’autant que la nature comique ne présageait pas le succès public. Un autre indice vient renforcer cette supposition : la partition de production qui servit aux représentations parisiennes a été copiée par Jean Rollet, copiste actif dans les années 1750 et travaillant principalement pour les Menus-Plaisirs (fig. 4). On lui doit notamment la copie de la partition de production du Temple de la Gloire, des Sybarites, deux opéras créés à la cour. Si l’œuvre avait été pensée pour l’Opéra de Paris, la mise au net en aurait été confiée à Durand, copiste en chef de l’Académie royale de musique.

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Fig. 4. Exemples de mise au propre effectuée par Jean Rollet à partir du manuscrit autographe, en vue d’établir une partition de production.
À gauche : Entrée des Troubadours et des Ménestrels, version autographe (F Pn Rés Vm2. 120, p. 28[70]). Voir l’image au format original
À droite : Entrée des Troubadours et des Ménestrels, copié par Jean Rollet (F Po A 201, fo 86ro). Voir l’image au format original

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14Cas unique pour ce qui concerne l’opéra français du XVIIIe siècle, Les Paladins permettent d’analyser de manière précise la filiation des sources, de la conception de l’œuvre à son exécution. Avec le manuscrit autographe, se dévoile plus finement le processus de réalisation des sources d’exécution, alors qu’il ne reste, bien souvent, que la facture du copiste dans les archives comptables pour témoigner du travail accompli. L’autographe des Paladins éclaire ainsi les étapes de l’entreprise et révèle une collaboration étroite entre Rameau et Rollet. En effet, plusieurs indications de Rameau dans le manuscrit sont à destination du copiste chargé de préparer la partition de mise au net qui servira à la représentation. Ainsi, on peut lire, p. [22], « Copiez ces parties dans le 2e. viol[on], excepté la dernière mesure où il reprend la partie avec le premier » (fig. 5) ; p. [39], « partout où il y a un 8, c’est qu’au lieu de 6. doubles croches, il en faut huit » (fig. 6) ; p. [82], « Recopiez la symphonie qui suit le Ch[œu]r comme elle étoit d’abord et comme je crois qu’elle est ici, vous en avez les Bassons ».

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Fig. 5. Indication au copiste, Air pour les Paladins et leurs Dames déguisés en Pèlerins et Pèlerines, acte I, sc. 5 (F Pn Rés Vm2. 120, p. 14[22], détail). Voir l’image au format original

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

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Fig. 6. Indication au copiste, final de l’acte I (F Pn Rés Vm2. 120, p. 29[39], détail). Voir l’image au format original

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15Rameau se montre très précis voire tatillon dans ses remarques et ses desiderata. Il distribuait le travail à Rollet acte par acte comme l’attestent ses indications au début de chacun : « Ne copiez point les parties. Tout est corrigé. Copiez tout » (fig. 7). Ces mentions révèlent aussi que Rollet dut également préparer des parties séparées pour l’orchestre, les rôles et le chœur. Si aucun fascicule du matériel conservé n’est de la main de Rollet, un ensemble de parties (une par pupitre) ont été copiées par Dumas, autre copiste des Menus-Plaisirs – ce qui confirme encore un peu plus la destination première des Paladins. Rollet aurait ainsi pu déléguer cette partie du travail à son collègue, ces fascicules constituant la matrice du reste du matériel établi par un atelier de copistes. Par ailleurs, la remarque de Rameau en début d’acte semble indiquer que le musicien confia au moins deux fois son manuscrit à Rollet. Une première fois pour que le copiste prenne connaissance de l’œuvre, prépare les systèmes et commence la copie, une seconde pour copier intégralement la musique, rapporter les éventuelles révisions de Rameau et amorcer la réalisation du matériel.

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Fig. 7. Indications au copiste en début d’acte II (F Pn Rés Vm2. 120, p. [43]). Voir l’image au format original

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

16Les remarques de Rameau à Rollet nous donnent également d’autres renseignements intéressants sur la pratique instrumentale, notamment en ce qui concerne les instruments à vent. Ainsi, en début d’acte I, page 5, Rameau précise pour l’établissement du matériel : « Partout où il y a doux, ou d., il en faut toujours exclure les haubois, bassons et petites flutes, excepté que cela ne soit écrit exprès pour ces mêmes instrumens. » Il insiste en début d’acte II : « Souvenez vous que partout où il y a doux ou d., les haubois, bassons et petites flutes n’y jouent jamais » (fig. 07). Ces deux remarques confirment un procédé d’orchestration implicite chez Rameau et non lisible sur les partitions, qu’elles soient manuscrites ou imprimées. En effet, les doublures de vent avec les cordes étaient fréquentes dans l’orchestration de cette époque mais les compositeurs n’en précisaient pas toujours les bornes, s’appuyant sur l’habitude des instrumentistes et des copistes. Page [35], une autre remarque éclaire également sur la pratique des musiciens : « Les h.bois comptent les pauses des notes qui sont trop basses pour eux. » Ne faisant pas toujours attention à la tessiture du hautbois lorsqu’il écrivait une partie en doublure des violons, le compositeur comptait, là encore, sur les interprètes pour omettre les notes hors tessiture.

17Une fois la partition de production établie aux débuts des années 1750, l’œuvre aurait dû naturellement entrer en répétition. Mais le projet n’aboutit pas dans l’immédiat. Il fallut sans doute attendre la convention d’avril 1757, passée entre Rebel et Francœur (les nouveaux directeurs de l’Opéra) et Rameau, obligeant le compositeur à livrer tous ses ouvrages nouveaux pour la scène parisienne35, pour que Les Paladins reviennent sur la table du compositeur. Nous supposons que ce travail sur l’œuvre intervint entre 1758, après les représentations des Surprises de l’amour, et 1760, année de la création36. Rameau dut cette fois collaborer avec Durand, copiste en chef de l’Académie royale de musique, pour aménager l’œuvre destinée à la troupe et à l’orchestre de l’Opéra. Plusieurs séquences ont été entièrement recomposées, telles l’ouverture, l’ariette d’Atis, « Accourez, amants venez tous », et celle d’Argie, « Je vole, Amour, où tu m’appelles »37. Ces passages sont clairement identifiables dans la partition de production puisqu’ils ont été copiés par Durand sur des folios insérés en remplacement des pages initiales de Rollet. Parmi toutes ces séquences revues, seule la nouvelle version du duo du premier acte entre Argie et Atis, « Vous m’aimez ? Je vous aime » figure dans l’autographe, ce qui signifie qu’elle est probablement la première à avoir été révisée par Rameau, à une époque où le compositeur se servait encore de son document personnel (fig. 8). Rameau a alors biffé l’ancienne version et glissé les nouvelles pages. Sur celles-ci, apparaissent des remarques au copiste pour actualiser le matériel. La première indique : « Il ne faut copier que deux parties de premiers viol[ons], et de 2es. Il y a des fautes dans les violons copiés, c’est pourquoi il faut les copier sur la partition, et les confronter ensuite avec ceux qui sont copiés. » Elles révèlent un compositeur scrupuleux, vérifiant les fascicules du matériel ainsi que la partition de production. Après ces échanges avec Durand, à mesure que les représentations se rapprocheront, Rameau délaissera son autographe et transmettra au copiste ses corrections sur des feuilles volantes ou en annotant directement la partition de production.

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Fig. 8. Exemples de mise au propre d’une nouvelle séquence musicale, copiée par Durand en amont des représentations parisiennes, à partir du manuscrit autographe.
À gauche : Nouvelle version du duo d’Argie et Atis, « Vous m’aimez ? Je vous aime » composée pour l’Opéra et insérée dans l’autographe (F Pn Rés Vm2. 120, p. [25]). Voir l’image au format original
À droite : Nouvelle version du duo d’Argie et Atis, « Vous m’aimez ? Je vous aime » composée pour l’Opéra, copiée par Durand et insérée dans la partition de production (F Po A 201, fo 25ro). Voir l’image au format original

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

Rameau à l’ouvrage

18L’étude d’un manuscrit autographe de Rameau est source de fascination car elle laisse entrapercevoir le compositeur à l’ouvrage, lui qui fut si discret. Cependant, mettons de côté l’émotion ressentie à la lecture de cette écriture nerveuse et brouillonne. Ce n’est pas tant ce que le manuscrit nous dit de l’homme que ce qu’il nous dit de sa façon de composer qui nous intéresse ici. Ainsi, comme le montre sa collaboration avec le copiste, Rameau composa Les Paladins acte par acte, respectant le déroulé de l’œuvre. Il est fort probable qu’au moment de se mettre à l’écriture, le compositeur avait en sa possession la quasi-intégralité du livret. Rameau enchaîna donc les séquences les unes à la suite des autres. Les seules exceptions à ce processus concernent les ariettes d’Atis des actes I et III. Dans le premier cas, Rameau a laissé plusieurs portées vides entre les pages 12 [16] et 13 [21] pour signifier qu’un air allait être ajouté ici plus tard38 (fig. 9). Il demande à son copiste de faire de même dans la partition de production : « Laissez 5 ou 6 pages en blanc pour Atis et les violons », ce que Rollet exécute. Dans le second cas, au dernier acte, Rameau écrit l’ariette « Lance, Amour, tes traits vainqueurs » après la contredanse finale, ce qui l’oblige à préciser au copiste, avant la danse p. 24 [110] : « Contredanse qui ne se copie qu’après l’ariette qui la suit p. 25. » Ces entorses à sa méthode de composition continue sont peut-être à mettre sur le compte du librettiste qui n’avait pas encore écrit les paroles de ces deux airs. Il était fréquent que les morceaux de divertissement soient pensés et composés indépendamment des scènes. D’ailleurs, les paroles de la contredanse finale ont été ajoutées in extremis dans la partition de production par Rameau lui-même, ce qui révèle que le poète était très en retard dans la livraison de certaines séquences de l’opéra39.

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Fig. 9. Entrée des Paladins et leurs Dames déguisés en Pèlerins et Pèlerines suivi de portées vierges pour l’insertion d’un air d’Atis (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 12[16]). Voir l’image au format original

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Fig. 10. Exemple de musique biffée immédiatement suivie de la nouvelle version, acte II, sc. 8 (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 21[31]). Voir l’image au format original

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19La gestion du papier et des corrections confirme aussi la tendance de Rameau à composer les morceaux chronologiquement. En effet, les biffages sont très souvent suivis de leurs corrections, (fig. 10) et plusieurs versions d’une même séquence peuvent se suivre, comme l’ariette de Nérine, « Pour voltiger dans le bocage », présentant à la suite deux versions antérieures biffées avant à la version finale40. Le manuscrit montre également un souci d’économie du papier car il n’est pas rare de voir les marges de la feuille contenir des corrections hors portées, au détriment de la lisibilité de la musique (cf. fig. 3). Rameau avance ainsi page après page, ajoutant les folios, un à un, dès que le précédent est terminé. Ce n’est qu’une fois l’acte achevé et relu qu’il rassemble les feuilles en les faisant coudre. Cette gestion du papier lui permettait de pouvoir corriger plus facilement, sans avoir à insérer des pages41. Ainsi, s’il souhaitait changer d’idée en cours de composition, il lui suffisait de biffer la feuille ou de l’écarter pour en prendre une nouvelle vierge. C’est ainsi que pour l’ariette de Nérine, « L’amant peu sensible et volage », il est possible d’observer le début de l’air sur la page 2 [6], biffé au crayon et de voir la nouvelle version suivre en page 3 [7] (fig. 11).

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Fig. 11. Exemples de la gestion du papier pour la composition de l’ariette de Nérine, « L’amant peu sensible et volage », acte I, sc. 1 (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 2[6], 3[7], 29[39]).
À gauche : Début de la première version abandonnée, p. 2[6]. Voir l’image au format original
Au centre : Nouvelle version p. 3[7]. Voir l’image au format original
À droite : Suite de la première version abandonnée, p. 3 29[39]. Voir l’image au format original

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20Les pages supprimées n’étaient pas jetées pour autant car Rameau utilisait souvent les parties de la feuille encore vierges. Aussi, l’ancienne page 3 contenant la suite de l’ariette de Nérine est-elle présente dans le manuscrit à la page [39]. Le 3 a été barré et remplacé par le numéro 29 ; Rameau a biffé les deux premiers systèmes contenant l’ariette obsolète pour débuter à la suite un récitatif nouveau de la scène 6. Parfois, ces pages abandonnées sont découpées pour fabriquer des collettes. Ainsi, sur les cent-deux collettes du manuscrit, quatre-vingt-deux contiennent de la musique au verso. Si pour la plupart, le contenu n’a pas été identifié et alors que onze proviennent clairement d’opéras plus anciens, vingt-cinq collettes au moins ont été fabriquées à partir de papiers supprimés des Paladins, présentant en leur dos des versions antérieures de la partition. Parmi elles, se trouvent notamment plusieurs collettes contenant des esquisses différentes du Premier air pour les Paladins et leurs Dames déguisés en Pèlerins et Pèlerines de l’acte I ou de l’Air pour les Pagodes de l’acte III, ce qui témoigne d’une composition laborieuse pour ces deux danses. Rameau a dû plusieurs fois retirer sa feuille en cours d’écriture. De tailles très diverses, les collettes servaient à corriger la musique une fois la séquence terminée, lorsqu’il n’était plus possible pour Rameau de raturer les mesures abandonnées et d’écrire la nouvelle version à la suite. Elles interviennent donc le plus souvent dans un second temps de la composition, lorsque Rameau relit sa musique.

21À ce propos, il est évident que Rameau est repassé plusieurs fois sur sa musique. Un manuscrit autographe ne signifie donc pas « version originale ». De nombreuses séquences des Paladins ont donc connu des versions plus anciennes que ce que nous lisons ici. Si les pages découpées en collette en sont un des témoins manifestes, la couleur de l’encre peut être un second indice. En effet, il est possible de distinguer au moins deux couleurs d’encre différentes dans le manuscrit. La première la plus noire semble correspondre au « premier » jet, tandis que la seconde, orangée, correspond à des retouches ou des pages plus tardives. La plupart de ces corrections écrites à l’encre brune ont été copiées par Rollet dans la partition de production ce qui signifie que ces corrections ne correspondent pas à la révision de l’œuvre pour Paris. Intervenant dès la composition, elles concernent principalement des retouches d’orchestration (fig. 12). Rameau a souvent révisé l’équilibre des cordes entre les violons et les parties (hautes-contre et tailles de violon), inversé les interventions des hautbois et des violons ou changé les interventions des bassons. Par ailleurs, certaines pages ont été intégralement écrites à l’encre brune, ce qui prouve que Rameau a parfois supprimé des passages entiers pour les remplacer par de la musique nouvelle. Le duo de l’acte III « Ah, que j’aimerai mon vainqueur » et l’air vif qui suit sont écrits dans cette encre (fig. 13). Dès lors, nous pouvons en conclure qu’ils ont été insérés en remplacement de pages disparues. L’une d’elles semble être le duo « Plus d’alarmes, plus de soupirs » dont il ne reste pour seules traces que trois versos de collettes disséminées dans le manuscrit42 (fig. 14). Le faible nombre de corrections sur ces nouvelles pages indique que ces séquences ont été conçues sur d’autres feuilles43. Ainsi, il faut en conclure qu’il n’exista pas un seul manuscrit autographe des Paladins, mais plutôt plusieurs manuscrits annexes se greffant à un manuscrit principal.

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Fig. 12. Exemples de correction d’orchestration à l’encre brune (cf. aussi fig. 5).
En haut : Air pour les Paladins et leurs Dames déguisés en Pèlerins et Pèlerines, acte I, sc. 5 (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 13[21], détail). Voir l’image au format original
En bas : Acte III, sc. 4, 2e système notamment (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 15[98]). Voir l’image au format original

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Fig. 13. Nouveau duo pour Atis et Argie, « Ah ! que j’aimerai mon vainqueur » écrit intégralement à l’encre brune, inséré en remplacement d’un ancien duo perdu, acte III, sc. dernière (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 16[99]). Voir l’image au format original

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Fig. 14. Verso de collette contenant un extrait de l’ancien duo d’Atis et Argie, « Plus d’alarmes, plus de soupirs », acte III, sc. dernière (F Pn Rés. Vm2. 120, collette 89, p. 25[111]). Voir l’image au format original

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22Comme nous le mentionnons plus avant, la rareté des manuscrits musicaux de travail pour la France d’Ancien Régime nous invite à observer ce manuscrit des Paladins avec grand intérêt. Si plusieurs études se sont penchées sur les esquisses des compositeurs du XIXe siècle, à commencer par celles de Beethoven44, les travaux portant sur la génétique des opéras baroques sont plutôt maigres45. L’absence de connaissances sur les procédés compositionnels, à laquelle s’ajoute un matériau de sources souvent lacunaire, explique la tendance à présenter le compositeur de cette époque comme un créateur cérébral, qui imaginerait l’œuvre dans sa tête avant de la fixer directement sur le papier. Les manuscrits de Bach ou de Mozart, très peu raturés, ont participé à forger cette image. De plus, la musique baroque, aux effectifs instrumentaux réduits et aux patterns mélodico-rythmiques redondants, autorise à imaginer un compositeur créant directement par le biais d’une improvisation à l’instrument, au clavier principalement. Enfin, contrairement à l’image du compositeur romantique qui élabore dans la douleur une musique complexe et personnelle, le compositeur baroque n’aurait pas besoin d’esquisser sa musique simple, composée à partir d’un catalogue d’idées largement réemployées. Vivaldi n’aurait-il pas composé cinq cents fois le même concerto, si l’on en croit Stravinski ? Concernant Rameau, son premier biographe livre quelques informations sur sa manière de composer :

Lorsque le poète lui avait donné son poème, il le lisait plusieurs fois, le raisonnait, le déclamait, et obligeait très souvent l’auteur à y faire des changements qui exerçaient beaucoup sa patience. C’était un violon à la main qu’il composait sa musique ; quelquefois cependant il se mettait à son clavecin ; mais lorsqu’il était à l’ouvrage, il ne souffrait pas qu’on l’interrompit : malheur à l’indiscret qui perçait alors jusqu’à lui. Il n’avait pas autant de facilité à composer de la musique vocale que la musique instrumentale à laquelle il s’était livré de bonne heure. Une particularité, dont je n’ai été instruit que pendant l’impression de ces dernières feuilles, et qui mérite qu’on en fasse mention, est que Rameau n’a jamais eu de maître de composition, et l’a apprise de lui-même. Il était réellement dans l’enthousiasme en composant : il se livrait à une gaieté déclamatoire, lorsque son génie le servait à son gré ; et à une espèce de fureur chagrine, s’il se refusait à ses efforts46.

23Il est évident que le manuscrit des Paladins vient écorner cette image d’Épinal. Car, si Rameau composait à l’instrument, l’autographe révèle un compositeur en perpétuelle recherche sur le papier. Cependant, le témoignage de Maret concernant le poème semble plausible au vu de certaines esquisses. En effet, pour les séquences vocales, Rameau écrivait d’abord les paroles du personnage, sans aucune note de musique (fig. 15). Il devait alors se les mettre en bouche, en essayer la prosodie pour en trouver le caractère approprié. Après cela, il notait une mélodie. Ce n’est que dans un second temps qu’il réalisait la symphonie, bien que parfois le papier à musique présente des clés au début des portées, indiquant que Rameau a dès le début une idée de l’effectif orchestral. Pour les séquences instrumentales, la méthode reste sensiblement la même : c’est d’abord la recherche d’une mélodie caractérisée qui intéresse le compositeur, plus que la recherche d’une harmonie savoureuse. Le manuscrit regorge d’esquisses aux instruments de dessus (violon et hautbois) (fig. 16), de catalogues d’idées mélodiques pour amorcer les danses. Là encore, le manuscrit va à l’encontre de l’image que l’on pouvait avoir de Rameau. À chercher la mélodie idéale, le grand théoricien de l’harmonie se révèle finalement plus rousseauiste qu’on ne l’imaginait !

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Fig. 15. Exemples d’ébauches dans lesquelles les paroles ont été copiées avant la musique.
En haut : Acte II (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 10[52], détail). Voir l’image au format original
En bas : Acte II (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 11[53], détail). Voir l’image au format original

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Fig. 16. Exemple de deux esquisses de « Marche » instrumentale ne contenant que le dessus (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 26[36], détail). Voir l’image au format original

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24Le cas de l’ouverture est particulièrement emblématique de cette recherche thématique. En effet, le manuscrit contient deux pages d’esquisses pour cette séquence importante. Rappelons que pour cet opéra, Rameau a composé intégralement deux ouvertures. La première en la majeur, qui n’a jamais été jouée au XVIIIe siècle, se trouve sur les premières pages de l’autographe. La seconde en fa majeur, composée plus tardivement, est copiée par Durand dans la partition de production en remplacement de la première. Elle reste à ce jour l’ouverture officielle de l’œuvre puisque c’est elle qui fut jouée durant les représentations. Si les deux ouvertures sont très différentes, toutes les deux sont fondées sur le même principe de l’ouverture pot-pourri, c’est-à-dire une ouverture citant plusieurs passages de l’opéra en guise d’introduction. Ainsi, l’ouverture de l’autographe débute par un premier mouvement rappelant le Premier air pour les Furies et Démons de l’acte II. Les deuxièmes et troisièmes mouvements suivants reprennent la sarabande et le premier menuet du même acte. L’ouverture définitive cite, quant à elle, le final de l’acte I avec la reprise du Galop symbolisant l’arrivée d’Anselme et du quatuor « C’est un éclair », et conclut avec la reprise de l’Air pour les Paladins et leurs Dames du troisième acte. La première page d’esquisse, p. [42] (fig. 17), contient trois propositions qui n’ont aucun rapport thématique direct avec les deux ouvertures connues47. Aussi sont-elles probablement antérieures à la première version. L’évolution tonale suggère ce classement chronologique puisque la première idée est en majeur tandis que les suivantes sont en la, tonalité retenue pour la première ouverture. Il est intéressant de voir que la seconde esquisse cite le motif du Bruit de guerre de l’acte I, à l’arrivée d’Orcan (fig. 18 et exemple musical 1), ce qui semble indiquer que Rameau prévît rapidement une ouverture pot-pourri. Les autres essais ne montrent pas de similitudes particulières avec des passages de l’opéra mais possèdent un caractère espiègle commun, proche de la scène des Furies, qui sera conservé dans la première version de l’ouverture (exemple musical 2).

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Fig. 17. Première série d’esquisses de l’ouverture (F Pn Rés. Vm2. 120, p. [42]). Voir l’image au format original

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Fig. 18. Bruit de guerre, acte I, sc. 6, qui sert de motif au début de la deuxième esquisse d’ouverture, p. [42] (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 19[29], détail). Voir l’image au format original

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Exemple musical 1. Seconde esquisse de l’ouverture, p. [42] (extrait de OOR IV.28). Voir l’image au format original

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Exemple musical 2. Troisième esquisse de l’ouverture, p. [42] (extrait de OOR IV.28). Voir l’image au format original

25Nous ne savons pas ce qui motiva Rameau à abandonner sa première ouverture pour la seconde. Toujours est-il que le manuscrit autographe contient une autre page d’esquisses annonçant la symphonie définitive et son motif du Galop. Cette page, la [26], constitue le verso d’une feuille ajoutée par le compositeur au moment où il inséra la nouvelle version du duo d’Atis et Argie du premier acte (fig. 19). Ces deux esquisses, musicalement très proches, sont donc antérieures au travail de reprise de l’œuvre initié par Rameau à la fin des années 1750, puisque le duo est la plus ancienne séquence retravaillée pour Paris (exemple musical 3 et 4). En outre, l’instrumentation montre que Rameau pensa à la seconde ouverture avant les représentations de 1760. En effet, lorsque Rameau retravailla son opéra pour l’Académie royale de musique, il ajouta de nombreuses parties de cors à sa partition car deux cornistes titulaires venaient d’être engagés en 1759 dans l’orchestre de l’Opéra. L’ouverture définitive fait d’ailleurs la part belle à l’instrument. Or, ces ébauches sans cors semblent indiquer que Rameau imagina cette seconde ouverture bien avant l’engagement des cornistes, peut-être même en parallèle des précédentes esquisses. Le maintien de la tonalité de la majeur et certaines idées thématiques communes engagent à le supposer. Le parcours harmonique reste ainsi relativement similaire surtout pour les quatre dernières esquisses en la. De plus, ces dernières proposent toutes une modulation en mi mineur mise en avant par un surprenant sol bécarre dans un motif tendre descendant48. Ces cinq propositions mélodiques à la filiation complexe et imperceptible montrent une pensée en mouvement, en constante évolution, retenant certaines idées, écartant d’autres. Cependant, si Rameau rature fréquemment son papier et triture ses idées en proposant de multiples versions, ces esquisses de l’ouverture restent des canevas de musique. Le compositeur a beau être précis sur les dynamiques ou sur certains jeux timbriques qu’il imagine simultanément à sa mélodie, il n’en reste pas moins vrai que ces musiques sont restées en grande partie dans la tête du compositeur. En cela, le manuscrit autographe des Paladins illustre une technique de composition hybride : à la fois instinctive, c’est-à-dire émanant directement de la pensée, le violon à la main, mais aussi réfléchie, résultat de l’écriture, la plume à la main.

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Fig. 19. Exemples du développement de l’idée du Galop dans l’ouverture.
En haut : Seconde série d’esquisses de l’ouverture développant le motif du Galop (F Pn Rés. Vm2. 120, p. [26]). Voir l’image au format original
En bas : Seconde ouverture en fa majeur, copiée par Durand dans la partition de production (F Po A 201, fo 1ro). Voir l’image au format original

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Exemple musical 3. Première esquisse de l’ouverture, p. [26] (extrait de OOR IV.28). Voir l’image au format original

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Exemple musical 4. Seconde esquisse de l’ouverture, p. [26] (extrait de OOR IV.28). Voir l’image au format original

26Pour finir cet exposé, il convient d’insister sur un dernier point. Le perfectionnisme de Rameau, se matérialisant par la multitude de corrections de notes et de rythmes, ne doit pas nous faire perdre de vue la préoccupation première du compositeur : l’opéra, autrement dit un genre aussi bien scénique que musical. Chez Rameau, la pensée musicale sert un intérêt dramatique. En dehors du travail du texte en amont de la composition des séquences vocales que nous avons déjà évoqué, l’autographe manifeste l’intérêt indéniable du compositeur pour la mise en scène. En effet, la source contient de nombreuses indications que Rollet n’a pas toujours reportées dans la partition de production (fig. 20). Provenant peut-être du livret fourni par le poète, à moins qu’elles ne soient à l’initiative de Rameau, elles s’apparentent à de brefs pense-bêtes, servant à visualiser le jeu des acteurs et à stimuler l’imaginaire au moment de la composition. Dès lors, on s’aperçoit que Rameau ne pense pas l’œuvre sur le seul plan musical mais aussi dans sa dimension spectaculaire. Cette préoccupation ressort encore à la lecture de cette remarque à la fin du second menuet de l’acte II, p. 26 [68] : « On peut ne reprendre que le rondeau du p[remie]r. On peut aussi, après la p[remiè]re reprise du p[remie]r [menuet], passer au rondeau du 2e, au lieu de reprendre celui du p[remie]r, le tout à la volonté du maître de ballet. » Rameau propose ici plusieurs combinaisons de reprise des menuets, ce qui modifie la longueur des danses et par conséquent le rythme dramatique. Il s’en remet néanmoins au maître des ballets, signe qu’il ne pensait pas uniquement à la musique mais également aux autres disciplines comme la danse, et qu’il envisageait l’opéra comme une œuvre collective. Lui qu’on a souvent dit insensible à ses livrets, obnubilé par sa seule musique, se révèle être dans ce manuscrit un véritable homme de théâtre.

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Fig. 20. Exemples d’indications scéniques dans le manuscrit autographe.
En haut : Acte I (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 21[31] détail). Voir l’image au format original
En bas : Acte I (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 23[33], détail). Voir l’image au format original

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Conclusion

27Du corpus des manuscrits autographes de Rameau, celui des Paladins reste sans conteste le plus remarquable de tous. Outre sa taille qui en fait le document autographe le plus important du compositeur, cette source est la seule à contenir un opéra en plusieurs actes, donné du vivant de Rameau à l’Académie royale de musique. Par ailleurs, la préservation en parallèle des sources de production permet d’éclairer comme jamais la fabrication d’une œuvre lyrique dans la France d’Ancien Régime. On aperçoit alors un compositeur maniaque, attentif à son œuvre, dirigeant ses copistes et veillant à ce que la moindre correction soit reportée dans les documents d’exécution. Le manuscrit des Paladins révèle ainsi le rôle du compositeur dans la gestion d’un projet lyrique. Plus que le librettiste ou le personnel administratif, c’est bien le musicien qui, par le biais de sa partition, centralise les informations et les transformations de l’œuvre en amont des répétitions. S’agit-il d’un trait propre à Rameau ? Difficile de le dire tant les corpus autographes d’autres compositeurs d’opéras sont rares.

28À la lecture de la source, la genèse des Paladins reste obscure. Il apparaît impossible aujourd’hui de dégager finement les différentes étapes de la conception du document et par conséquent de l’œuvre. Labyrinthe tortueux aux nombreux cul-de-sac, l’autographe de Rameau, par ses esquisses, permet tout de même de suivre la voie de la création. Mais si par moment le lecteur s’enthousiasme de retrouver le chemin de la pensée du compositeur en comparant plusieurs ébauches proches, il reste souvent perdu face à certaines idées sorties de nulle part. C’est que l’élaboration de l’œuvre, étalée sur un temps long, s’est matérialisée à travers plusieurs manuscrits intermédiaires, la plupart perdus. La lettre du fils Rameau à Decroix, déjà évoquée, fait allusion à plusieurs airs sur feuilles volantes de différents opéras. On imagine alors le bureau de Rameau couvert de feuilles détachées contenant des versions alternatives, le compositeur travaillant inlassablement ses œuvres. Le goût du remaniement se perçoit d’ailleurs clairement dans le manuscrit des Paladins. Aucune page n’est épargnée par la correction et certaines séquences ont été entièrement recomposées. Mais il ne faudrait pas croire que le travail de composition s’arrêta une fois la partition de production établie. La pensée toujours en ébullition, Rameau corrigea ses Paladins à l’épreuve des répétitions puis des représentations. L’exécution de l’œuvre lui permit alors de vérifier ses intuitions musicales couchées sur le papier. Le résultat sonore put décevoir le compositeur qui retoucha alors certains passages directement sur la partition de production (fig. 21). La réaction négative du public influença aussi Rameau dans son geste créateur, cherchant à améliorer le rythme dramatique. Comme tout spectacle vivant, l’œuvre commençait une nouvelle étape de sa carrière, moins intime et plus collective. Si l’œuvre, dans les mains des interprètes et des directeurs de l’Opéra, échappait parfois au compositeur, Rameau, veillant au grain, rappelait à l’ordre. « Tout doit être exécuté selon la partition », disait-il à Rebel et Francœur49. Il n’eut pas toujours gain de cause.

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Fig. 21. Exemples de révision effectuée durant les représentations.
En haut : Annonce du geolier, acte I, sc. 2 (F Pn Rés. Vm2. 120, p. 4[8]). Voir l’image au format original
En bas : Le même passage copié par Rollet dans la partition de production et largement révisé par Rameau durant les représentations (F Po A 201, fo 8vo). Voir l’image au format original

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Documents annexes

Notes

1 Sur le contexte de création de l’œuvre et sa réception, cf. Sylvie Bouissou, Jean-Philippe Rameau, Paris, Fayard, 2014, p. 812-825 ; Jean-Philippe Rameau, Les Paladins, éd. Thomas Soury, Opera omnia Rameau, IV.28, Tauxigny, Société Jean-Philippe Rameau, 2021, Introduction, p. XI-XXIII, ci-après nommé OOR IV.28.

2 OOR IV.28, p. 304-317.

3 Une partition générale est un document musical qui contient toutes les voix de l’œuvre. Elle s’oppose à la partition réduite, qui condense les informations. Celle des Paladins, conservée sous la côte F Po Rés A. 201, ayant servi aux représentations, peut être dénommée également partition de production.

4 Conservé sous la côte F Po Mat. 18 [257], il contient les parties des rôles, des chœurs et de l’orchestre. La plupart des matériels d’opéras français d’Ancien Régime ont disparu. L’excellente préservation de celui des Paladins est une aubaine.

5 Sur le manuscrit autographe littéraire, cf. Luc Fraisse (dir.), Travaux de littérature. Le manuscrit littéraire. Son statut, son histoire, du Moyen Âge à nos jours, XI, 1998 et en particulier l’article de François Moureau, « Du bon usage des manuscrits et des autographes littéraires : le cas du XVIIIe siècle », p. 195-212 ; XVIIe siècle. Les usages du manuscrit, no 192, 48/3, juillet-septembre 1996 ; Alain Viala, « L’auteur et son manuscrit dans l’histoire de la production littéraire », dans Michel Contat (dir.), L’auteur et le manuscrit, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 95-118.

6 Alain Viala, « L’auteur et son manuscrit dans l’histoire de la production littéraire », art. cité, p. 107.

7 François Moureau, « Du bon usage des manuscrits et des autographes littéraires : le cas du XVIIIe siècle », art. cité, p. 199-200.

8 Sur les collections musicales durant l’Ancien Régime, cf. Laurent Guillo, « Les bibliothèques privées de musique en France au miroir des catalogues de vente (1700-1790) », Revue de musicologie, 106/2, 2020, p. 407-452 ; cf. aussi les articles consacrés à cette période dans Denis Herlin, Catherine Massip et alii (dir.), Collectionner la musique, Turnhout, Brepols, 2011, 2012, 2015, 3 vol.

9 Le chef d’orchestre est une fonction qui n’existe pas sous l’Ancien Régime. Néanmoins, certains genres comme l’opéra étaient dirigés par un batteur de mesure. Cf. Julien Dubruque, « Du chef de scène au chef d’orchestre », Musique, Images, Instruments, vol. 12, 2011, p. 61-79.

10 Denis Herlin, « “Souvent dans le plus doux sort”: notes on a newly-discovered autograph letter and drinking song by François Couperin », Early Music, vol. 41, n° 3, août 2013, p. 393-401.

11 Cf. par exemple, les motets Regina cœli (F Pc H. 424) et Sacris solemniis (F Pc H. 425), conservés à la BnF et consultables sur Gallica.

12 Cf. Fabien Guilloux, Inventaire des archives musicales de la collégiale Saint-Vincent de Soignies, Bruxelles, Archives générales du royaume, 2016.

13 Sur ce corpus, cf. Catherine Cessac (dir.), Les Manuscrits autographes de Marc-Antoine Charpentier, Wavre, Mardaga, 2007.

14 Laurent Guillo, « L’édition musicale française avant et après Lully », dans Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki (dir.), L’invention des genres lyriques français et leur redécouverte au XIXe siècle, Lyon, Symétrie, 2010, p. 79-98 ; Laurent Guillo, Denis Herlin, Herbert Schneider, « L’édition musicale », dans Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français. Du Roi-Soleil à la Révolution, Paris, Fayard, 2021, p. 750-760.

15 Sans compter les nombreux extraits et fragments autographes, le RISM recense 31 autographes de Haendel, 18 de Hasse et 13 de Jommelli.

16 Cf. par exemple les sources de production d’Hypermnestre de Gervais (F Po A 95 A), d’Issé de Destouches (F Po Rés 59) ou de Nitétis de Mion (F Po A 146 A), supposées autographes.

17 Cf. par exemple la source de production de Scylla et Glaucus de Leclair (F Po A 158 A).

18 Une collette désigne un fragment de papier collé sur la page, servant à corriger un passage en le recouvrant d’une version nouvelle.

19 Cf. par exemple les sources de production de Dardanus (F Po Rés. A. 145 b) ou du Temple de la Gloire (F Po Rés. A. 157 a).

20 À ces œuvres lyriques, s’ajoutent les manuscrits autographes musicaux de la pièce de clavecin La Dauphine (F Pn Rés. Vm7. 550 (1)), du motet In convertendo (F Pn Rés. Vm1. 248) et de la cantate Pour le jour de la saint Louis (F Pn Ms. 18061). Il nous reste également plusieurs lettres et deux grands textes théoriques, L’Art de la basse fondamentale et les Vérités également ignorées et intéressantes tirées du sein de la nature.

21 Laurence Decobert, « Decroix et sa collection des œuvres de Rameau », dans Sylvie Bouissou, Graham Sadler et Solveig Serre (dir.), Rameau, entre art et science, Paris, École des Chartes, 2016, p. 291-325.

22 Jacques-Joseph-Marie Decroix, L’Ami des Arts ou Justification de plusieurs grands hommes, Amsterdam, 1776, p. 168.

23 Cf. la lettre de Claude-François Rameau à Decroix du 27 juillet 1777, F Pn Rés. Vmc. ms. 10.

24 Les deux premiers autographes sont réapparus via Jean-Baptiste Weckerlin qui les offrit à Charles Malherbe. Le dernier, celui de Io, est aujourd’hui perdu.

25 La copie des Paladins par Decroix et son volume d’annexe sont conservés à la BnF sous les côtes Vm2. 399 et Vm2. 401.

26 C’est du moins le cas pour Les Fêtes de l’Hymen et de l’amour, composées en 1746 et créées en 1747, et Zoroastre, composé en 1747 et créé en 1749.

27 Cité dans J.-G. Prod’homme, « La musique à Paris, de 1753 à 1757, d’après un manuscrit de la Bibliothèque de Munich », Sammelbände der Internationalen Musikgesellschaft, juillet 1905, p. 587.

28 Célèbre querelle esthétique parisienne qui opposa la musique française à la musique italienne.

29 Sur l’esthétique de l’œuvre voir OOR IV.28, p. xxiv-xxvii.

30 Un premier plus petit pour l’ouverture et les trois suivants pour chacun des actes de l’œuvre.

31 L’ouverture composée à la fin et ajoutée n’est pas paginée. Nous suivons la pagination restituée par la BnF au crayon en bas de page, que nous indiquons entre crochets. La pagination sans crochets est celle indiquée par Rameau en haut de page.

32 Pour le détail des 102 collettes du document, cf. OOR IV.28, p. 311-313.

33 Tous les opéras connus de Rameau ont une genèse antérieure à 1760, Les Boréades inclus.

34 Notons que La Naissance d’Osiris, Daphnis et Eglé et Le Retour d’Astrée ont été créés à la cour.

35 Mercure de France, mai 1757, p. 194.

36 Ceci semble confirmé par la présence d’un extrait d’Anacréon au dos d’une collette, p. [15].

37 Pour un relevé exhaustif de ces séquences, cf. OOR IV.28, p. xvi.

38 Notons qu’à cet endroit du manuscrit, quatre pages non autographes contenant l’ariette ont été ajoutées (F Pn Rés. Vm2. 120, p. [17]). Decroix a d’ailleurs précisé en bas de la première : « Ces 4 pages ajoutées ne sont point de la main de Rameau. » Le copiste inconnu a souhaité compléter le manuscrit autographe. La démarche, aujourd’hui sacrilège, ne semble pas revenir à Decroix, au vu de sa remarque. La main qui a copié l’air n’est pas celle du collectionneur, ni celle de son acolyte, Serre. Elle n’est pas non plus celle de la femme ou du fils de Rameau, eux-mêmes musiciens, mais pourrait être celle d’un élève du compositeur ou d’un propriétaire intermédiaire du manuscrit qui auraient pu vouloir compléter le document du maître. Il faut qu’elle soit néanmoins celle d’une personnalité proche de Rameau ou de l’Opéra pour avoir eu accès à la première version de cet air.

39  Une remarque de Rameau confirmant le retard des paroles est également lisible sur la partition de production, fo 138 vo : « Je ne sais si les paroles du ch[œu]r de la fin sont dans le manuscrit. On le verra quand je l’aurai. » Faut-il comprendre que le compositeur avait prêté son autographe au librettiste pour qu’il y inscrive les paroles de la contredanse ? Rameau confiait volontiers ses manuscrits à ses collaborateurs comme en témoigne aussi le manuscrit de Zéphire contenant des annotations de Cahusac.

40 Manuscrit autographe, p. [72]-[74].

41 Le seul insert perceptible, p. [107], concerne la Gigue pour la suite de Manto, les Paladins et leurs Dames, écrite sur un papier différent et ajoutée après la composition de la fin de l’acte III.

42 Cf. OOR IV.28, p. 442.

43 L’extrait de la version en do majeur de l’ariette de Manto, « Le printemps » conservé p. [85], appuie cette supposition.

44 Pour une rétrospective des études génétiques, cf. Nicolas Donin, « La musique, objet génétique non identifié ? », Littérature, 2015/2, p. 105-116.

45 Sur Rameau, cf. Thomas R. Green, Early Rameau Sources: Studies in the Origins and Dating of the Operas and other Musical Works, PhD, Brandeis University, 1992, 3 vol. ; concernant Lully, les témoignages de Le Cerf de La Viéville ont donné quelques idées de la méthode de composition du Florentin : cf. Comparaison de la musique italienne et de la musique française (éd. de 1706) dans Laura Naudeix (éd.), La Première Querelle de la musique italienne, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 570 sqq.

46 Hugues Maret, Éloge historique de Mr. Rameau, Dijon, Causse, 1766, p. 72.

47 Nous les avons appelées Annexes 1a, b, c dans OOR IV.28, p. 369. Contrairement à ce que nous avons avancé dans notre édition critique, l’annexe 1d ne concerne pas Les Paladins mais correspond à des extraits de la première version des Surprises de l’amour.

48 Exemple musical 1, mes. 25 ; exemple musical 2, mes. 16 ; exemple musical 3, mes. 18 ; exemple musical 4, mes. 28.

49 Partition de production, fo 89ro.

Pour citer ce document

Par Thomas Soury, «De l’atelier privé à la postérité : histoire et étude du manuscrit autographe des Paladins de Jean-Philippe Rameau (1760)», Tierce : Carnets de recherches interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie [En ligne], Numéros parus, 2022-6, Sources, mis à jour le : 06/12/2023, URL : https://tierce.edel.univ-poitiers.fr:443/tierce/index.php?id=760.

Quelques mots à propos de :  Thomas Soury

Thomas Soury est maître de conférences en musicologie à l’Université Lumière Lyon 2 et membre de l’Institut d’Histoire des représentations et des idées dans les modernités (UMR 5317). Ses travaux portent sur l’opéra français d’Ancien Régime et plus particulièrement sur la figure de Jean-Philippe Rameau. Membre du comité scientifique des Opera omnia Rameau, il a édité plusieurs volumes de la collection (Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour et Les Paladins) et prépare actuellement l’édition critique ...

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